Visibilité
Plus d’une publicité sur deux n’est pas vue sur internet. Mais comment mesurer la visibilité? Selon quels critères? Tour d’horizon d’un sujet sensible qui touche à l’efficacité et à la valorisation des campagnes.

Le marché publicitaire n’a pas attendu l’émergence du programmatique pour se pencher sur la question de la visibilité des campagnes digitales. Et pour cause: 57 % des impressions publicitaires servies ne sont pas vues, selon le dernier baromètre réalisé en décembre 2014 par Kantar Media et Adledge. Un sujet délicat, qui a de quoi désarçonner des annonceurs cherchant à maîtriser leurs budgets, alors que le poids du digital ne cesse de croître dans leurs dépenses média. Et qui fait toujours autant débat sur un marché conscient des enjeux: il en va de l’efficacité et de la valorisation des campagnes, mais aussi de la rémunération des acteurs de ce marché, dont certains vendent d’ores et déjà des publicités avec garantie de visibilité.

Pour la mesurer et l’optimiser, des solutions technologiques sont utilisées quel que soit le canal ou le support – ordinateur, mobile, vidéo… La première a été conçue dès 2007 par la société française Alenty, acquise en juin 2014 par l’américain AppNexus, l’un des principaux acteurs mondiaux, avec Google, de l’achat programmatique.

Depuis, une bonne dizaine d’outils cohabitent. Pour garantir leur fiabilité, l’unique critère existant à ce jour est l’accréditation accordée par le Media Rating Council (MRC), association américaine indépendante dont la mission est d’assurer la validité et l’efficacité des outils de mesure d’audience. Mais ils sont loin de satisfaire les spécialistes de la publicité en ligne, qui s’interrogent sur la pertinence des critères de visibilité utilisés, soit 50 % de l’annonce vue en moins d’une seconde. C’est notamment le cas d’Arthur Millet, président du SRI, interviewé dans ce supplément (voir l’interview p. 22).

« Nous constatons de grosses différences dans les résultats fournis par ces différents outils, ce qui pose le problème de l’homogénéité des méthodologies de mesure, regrette Fabien Magalon, directeur général de La Place Media. Or il n’est pas acceptable qu’un unique emplacement ait autant de scorings de visibilité qu’il existe d’outils de mesure. »

Mouvement de fond

Une difficulté à laquelle Laurent Nicolas, président et fondateur d’Alenty, vient d’apporter un début de solution : « Depuis mi-avril 2015, notre technologie est directement intégrée à l’offre d’AppNexus, ce qui signifie que tous les clients ont accès en temps réel aux mêmes niveaux d’information, qu’ils soient acheteurs ou vendeurs. C’est une étape clé qui est franchie, favorisant d’autant la fiabilité et la transparence des données délivrées. »

Malgré la réelle portée de cette avancée, il n’en demeure pas moins que la solution miracle n’existe pas, comme le rappelle Romain Bellion, cofondateur d’Adloox, spécialisé dans l’audit de visibilité : « Il est totalement illusoire de croire que l’on pourra un jour atteindre un taux de visibilité de 100 %. » Quoi qu’il en soit, le marché s’organise. Aux États-Unis, l’Interactive Advertising Bureau (IAB), l’Association of National Advertisers (ANA) et l’American Association of Advertiser Agencies (4A) ont collectivement décidé, dans le cadre du projet Making Measurement Make Sense, de passer de l’impression « servie » à l’impression « visible » comme monnaie d’échange pour la publicité digitale, et ce dès le 1er janvier 2016. « C’est un mouvement de fond auquel l’Europe et le France n’échapperont pas, explique Yann Le Roux, directeur général France d’Integral Ad Science, autre spécialiste de la mesure. L’application à l’univers du programmatique reste à définir, mais l’intégration à des degrés divers de la mesure de la visibilité, aux ad servers et aux DSP notamment, montre bien l’importance croissante de cette dimension dans les échanges. »

Pour permettre l’installation de cette nouvelle norme, les Américains n’y vont pas par quatre chemins. L’IAB indique en effet que désormais 70 % des impressions vendues et mesurées doivent être garanties visibles. Et que si tel n’était pas le cas, « les éditeurs devront faire cadeau d’impressions visibles supplémentaires jusqu’à ce que ce seuil soit atteint ».

Ce seuil de 70 % n’a pas été défini par hasard. Dans son étude Visibilité Benchmark Report 2015, publiée le mois dernier, le spécialiste de la publicité en ligne Sizmek révèle que les publicités ayant un taux de visibilité supérieur à 70 % ont des performances plus élevées que toutes les autres impressions mesurables ayant une visibilité inférieure à ce taux. Si la visibilité fait débat, c’est qu’elle ne peut, pour les professionnels, être abordée sans la prise en compte d’une série d’autres paramètres. C’est l’avis de Yann Le Roux pour qui l’enjeu, aujourd’hui, est moins de se concentrer sur cette seule question de la visibilité que de l’élargir à tous les aspects de la qualité média, à commencer par la fraude. « Aux États-Unis, 14,5 % des inventaires vus le sont par des robots, commente-t-il. La visibilité seule a de moins en moins de sens. Elle doit être associée à une véritable prise en compte de la fraude. »

Attention au design

La question des formats est également d’actualité. Le baromètre de Sizmek indique en effet que le taux de visibilité d’une impression augmente avec l’adoption de formats innovants ou interactifs. Certains acteurs du marché insistent d’ailleurs sur la nécessité pour les éditeurs de repenser le design de leurs sites et l’intégration des publicités, en sortant de la seule logique above and below the fold, indiquant des impressions situées dans les parties supérieures et inférieures d’une page internet.

D’autant que de nouvelles approches voient le jour, qu’il s’agisse du lazy loading, qui consiste à afficher les publicités seulement lorsque l’internaute a scrollé jusqu’à l’emplacement de la création, ou du moment advertising, dont ADikteev s’est fait une spécialité. La start-up française identifie les moments les plus propices à la diffusion d’une publicité, comme par exemple juste après la lecture d’un article ou d’un partage sur les réseaux sociaux, avec pour idée de diffuser une publicité plus respectueuse, moins intrusive et plus efficace.

« Mais prudence, prévient Romain Bellion. Pour être efficaces, ces approches ne doivent pas être noyées sous une accumulation de formats différents (classique, interstitiel, plus un pré-roll vidéo, etc.) qui empêche leur bon chargement. Leur généralisation prendra du temps, car jusqu’à preuve du contraire, la logique des éditeurs est de privilégier le volume plutôt que la valeur unitaire d’un format, aussi original soit-il. » Faire mieux avec moins, voilà qui pourrait aussi servir la visibilité des campagnes.

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