Dossier Etudes
Difficile, à l’heure du mobile, d’établir des audiences réelles ou encore de définir des modèles de contribution justes des actions digitales. Les outils de mesure sont condamnés à évoluer. Le marché s’organise.

«Il y a pire que les agences de notation: Médiamétrie Net Ratings». Avec un article ainsi titré, Éric Leser jetait en 2012 un pavé dans la mare. Le directeur général du magazine en ligne Slate dénonçait tout à trac le «monopole» exercé par l’organisme sur la mesure d’audience d’Internet en France, son « conflit d’intérêts consubstantiel » ou ses supposées « manipulations » de statistiques. À l’époque, Médiamétrie avait répondu à cette attaque, arguments à l’appui. Mais quatre ans plus tard, force est de constater que la méthodologie proposée par l’organisme est encore loin de faire l’unanimité, alors qu’un nouveau front s’ouvre ailleurs, cette fois au sujet des modèles de contribution et d’attribution au « last click » qui font référence pour mesurer la performance d’une publicité digitale. Sans parler du sujet de la visibilité de la publicité digitale dont s’est emparé récemment le Syndicat des régies Internet avec ce constat : un trop grand nombre d’acteurs sur le secteur de la mesure aux méthodologies différentes.

« Je ne retire rien au constat que je faisais à l’époque, note aujourd’hui Éric Leser. Depuis, la lutte contre les éditeurs qui trichaient en dopant leur audience a été menée. Médiamétrie a pris des mesures pour faire la police. Mais la façon dont fonctionnent ses algorithmes me semble toujours aussi étonnante. Comment se fait-il qu’en novembre dernier, alors que nous avons enregistré après les attentats des audiences sans précédent, les chiffres de Médiamétrie, eux, n’aient pas bougé ? » Pour Médiamétrie, qui indique avoir au contraire publié pour ce mois-là des chiffres en progression de plus de 30 % pour les sites d’actualité majeurs, le décalage peut venir du contexte. « Dans une période de surconsommation des médias, les gens multiplient l’accès aux sources d’information en se connectant à plusieurs écrans, argumente Estelle Duval, directrice du département Internet et de Médiamétrie NetRatings. Il est donc logique que nos mesures “user centric”, avec lesquelles nous dénombrons des individus et pas des terminaux, soient différentes des mesures “site centric” ».

Mesurer l’internet mobile

En 2016, les critiques portent maintenant sur l’incapacité supposée de Médiamétrie à prendre en compte tous les nouveaux usages d’internet, et notamment les sites en https. C’est du moins la critique formulée, sous le sceau de la confidentialité, par bon nombre de nouveaux entrants sur le marché du digital. « Le problème se pose pour toutes les plateformes “mobile first”, indique l’un d’eux. Dès lors que le mobinaute va sur une application loggée avec mot de passe et identifiant, il n’est pas pris en compte. Cela nous pénalise car, pour certains d’entre nous, 80% du trafic passe par le mobile ».

Médiamétrie, qui revendique d’avoir été le premier acteur au niveau européen à lancer une mesure de l’internet mobile en 2010, a fait de 2016 « l’année du mobile ». Et mis en place une évaluation de l’internet global sur les trois écrans : ordinateur, tablette et mobile. « Notre priorité, explique Estelle Duval, c’est la mesure du protocole https qui offre un accès sécurisé. Jusqu’ici surtout utilisé par les banques et les services de messagerie, il est de plus en plus exploité par les médias. Il va donc nous falloir passer d’un système de mesure établi avec les trois opérateurs (SFR, Orange et Bouygues Telecom ndrl) à un système de panel équipé d’un logiciel. Cette nouvelle mesure, effective d’ici à juin, présentera aussi l’avantage de prendre en compte directement les clients de Free, ainsi que toutes les utilisations du wi-fi.»

