E-commerce
Experte en e-commerce, Catherine Barba revient sur l’importance et l’apport du digital pour le commerce physique, alors que 96% du chiffre d’affaires de la distribution se fait toujours en boutique. Rencontre.

Est-il toujours aussi difficile de convaincre les commerçants français des avantages du numérique ?

Catherine Barba. Non. Au cours de la seconde moitié de l’année 2014, s’est développé un très fort mouvement d’appropriation du sujet. Désormais, la majorité des entreprises françaises a conscience de l’enjeu du numérique. Toutes savent que leur client est omnicanal, qu’il commande en ligne ou sur son mobile pour retirer en magasin ou, à l’inverse, commande en boutique pour être livré à domicile. Mais, en magasin, il aimerait être reconnu, considéré au sens propre et au sens figuré : quand je rentre aux Galeries Lafayette, mon smartphone devrait m’identifier et me pousser des informations adaptées à mon profil. Ce n’est pas encore le cas, mais cela viendra car c’est nécessaire. Il faut pour cela qu'il y ait un vrai service, en envoyant du contenu et des offres personnalisées. Or si toutes ces passerelles, ces combinaisons, ces grandes attentes sont connues, il est bien compliqué de les mettre en œuvre. En 2015, c’est la capacité à exécuter le plus vite et le mieux possible qui fera la différence.

 

Chez les enseignes, la peur du e-commerce domine-t-elle encore ?

C.B. Aux yeux de certains cadres de la grande distribution, dont les directeurs de magasin, le e-commerce n’est pas leur affaire. Dans la majorité des cas, ils ne sont d’ailleurs pas rémunérés sur l’activité numérique, ni motivés à en faire leur business. C’est souvent la grande erreur du management qui ne favorise pas la coopération horizontale. Or, face à un client extrêmement libre d’aller d’un canal à l’autre, sans faire de distinction, il est impératif de décloisonner, de faire de chaque collaborateur de l’entreprise un artisan de fluidité entre les différents canaux : magasin, site, médias sociaux, appli, etc. Il faut faire comprendre aux directeurs d’enseigne que le client numérique n’est pas un client de seconde zone et qu’il mérite en magasin une signalétique dédiée, un personnel formé, etc. Chez Best Buy, aux Etats-Unis, le responsable du e-commerce passe trois fois par semaine dans un magasin, tout comme les community managers en charge de Twitter et Facebook.

 

Que préconisez-vous aux entreprises pour encourager la collaboration horizontale?

C.B. Tout doit partir de la plus haute instance de direction : le PDG, sa direction générale et son comité exécutif. Ce sont eux les premiers qui doivent être digitalisés. Je fais souvent des ateliers avec tous les membres du comité exécutif pour leur faire comprendre que la sensibilité au numérique et l’amour du client sont les deux faces de la même pièce, le yin et yang de la transformation de leur entreprise, et qu’il est urgent qu’ils musclent les deux. « Un cli....quoi ? », c’est ce que j’entends parfois. Avant de parler digital dans une entreprise, ses dirigeants doivent s’interroger sur l’ambition relationnelle qu’ils ont pour leurs clients et leurs collaborateurs, par laquelle ils se différencieront. Une fois ceci posé, il devient plus facile de faire le choix des bonnes technologies, celles qui facilitent la vie du consommateur et créent un lien émotionnel. Je vais aussi souvent parler aux directeurs de magasin et, à chaque fois, je leur rappelle que le taux de transformation sur internet est inférieur à 2% ! Puisque 96% du business de la distribution se réalise en magasin, on a tout intérêt à renvoyer le client numérique vers le magasin. Le digital est un aspirateur de clients en magasin. Nous sommes très loin des prévisions catastrophistes qui prédisaient que le e-commerce raflerait tout.

 

N’est-on pas, plus largement, dans l’ère du désenchantement numérique ? Vente-privée s’est implanté aux Etats-Unis il y a trois ans. Il en est déjà revenu. La boulimie d’Amazon est pointée du doigt. Et on est déjà en train d’abandonner les Google Glass…

C.B. Non, je ne crois pas. Après la frénésie, s’impose le temps de la maturité. Au fond, le numérique connaît aujourd’hui les mêmes phases de développement qu’une start-up. Il y a l’enthousiasme tout-fou des débuts puis vient la phase dure, celle où la jeune pousse doit déjà payer ses charges et continuer à investir sans avoir généré ses premiers chiffres d’affaires. Les champions de demain seront ceux qui adopteront une culture digitale du client, une culture de prise de risques, sans retour sur investissement immédiat.

 

Quelles sont les idées que vous jugez prometteuses ?

C.B. Du salon NRF de New York qui a attiré 34 000 personnes en janvier, il est d’abord ressorti que l’omnicanal n’est plus une option. Autre enseignement, le smartphone est le sésame de ce changement. C’est un couteau suisse qui sert à tout en magasin, y compris à payer. Enfin, il revient aux enseignes de gérer leurs clients comme un club de sport gère ses fans, ses supporters. Dès lors, le big data doit être conjugué à la culture de la considération du client. Le digital n’est qu’une brique de la relation client. Aux Etats-Unis, tout le monde a compris qu’il faut récompenser celui qui a fait l’effort de se déplacer en magasin, plutôt que de rester chez lui et d’acheter sur un site internet. Dans les boutiques de l'Hexagone, l’erreur souvent commise est de n’accorder de l’importance au client qu’au moment de la transaction. Tout le reste n’intéresse guère. Or, le magasin est capable d’offrir autre chose que ce qu’apporte le support numérique. C’est ça, l’idée que « le magasin n’est pas mort ». Il devient, par exemple, un lieu d’apprentissage à la Apple Store. « Entrez pour acheter, revenez pour apprendre. » La connivence entre une marque et son client, c’est précisément ce qu’autorise le numérique.

 

Faut-il croire à une revanche du magasin ?

C.B. Je n’aime guère ce registre guerrier, celui du magasin versus le numérique. L’un ne va pas sans l’autre ! Mais force est de constater qu’il est difficile d’être un pure player. Leur pérennité est très controversée. En tant que business angel, je vois combien leur rentabilité est fine comme un cure-dents ! Les marges dégagées peinent à couvrir tous les coûts de production d’un site, de développement d’applications et les frais logistiques et marketing. Il ne faut pas l’oublier.

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