Dossier Luxe
Barbara Coignet, spécialiste en communication événementielle et fondatrice du salon 1.618, œuvre pour une alliance du luxe et du développement durable. Retour sur les avancées et les enjeux d’un secteur contraint, qu’il le veuille ou non, de se faire plus durable.

Jane Birkin a demandé à Hermès de "débaptiser" le sac en crocodile à son nom pour cause d’abattage cruel des animaux. Hermès pouvait-il s’y attendre ?

Barbara Coignet. Globalement, les consommateurs exigent dorénavant plus d’éthique et de bonnes pratiques de la part des entreprises. Ici, il s’agit d’une star. Donc cela a forcément plus de poids. Cette affaire a fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux. Ce qui a poussé Hermès à reconnaître une mauvaise gestion de ses fermes de crocodile. L’entreprise s’est engagée à ce que cela change. Et Jane Birkin a accepté de laisser son nom.

 

Une bonne réponse d’Hermès…

B.C. Extraordinaire. Certains auraient pu nier ou faire les morts. Ils ont choisi d’endosser leur responsabilité d’entreprise. C’est au minimum ce que l’on attend d’eux. Et in fine, cela redore la marque. Dans le développement durable, le 100% parfait n’existe pas, mais les entreprises du luxe doivent prendre conscience que se tromper, faire des erreurs peut être bénéfique.

 

N’est-ce pas encore plus difficile pour un secteur soucieux d’excellence ?

B.C. Culturellement, l’industrie du luxe est effectivement basée sur l’excellence et le mystère. Or le développement durable demande aux marques d’accepter d’être potentiellement imparfaites et transparentes. Pour elles, c’est difficile. Mais elles ne peuvent pas pour autant être exemptes de ce monde qui change. D’autant que la pression et les attentes du public sont grandes vis-à-vis des marques de luxe. Sur ces sujets-là, on attend également qu’elles fassent preuve d’excellence.

 

Hermès a lancé une ligne de produits recyclés, Petit h. C’est donc une marque engagée par ailleurs ?

B.C. Contrairement à d’autres, Hermès n’a jamais été fast luxury. Depuis des décennies, l’entreprise mise sur le produit fait à la main, la notion du temps – qui est une valeur très importante –, les matériaux précieux, l’artisanat. Et elle a eu envie de travailler les chutes des tissus, le restant des matières avec différents créatifs qui viennent dans ses ateliers concevoir des produits recyclés.

 

Mais ils ne communiquent pas sur ce sujet…

B.C. Hermès n’utilise pas le terme de recyclage. La marque parle de série limitée de luxe créée avec des designers. C’est comme pour Stella McCartney. C’est une marque engagée qui explique ses choix et pratiques mais sans que cela devienne ringard ou rébarbatif. Elle a su rester avant tout une marque de mode créative. C’est tout l’enjeu de la communication sur le développement durable. Se présenter comme une marque écolo fonctionne plutôt mal dans la mode. C’est d’ailleurs l’écueil des marques équitables de coton bio ; il faut avant tout être désirable. Reste qu’aujourd’hui, les marques doivent prendre d’une manière ou d’une autre la parole sur ces sujets.

 

Le consommateur de luxe est-il vraiment en attente de produits durables ?

B.C. Tout dépend des pays. Dans le vieux monde, le très riche est de plus en plus sensible aux problématiques éthiques et écologiques. Il attend d’une marque de luxe qu’elle soit, a minima, engagée sur un chemin propre. Il ne souhaite pas forcément savoir lequel mais il détesterait savoir que ce n’est pas le cas. La partie sociale est, à ses yeux, moins importante. Dans d’autres pays comme Dubai, le Brésil, la Chine ou la Russie, c’est encore la notion de consommation qui prime. L’acheteur privilégie ce qui brille, une jolie marque lui offrant un statut social. Mais même en Chine, il y a des évolutions. Là-bas, les riches, qui sont de plus en plus jeunes, vivent dans de grandes villes très polluées. Ils ont un besoin de durabilité et de propreté important.

