Angleterre
Rei Inamoto, chief creative officer d'AKQA, compte, selon Forbes, parmi les vingt-cinq meilleurs créatifs de l’industrie publicitaire. Il revient sur sa vision de la créativité à l’heure du tout-digital.

La technologie informatique, constituée uniquement de 0 et de 1, est affaire de binarité. Comment préserver la créativité face à l’hyper-rationalité du digital?

Rei Inamoto. On assiste à une mutation, à un point de jonction entre la créativité classique et le code. Associer un créatif et un développeur est de plus en plus pertinent. L’équilibre de la création passe désormais par la constitution d’équipes mixtes. En ce qui me concerne, une partie de mon inspiration vient en travaillant avec le chief technologist d’AKQA, Ben Jones, peut-être plus qu’avec un créatif classique.

 

Selon vous, Madison Avenue a du souci à se faire à cause des start-up… Le tout-technologie est-il un danger?

R.I. A l’origine, les publicitaires avaient ce côté brillant qui leur permettait d’utiliser la technologie et de l’insérer dans les médias. Mais le danger pour les agences aujourd’hui, c’est que la limite entre les médias purs et la technologie s’est considérablement réduite. La technologie est, désormais, un média en soi. Regardez Google, Facebook et Twitter, ils font de l’argent principalement en vendant de la publicité. Dans ce contexte, les agences doivent trouver une raison d’être, montrer qu’elles méritent d’exister. Si elles ne le font pas, elles seront beaucoup moins nombreuses d’ici cinq ou dix ans.

 

La montée en puissance du digital s’accompagne d’un mouvement opposé de retour au slow, au réel, tout particulièrement dans les pays anglo-saxons. Comment analysez-vous par exemple la croissance des ventes de vinyles et la baisse des livres numériques, en plein âge d’or des tablettes ?

R.I. Il y a effectivement un mouvement inverse qui se produit dans chaque culture, chaque industrie. C’est le cas dans la musique qui, au moment où elle est devenue numérique, a perdu de sa qualité physique tangible. Mais en général, cela concerne une minorité. Il y a toujours une contre-culture à tout. C’est un même cycle en fait qui ne s’arrête jamais, une culture mainstream crée une contre-culture qui peut à son retour devenir une culture, puis laisser la place à une autre culture mainstream, créant une autre contre-culture. C’est comme les voitures. La tendance, aujourd’hui, est au partage. L’industrie automobile va changer car les modes de transport vont beaucoup évoluer. Mais vous aurez toujours des gens qui voudront posséder leur propre voiture.  

 

Diverses études indiquent que l’engagement des utilisateurs de Facebook et Twitter décline dans les marchés matures. N’est-ce pas déstabilisant lorsqu’il s’agit de définir une stratégie créative?

R.I. Facebook décline surtout chez les adolescents, et il est vrai que Twitter progresse moins vite qu’avant. Mais ce n’est pas forcément inquiétant. Que ce soit sur Facebook, Twitter, Instagram ou d’autres, nous utilisons les réseaux pour accéder à des catégories de personnes précises. Ça coûte plus cher qu’avant car ces compagnies ont été introduites en bourse et qu’elles ont des objectifs chiffrés à atteindre, mais nous pouvons toujours toucher autant de personnes que nous le souhaitons. 

 

La fragmentation en cours des réseaux sociaux ne vous complique donc pas la tâche?

R.I. Pour moi, ces changements, ces progrès technologiques, font partie d’un processus naturel. Lorsque Gutenberg a inventé l’imprimerie, il y a cinq cents ans, il a permis la production de livres en masse. Il y aura toujours quelque chose d’autre ensuite. Lorsqu'une chose décline, une autre progresse, pour le bien collectif. 

 

Quelle est la prochaine innovation qui va influencer les métiers créatifs, the « next big thing »?

R.I. C’est une question qui revient souvent. Tout le monde veut savoir ce qui sera l’équivalent des réseaux sociaux pour la prochaine décennie, ce qui deviendra un média de masse. J’en parlais récemment avec un stratégiste d’une société spécialisée dans le tourisme, qui me demandait quelle serait la prochaine « disruption » d’ici cinq ou dix ans. Je lui ai répondu la réalité virtuelle, notamment l’Oculus Rift. En un clin d’œil, on pourra être au milieu d’une plage, ou en Chine, ou dans n’importe quel endroit du monde, avec la sensation d’être réellement sur place… sans y être. Mais c’est une opportunité autant qu’une menace…

 

On devine les opportunités, mais en quoi cela peut-il constituer une menace?

R.I. Les spécialistes du voyage devront démontrer qu’ils peuvent proposer plus que l’illusion de la réalité virtuelle. Un ami restaurateur m’a donné son avis à ce sujet. D’un côté, il était conscient que donner à un client la possibilité de voir et ressentir à distance l’apparence et les senteurs d’un plat pouvait amener du monde si la présentation est belle, mais de l’autre, il s’inquiétait d’imaginer une clientèle préférant rester chez elle pour avoir l’illusion de vivre et ressentir les choses plutôt que de vivre ces choses de façon 100% réelle.

 

Vous êtes connu notamment pour avoir osé dire que les agences devaient penser à motiver les gens à acheter ce qu’ils veulent vraiment et non ce dont ils n’ont pas besoin. Pouvez-vous préciser cette pensée?

R.I. Une des devises principales d’AKQA, qui existe depuis très longtemps, est même devenue un mantra: «The best advertising is not advertising.» Personnellement, je ne suis pas venu à la publicité par vocation. A l’origine, j’étais passionné d’art et de dessin. A l’université, j’ai pris les sciences informatiques en deuxième spécialité. Ma passion initiale était l’art, puis graduellement j’ai voulu créer des messages qui aient une valeur et une esthétique, mais qui soient accessibles à tous. AKQA est une entreprise commerciale qui fournit des services technologiques et créatifs pour les clients, mais tout le monde au sein de l’entreprise est convaincu de pouvoir contribuer positivement à la société, à son niveau. En vendant des produits certes, mais en apportant du sens à la promotion de ce produit. C’est le cas par exemple avec le programme « Nike Chance », qui donne à de jeunes footballeurs l’opportunité de rejoindre une école de foot. Deux joueurs repérés par la Nike Academy ont ainsi participé à la dernière Coupe du monde.

 

Récemment, quelle a été votre meilleure campagne?

R.I. «Nike Rise Basketball», que nous avons mis en place l’été dernier. Un peu comme ce que nous avons réalisé avec l’opération Nike Academy où nous racontons en ligne les parcours de jeunes footballeurs professionnels et amateurs. Cette fois, il s’agissait de trouver le meilleur basketteur de rue en Chine, avec une grande dynamique de partage sur les réseaux sociaux. Mais je tiens à m’arrêter sur un point, le mot « campagne ». Pour moi, ce mot n’est plus valable. C’était auparavant un mot utilisé par les professionnels qui se focalisaient sur un calendrier défini, une cible définie, un produit défini. Désormais, quand je m’adresse aux stratégistes et aux créatifs d’AKQA, je décourage l’utilisation de ce mot restrictif qui implique une forme d’exécution basique. Nous utilisons plutôt le mot programme ou franchise.

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