Editeurs
Les groupes de presse commencent à automatiser la commercialisation et la transaction de leurs offres publicitaires. Et créent même leurs propres plateformes dédiées. Le début d’un long chantier qui les amènera à se pencher plus que jamais sur la data.

La presse papier commercialisée auprès des annonceurs par le programmatique ? C’est le virage pris en mars dernier par Time Inc. Le groupe américain, éditeur de Time, Fortune, People ou encore Wallpaper, a annoncé, en mars 2015, qu’il allait vendre les audiences et les emplacements publicitaires de dix-huit de ses titres au même titre qu’une publicité web. Un changement radical pour des régies, habituées à commercialiser une publication en particulier. « En fait, Time Inc. propose aux annonceurs d’acheter, via une plateforme centralisée, l’audience du print en complément de celle du digital, en reprenant le système du coût pour mille (CPM) de la publicité en ligne », décrypte Fabien Magalon, directeur général de La Place Media.

Pas question cependant pour l’annonceur d’adresser une communication individualisée à une cible précise comme sur le web. L’innovation porte essentiellement sur une commercialisation automatisée s’appuyant sur des segments d’audience de 5 millions à 89 millions de contacts. Une marque telle que Target pourra par exemple acheter une couverture efficace sur la cible luxe avec une page dans le magazine People et un dispositif digital. Le tout « à un tarif très avantageux », croit savoir Philipp Schmidt, directeur général de Prisma Média Solutions. L’idée de Time Inc. est de rendre le programmatique bimédia, voire transmédia, en associant les titres papier historiques aux canaux et innovations du web.

Mais qu’en est-il en France ? « Si le Time vend désormais son audience et non sa diffusion, ici, nous faisons encore l’inverse », déplore Philipp Schmidt qui rêverait de commercialiser les 23 millions de contacts du groupe

Prisma.

Fédérer des concurrents

Quoiqu’il en soit, l’initiative américaine est suivie de près dans l’Hexagone. En particulier par Marianne Siproudhis. La présidente d’Amaury Médias travaille depuis deux ans sur le projet Constantinople : une plateforme ouverte et connectée en temps réel aux agences média, qui permettrait de réserver les emplacements print et digital des grandes marques de presse. « Nul ne peut échapper au mouvement de digitalisation que connaît la société. Et il faut simplifier l’accès au média », explique-t-elle. L’objectif de cette centrale de réservation tout support inédite en France : automatiser les tâches commerciales qui n’ont pas de valeur ajoutée, comme la réservation ou la transaction, pour mieux se consacrer aux demandes des annonceurs et aux contenus. « Ma conviction, c’est qu’une plateforme centralisée est le meilleur moyen de partager les coûts et de valoriser nos offres », soutient la présidente d’Amaury Médias, qui espère que Constantinople pourra voir le jour avant l’été.

Un chantier toutefois encore difficile à concrétiser. Il demande en effet de réunir plusieurs éditeurs rivaux et plusieurs médias. Or l’expérience de la création de places de marché – La Place Media et Audience Square – a montré la difficulté de fédérer des concurrents dans une seule et même entité.

En attendant, et forts de l’expérience acquise avec ces places de marché, les éditeurs français se sont mis à voler de leurs propres ailes en vendant leurs audiences en programmatique directement auprès des annonceurs. Une façon de mieux les valoriser. Aux dires du marché, le recours aux places de marché d’éditeurs est d’ailleurs très minoritaire. « Cela représente au total 9 % de notre activité sur le numérique. Et toutes régies confondues, 24 % des investissements publicitaires passent par les places de marché », indique Alexis Marcombe, directeur général digital du Figaro Médias. Même discours au Monde, qui l’évalue à 10 % de son chiffre d’affaires digital pour un volume de plus de 6 milliards d’impressions vendues en 2014. Quant à Mondadori Publicité, « grâce aux ventes qualifiées, de moins en moins d’inventaires sont commercialisés en RTB qui est interdit sur nos sites premium – Biba, Grazia, Auto Plus…–, précise sa directrice exécutive Valérie Camy. Le RTB reste un sous-moyen. »

Système de club privé

Visiblement, les éditeurs média souhaitent reprendre la main sur leurs inventaires, ne serait que pour pouvoir les vendre plus cher. Aux invendus achetés à l’aveugle sur les places de marché, ils garantissent à une marque une présence sur leurs sites premium.

