Design
L'exposition «Oracles du design», à la Gaîté lyrique, à Paris, propose, sous la direction de la chasseuse de tendances Lidewij Edelkoort et en partenariat avec le Centre national des arts plastiques, une plongée instinctive dans l'univers des objets.

Si l’on persiste à se demander si les objets inanimés ont une âme, ce dont on peut être sûr, c’est qu’ils ont une voix. Et ils sont bavards, presque jacassants, en français, en anglais, et parfois avec l’accent allemand. «Mon écran tactile est une révolution», plastronne l’iPod Touch d’Apple. «I have stretched out to pamper you» («je me suis étiré pour vous dorloter»), susurre la banquette Charpoy de Doshi Levien… Dans l’antichambre de l’exposition Oracles du design, à la Gaîté lyrique jusqu’au 16 août, comme sur le catwalk des défilés, une parade de pièces noires accueille le visiteur. «Une sorte de carottage de ce qu’est le design, avec aussi bien le Kelly d’Hermès qu’une cocotte Aldo Rossi pour Alessi ou encore le fauteuil Big Easy de Ron Arad, la pièce la plus onéreuse de la collection», résume Juliette Pollet, conservatrice du patrimoine et responsable de la collection design et arts décoratifs du Centre national des arts plastiques (Cnap).

 

«Nous n’avions pas encore, au sein de la Gaîté lyrique, lieu de tendances tourné vers le numérique, abordé le design comme objet», souligne Jérôme Delormas, directeur de l’espace culturel sis dans le 3e arrondissement parisien. Carte blanche a été donnée à Lidewij Edelkoort, chasseuse de tendances et ex-membre de la commission d’achat du Cnap, qui a affiné une première sélection de 800 pièces pour choisir d’en présenter 250. «Elle ne porte pas un regard d’historienne, de théoricienne, souligne Juliette Pollet. L’exposition, intuitive, suit les sinuosités de la pensée.» «Le design, écrit Liedewij Edelkoort, peut être vu comme un oracle qui nous fait part de notre destin.» Au fil de la déambulation, dix thèmes racontent dix histoires: simple, humble, curieux, gonflé, abstrait, naïf, nomade, mutant, organique et archaïque. Morceaux choisis.

 

Humble. «Après les objets noirs et bavards, le visiteur découvre, sur un podium immaculé, des objets blancs qui ne disent rien d’autre qu’eux-mêmes», décrit Juliette Pollet. Dans un espace immersif, bercé par une suave bande son, on découvre, comme le voulait Liedewij Edelkoort, «une sorte de temple du design, une chasteté de la culture qui annonce une vie ascétique, où l’homme réduit sa consommation au profit de la méditation et de la culture». S’y succèdent la table basse K-baby de Charles Kaisin, la sandale Puma de Philippe Starck, le porte-savon Sain et sauf de Tsé&Tsé associées.

 

Gonflé. À la discrétion se substitue l’hyperbolique. «Le côté doudoune, rembourré, ballonné exprime le besoin de protection, à une époque où l’on a besoin de se rassurer», souligne Juliette Pollet. Au centre, l’étonnant coussin Weight Cloning, des 5.5 designers, en forme de bedon potelé, appartient à une collection de mobilier biométrique dénommée Cloning, inspirée des techniques du clonage médical et élaborée d’après les caractéristiques physiques de son commanditaire, en l’occurrence le designer Frédéric Beuvry.

 

Nomade. Sa forme est ultra-familière, et pas seulement pour les adeptes du camping. La bouteille de gaz Viséo de Butagaz ouvre la section «Nomade»: «L’un des faits marquants de la société contemporaine est son caractère mobile: familles recomposées, déménagements…», explique Juliette Pollet. Recherche d’objets pliables, transformables… La chaise Kawakubo de Rodrigo Almeida, qui rend hommage à Rei Kawakubo, fondatrice de la marque Comme des Garçons, utilise des pièces de rebut, en les mariant à des tissus récupérés et en leur donnant des allures de costumes traditionnels japonais.

 

Mutant. L’idée est tout autant simple que belle. La série de vases #44 de François Brument reproduit, en trois dimensions, l’empreinte de la voix humaine, voire d’un simple souffle. Chaque pièce, issue d’un programme de modélisation, est différente de sa voisine, à chaque fois unique par sa forme. Cette section explore les nouveaux chemins ouverts par l’impression 3D avec, en marge, l’œuvre de Mathieu Lehanneur Demain est un autre jour, objet mural connecté à la météo du lendemain et dont la luminosité varie en fonction des prévisions. Le designer a lui aussi déjà travaillé sur la base de modélisations 3D à travers son œuvre L’Age du monde, des jarres qui mettent en volume les pyramides des âges du monde entier.

 

Archaïque. «Face à une société en fin de cycle, aux systèmes de pouvoir obsolètes et à une économie anéantie, certains jeunes créateurs cherchent refuge dans le début des temps, en explorant plutôt les fouilles archéologiques que les données contemporaines», écrit Lidewidj Edelkoort. L’Evolution Lovers’ Chair de Nacho Carbonell, version moderne des confidents du XIXe siècle, dont l’appendice central constitue une alcôve pour les secrets, voire les baisers, ferait presque penser, par sa forme, à un bison préhistorique. La lampe Ruminant Bloom de Julia Lohmann se compose d’une panse de vache séchée et d’un système électrique, la suspension Uggi-Light de Dögg Gudmundsdottir et de Fanney Antonsdottir luit à travers une peau de morue préalablement soumise à la dessiccation… «Ce choix culturel unique, qui fait place aux matières brutes et à des finitions hirsutes, traduit notre instinct de survie», estime Lidewidj Edelkoort. Et, après le fondu au noir du début de l’exposition, la parade des objets s’achève avec, en toile de fond, un paysage de brousse encore sauvage, bruissant et inexploré.

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