En parallèle, Médiamétrie travaille sur un autre chantier, la mesure vidéo, un usage de plus en plus important chez les internautes français, et de plus en plus mobile. « Nous allons lancer au deuxième trimestre une mesure vidéo trois écrans, annonce Estelle Duval, par le biais d’un marqueur inséré dans le player vidéo des éditeurs. » Depuis 2011, date du lancement de sa mesure d’audience vidéo, Médiamétrie comptabilisait uniquement les vidéos vues sur ordinateur.

Intégrer le parcours client

Le sujet du mobile est en effet crucial pour les acteurs du marché. « C’est d’autant plus important d’avoir une vision juste de l’ensemble des écrans que les chiffres de Médiamétrie établissent la prise de pouvoir en 2015 du mobile, qui représente désormais plus de la moitié des visites sur Internet en France, souligne Renaud Ménérat, président de la Mobile Marketing Association France. Si l’on n’arrive pas à mesurer les connections sur des sites comme Facebook ou Twitter depuis les mobiles, parce qu’ils sont en https, on rate beaucoup de choses. » Franck Lewkowicz, directeur général France de Quantcast, relève que Médiamétrie reste le standard du marché. « C’est le thermomètre, explique ce dirigeant. On ne va pas le casser ! Il reste indispensable pour se faire une idée des grands carrefours d’audience. » Mais sa société prospère depuis deux ans en proposant aux éditeurs français, en complément des données de Médiamétrie, un outil de mesure en temps réel plus à même de les aider à monétiser leur audience.

L’autre brèche dans le système de mesure d’internet concerne non plus l’audience, mais les modèles de contribution des différents leviers et points de contact digitaux participant à la conquête d’un client. « Pour quantifier leur performance, beaucoup d’annonceurs, en France, se fient au last click », détaille Hadrien de Nijs, head of data analysis chez Tradelab, une plateforme de marketing programmatique. Cela signifie que la conversion, une vente par exemple, est forcément attribuée au dernier acteur qui a interagi avec l’internaute. C’est le modèle popularisé et porté par Google et Criteo. Mais ce système, qui fait encore référence sur le marché, est jugé contre-productif par l’ensemble de l’écosystème digital qui cherche à affiner l’influence et l’impact des leviers d’action sur l’ensemble d’un parcours client. Il n’est par ailleurs pas adapté aux campagnes digitales axées sur l’image et la notoriété d’une marque.

Répartir les mérites

Du coup, cet ingénieur de Tradelab a mis au point une nouvelle méthode qui consiste à comparer un groupe test, exposé à une publicité, à un groupe témoin, qui ne l’est pas, pour estimer de manière scientifique l’apport en valeur d’une campagne publicitaire online. « En regardant comment évoluent ces deux univers clonés que seule différencie leur exposition à la publicité, on peut mesurer ce qui se fait naturellement et ce qui se fait grâce à la publicité », analyse-t-il.

D’autres acteurs, comme Eulerian, proposent des modèles de contribution cross-canal qui prennent aussi en compte le SEA, l’e-mailing… « Dans un parcours client, note Hélène Fauveau, responsable marketing contenus d’Eulerian, le consommateur est exposé à différentes actions publicitaires. À qui attribuer la vente ? Qui est le contributeur réel ? C’est une question de rémunération, bien sûr, mais l’enjeu est aussi, pour un annonceur, de comprendre son business pour déterminer au mieux sur quels leviers investir. »

Président de S4M, une société créée « pour aider les annonceurs à faire des campagnes publicitaires sur le mobile », Christophe Collet voit plus loin. « Nous sommes désormais capables de relier une vente en magasin à une impression publicitaire, avance-t-il. Grâce au mobile, nous pouvons, via le Wi-Fi et des capteurs Bluetooth, relier les deux mondes, le off et le on line, et ainsi établir que telle personne venue commander un repas dans un fast-food aura été exposée à la publicité de l’enseigne. » De quoi affiner une mesure de la publicité digitale en pleine évolution.



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