Il considère son pays, le Congo, comme une « start-up nation », et a lancé les premiers téléphones africains. Rencontre avec Vérone Mankou, un entrepreneur audacieux.

« Quand je regarde l’Afrique, je vois un géant qui était jusqu’ici dans un sommeil profond et qui, petit à petit, montre les signes de son réveil. Celui-ci pourrait intervenir dans la prochaine décennie grâce au bond en avant que provoquent les NTIC, et mon ambition est d’être l’un des fers de lance de cette nouvelle dynamique. » Celui qui s’exprime en ces termes n’a rien d’un capitaine d’industrie ou du leader d’une super puissance émergente. À bientôt 30 ans, titulaire d’un simple BTS en maintenance et réseau, Vérone Mankou est pourtant surnommé le « Steve Jobs africain » par les médias du monde entier. Le nom de sa société, VMK (Vou Mou Ka), en dit long sur sa détermination puisqu’il signifie « Réveillez-vous » en dialecte kikongo. Ce self-made-man congolais aux convictions inébranlables est le père de la première tablette tactile de conception africaine, la Way-C, lancée en 2011, et du premier smartphone africain, Elikia (« Espoir » en lingala, la langue nationale du Congo), mis sur le marché fin 2012. Des faits d’armes qui lui ont valu en 2013 d’être classé par le magazine Forbes dans le Top 30 des entrepreneurs africains de moins de 30 ans.

Depuis qu’il s’est lancé dans l’aventure entrepreneuriale il y a cinq ans, Vérone Mankou endosse les habits d’ambassadeur d’une Afrique décomplexée, sûr de sa bonne étoile sur un marché qu’il considère comme le dernier relais de croissance de l’industrie du mobile, « à moins de rapidement coloniser Mars », ironise-t-il. Difficile de lui donner tort au regard du potentiel qu’affiche un continent qui, aujourd’hui, attise toutes les convoitises : 1,1 milliard d’habitants, un taux de pénétration moyen actuel de la téléphonie mobile de 36%, 525 millions de smartphones en circulation attendus en 2020 contre seulement 72 millions en 2013, et un taux de connection à la 3G qui devrait bondir de 15 à 52% sur la même période*. « Nous devrions assister dans les prochaines années à l’explosion d’un marché actuellement évalué à 50 Md€ qui croît en moyenne de 20% par an », indique Jean-Michel Huet, directeur associé du cabinet de conseil Bearing Point.  

Vérone Mankou entend évidemment prendre part à la révolution qui s’annonce en développant une stratégie ambitieuse : contrôler toute la chaîne de production, de la conception à la distribution. Lui qui rêve de faire du Congo une terre de technologies a entrepris, avec le soutien de l’État, la construction d’une usine d’assemblage au coeur de Brazzaville afin d’offrir à ces clients des produits 100% congolais. Un avantage concurrentiel qu’il estime déterminant dans sa conquête du continent et qu’il exploite déjà comme argument marketing. Tous les produits VMK affichent désormais sur leur dos la carte de l’Afrique pour démontrer la portée de sa démarche. Des produits qui trahissent une obsession : mettre à la disposition du plus grand nombre d'Africains des outils de communication de qualité, capables de rivaliser avec les grandes marques, mais à un prix abordable. Les derniers-nés de la gamme Elikia, le S et le XS, sont ainsi respectivement vendus à 19 900 francs CFA (environ 30 €) et 11 900 francs CFA (environ 18 €), et le smartphone Elikia L est quant à lui commercialisé 65 000 francs CFA (moins de 100 €).

Ce positionnement « made in Africa » est également un message adressé à la concurrence, qui ne s’est pas fait prier pour multiplier les offres low cost en direction des pays émergents : en 2013, Samsung a ainsi créé ses terminaux « Built for Africa » ; la même année, Microsoft s’est associé au géant chinois Huawei pour lancer son « Huawei 4 Africa ».

La stratégie choisie par VMK interpelle par son audace. Car la toute nouvelle usine, qui sera inaugurée au mois de mai pour adopter sa vitesse de croisière dans deux ans, prévoit également d’assembler des produits d’autres marques. Le premier partenaire à profiter de ses infrastructures devrait être la société hongkongaise Omate, spécialiste des montres connectées. Pour justifier ce pari insensé, Vérone Mankou s’appuie sur un constat simple : « la main-d’oeuvre congolaise est aujourd’hui 15% moins chère qu’en Chine, où nous faisons pour le moment assembler nos téléphones et tablettes. Miser sur l’Afrique va bientôt devenir une évidence pour bon nombre d’entreprises dans le monde, prédit-il. Nous ne faisons qu’anticiper le phénomène. » Un plan de formation de la centaine d’ouvriers de l’usine a été enclenché avec des partenaires chinois pour être rapidement opérationnel. Car le manque de qualifications demeure la principale contrainte à surmonter au Congo, et de façon plus générale en Afrique.

Une barrière que Vérone Mankou s’emploie à lever en multipliant les initiatives destinées à faire émerger les talents qui ne demandent qu’à travailler dans les nouvelles technologies. « Il est hors de question que le Congo soit le dernier de la classe en Afrique, confie le jeune industriel. Je considère mon pays comme une start-up nation et il est temps, ici comme sur tout le continent, de donner la priorité à la matière grise comme matière première. » Une jolie formule qui s’est matérialisée avec la création du BantuHub, un incubateur destiné à favoriser l’émergence de start-up. L’objectif affiché de V. Mankou est de sensibiliser un millier de jeunes à l’entreprenariat d’ici à deux ans et faire émerger une vingtaine de start-up viables. Il se dit prêt à en financer certaines via son propre fonds d’investissement JPC (pour Jeune Pousse Capital), doté à son lancement en janvier 2014 de 250 000 $.

Pour assouvir l’ambition de son fondateur, VMK se doit néanmoins d’étendre son activité à l’international. Car, comme l’indique Jean-Michel Huet, « chaque marché est corrélé à la taille de sa population. Or, le Congo, avec ses 4 millions d’habitants, ne pèse que 440 M€. » Le jeune industriel prévoit d’ouvrir cette année des VMKstores sous le forme de joint-venture en Côte d’Ivoire, en RDC, au Cameroun et au Rwanda (8 villes au total), avec un objectif de 200 000 clients recrutés d’ici à fin 2015. « À terme, je veux que VMK soit numéro un en Afrique et couvre les 54 pays du continent », clame Vérone Mankou. Réaliste ? « S’il parvient à s’implanter  dans cinq à dix pays d’ici à 2020, je lui tirerai mon chapeau », répond J.-M. Huet, qui sait combien il est difficile de pénétrer de nouveaux marchés en Afrique, à cause notamment de droits de douane très élevés.

Pionnière dans les NTIC, VMK l’est assurément. Mais l’entreprise est encore petite et n’est pas à l’abri de dysfonctionnements qui nourissent immanquablement le scepticisme du marché à son encontre. Comme ce retard pris sur le lancement de la nouvelle version de sa tablette, l’Elikia HD, initialement programmée il y a dix-huit mois, mais qui ne sera finalement disponible qu’en avril prochain. « Il m’en faut plus pour m’empêcher de dormir, relativise V. Mankou. En tant qu’Africains, nous devons nous battre contre des préjugés qui ont la vie dure. Nous ne bénéficierons jamais des moyens d’un Samsung, mais nous avons un continent derrière nous. Et si j’ai bonne mémoire, toutes les guérillas ont été gagnées grâce au soutien de la population locale. » 

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