« L’avènement du programmatique direct, qui apporte à l’acheteur un inventaire garanti à prix fixe, devrait se développer très concrètement cette année », annonce ainsi Elisabeth Cialdella, la directrice déléguée marketing et communication de M Publicité.

En fait, les régies misent de plus en plus sur des accords avec les annonceurs ou les agences média. « En théorie, tout le monde peut acheter en programmatique, mais en pratique, il existe de plus en plus de barrières, analyse Pierre Calmard, le président d’Iprospect, pôle performance marketing digital de Dentsu Aegis Network. Elles sont technologiques, mais proviennent aussi de la concentration de 95 % de la publicité mondiale aux mains des agences média. Les six grands groupes mondiaux bénéficient d’accords grâce auxquels vous avez plus ou moins accès aux bons espaces. » Deals ID, private deals ou accords préférentiels… L’appellation employée varie, mais le principe reste le même.

Pour Marie Le Guével, directrice générale d’Amnet, le trading desk de Dentsu Aegis Network, « il s’agit pour une marque d’accéder, dans des conditions spécifiques et avant tout le monde, à des inventaires réservés à un groupe d’annonceurs autorisés à participer aux enchères. »

Un système de club privé que certains voudraient voir évoluer. Chez Lagardère Publicité, on estime ainsi que la concurrence doit s’exercer à tous les niveaux et concerner l’ensemble des inventaires. « Pour nous, l’objectif, à terme, est de retenir l’annonceur le plus offrant, que sa demande passe par La Place Media, le programmatique direct ou un accord de gré à gré », estime Alix Pandréa, directeur général adjoint digital de la régie. Encore faut-il, pour choisir le meilleur CPM, être capable de mettre en temps réel les différentes demandes venant des plateformes. Ce qui n’est pas encore le cas. Enfin, certains ne souhaitent pas faire des enchères un passage obligatoire et systématique. À l’instar de Prisma, première régie à systématiser les deals privés, en garantissant les formats, les emplacements premium, le volume et les tarifs.  

Plus de contenu

Reste que passer par ces deals préférentiels est à ce jour le seul moyen pour un annonceur de bénéficier d’un service sur mesure. « Les segments qui sont créés pour les besoins d’une campagne se font uniquement dans ce cadre », souligne Alexis Marcombe. Car le chantier ouvert par les éditeurs dans le domaine de la data nécessite des investissements conséquents. « La plupart sont maintenant accompagnés par des sociétés spécialistes de la qualification et du ciblage comme Nugg.ad et Ezakus, note Marie Le Guével. C’est un moyen de connecter les inventaires et les audiences, afin de faire des offres plus précises et plus organisées. » Mais rares sont encore ceux qui, comme Prisma, Amaury ou Le Figaro, se dotent de leur propre plateforme de données DMP. « C’est même étonnant de voir le peu de travail fait sur l’analyse sémantique de leurs contenus, à l’inverse de Google, qui étudie cela en permanence. Ceci alors même que ces éditeurs mettent en avant le contrat de lecture et la singularité de leur contenu », s’étonne Pierre Calmard.

Pourtant, l’importance accordée à ce sujet est unanime. « C’est notre expertise sur la data qui nous permet de travailler dans l’univers du luxe, notamment, pour un CPM pouvant atteindre les 50 euros et plus », reconnaît Alexis Marcombe. Un montant qui devrait susciter quelques envies chez les concurrents.

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