 

Pourquoi changer si les attentes ne proviennent que de minorités ?

B.C. La consommation du luxe évolue. Bientôt, tous les marchés seront matures et auront les mêmes attentes. Il ne s’agira plus d’afficher un logo. Pour 1.618, les icônes du luxe seront sans aucun doute à l'avenir un moment, une expérience, un service, des valeurs. L’envie d’un luxe plus discret et clairement engagé se fait sentir. Après la quête de visibilité et de marketing à outrance, c’est une nouvelle étape, un cycle. Enfin, le luxe ne se réduit pas à un bel atelier en Italie. C’est une industrie. Et un industriel qui compte dans le monde a de vraies responsabilités. Il ne peut se contenter de faire un maximum d’argent et de faire plaisir à la Bourse. Certaines entreprises, comme Kering, l’ont compris.

 

Sa démarche est-elle assez innovante, pionnière ?

B.C. François-Henri Pinault a été touché par la grâce du développement durable et depuis le soutien du film Home, en 2009, le sujet est dans tous ses discours et ses choix. Le groupe et ses marques ont des actions très concrètes, comme celle de Gucci qui a fait un travail énorme pour bannir certaines compositions de ses collections. Il a par ailleurs une superbe marque Stella McCartney, un cas assez génial de marque engagée qui continue à générer du chiffre d’affaires. C’est un exemple à suivre et qui prouve qu’il est possible de réussir et de faire du business en portant ces sujets.

 

Et chez LVMH ?

B.C. Sa responsable de l'environnement, Sylvie Bénard, fait beaucoup et très bien mais son action n’est pas personnellement portée par Bernard Arnault comme chez Kering. Cela  change tout. Richemont travaille aussi beaucoup sur ces sujets, notamment sur la traçabilité et l’exploitation des métaux et des pierres précieuses qui est leur enjeu principal. Ils sont d'ailleurs venus expliquer leurs avancées lors de la journée de conférences 1.618 sur «les sourcing responsables dans le luxe», en avril dernier.

 

Qu’en est-il de Chanel ?

B.C. Côté mode, ce groupe a longtemps été à la traîne. Or les équipes communication et marketing de ce pôle ont récemment annoncé qu’elles travaillaient sur ces sujets. C’est important car c’est quand même la marque la plus adulée dans le monde. Si elle bouge, elle peut en faire bouger beaucoup d’autres. Nous croyons à l’effet d’entraînement. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons choisi de nous centrer sur le luxe. Ce secteur a toujours été copié et imité. Si l’on peut le faire pour de bonnes raisons, c’est extraordinaire.

 

Qu’en est-il des jeunes marques indépendantes ?

B.C. Beaucoup de solutions viennent de ces jeunes entreprises aux structures plus légères et réactives, portées par les convictions et la passion de leurs fondateurs. 1.618 les met en avant dans ses événements et dans son guide végétal. Elles intéressent aujourd’hui l’industrie du luxe en quête de solutions innovantes et durables. Elles créent un dynamisme hors norme sur ce marché parce qu’elles ont la culture du test et de la prise de risque. Pour elles, défricher est un mot magique alors que le luxe a plus de dificultés face au changement, a peur de ne pas réussir, de faire moins de chiffre d’affaires.

 

Quels sont vos coups de cœur ?

B.C. Je pense à l'hôtel Areias do Seixo au Portugal ou à Sextantio en Italie que j’adore et qui font des choses exceptionnelles en matière de protection de l’environnement avec la cool attitude du nouveau luxe, qui met l’accent sur l’humain, le partage, la convivialité, l'expérience, la connexion avec les populations locales. Je pourrais également citer la marque de joaillerie éthique haut de gamme JEM, née en 2008, qui raconte son combat de chaque jour pour faire en sorte que sa collection émane de mines propres. Elle est pionnière sur ce sujet-là. Toutes ces marques, 1.618 les recense progressivement et les présente sur notre site. Les 100 meilleures seront prochainement réunies et visibles en ligne sur guide.1618-paris.com.

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