Dossier Digital
L’exploitation des données sociocomportementales ne comble pas toutes les attentes des professionnels du marketing. Pour mieux cerner le consommateur, ils cherchent dorénavant à sonder sa psychologie.

C'est le nouvel or noir, le filon à exploiter, la source de la performance. Et pourtant, les données recueillies par les algorithmes sur le web - âge, sexe, localisation, précédent achat, parcours de visite - ne suffisent pas à combler toutes les attentes des directeurs marketing. Chez General Motors, par exemple, les équipes commerciales sont épaulées, depuis juin 2015, par un sémiologue chargé de lire dans les pensées des internautes. « Auparavant, un consommateur se faisait connaître chez un concessionnaire à même d’évaluer ses intentions d’achat  par de la communication non verbale, témoigne Ollivier Monferran, responsable digital et CRM du groupe automobile. À l’heure du digital quand il est plus facile et moins impliquant de visiter un site, il nous a fallu apprendre à cerner ce non verbal sans contact physique ». Par téléphone, une équipe de vendeurs relance donc les prospects ayant effectué une demande sur le web. Intonations, dynamisme de la voix, temps de réponse… le sémiologue écoute et qualifie les échanges « audios ». Les convaincus répondent vite et clairement, discutent des détails. Ceux qui n’ont aucune intention d’acheter ne posent pas de question. Leur débit est lent ou hésitant ; inutile alors pour eux de forcer la prise de RDV. Entre les deux, les indécis ont un projet à valider dans le temps ou vis-à-vis de la marque. Et là, le vendeur endosse un rôle de réassurance. « On parle beaucoup d’algorithmes, de programmatique, mais j’ai la conviction profonde que cela déshumanise la relation client. Le sémiologue apporte une autre vision, nous aide à déployer de nouveaux champs lexicaux, à affiner les profils que nous voulons toucher et à gagner en efficacité», explique Ollivier Monferran.

Neuromarketing à l'appui

Dans un autre registre, la jeune start-up Mindlytix, fondée par Luc Thang Tran, souhaite, elle aussi, aller plus loin dans la connaissance de l’état d’esprit des consommateurs. « Si le programmatique permet de toucher la bonne personne avec le bon message, nous souhaitons maintenant que ce message lui parvienne au meilleur moment de sa journée ou de sa vie », explique Luc Thang Tran. C’est l’objet de sa plate-forme technologique capable d’analyser son parcours digital en amont. « Nous partons du principe que le contexte dans lequel évolue l’internaute est primordial pour la bonne réceptivité d’une campagne et donc son efficacité ».

Peut-on aller encore plus loin ? Certaines démarches font appel au neuromarketing, discipline qui applique au marketing les enseignements des neurosciences cognitives. « Les chercheurs ont démontré que les êtres humains prennent leurs décisions de façon inconsciente puis les justifient rationnellement ; plus de 80 % des informations seraient prises en charge par notre cerveau émotionnel », explique Christophe Dané, CEO de Digitall Makers, agence conseil en stratégie digitale. « Le cerveau, c’est mille milliards de neurones sans mode d’emploi, renchérit Marc Van Rymenant, CEO de l’agence belge Netway.

Depuis la nuit des temps, notre système limbique, ou cerveau émotionnel, assure notre survie. Il filtre les informations et élimine tout ce qui ne répond pas à un besoin ; l’émotion, ce n’est pas le sentiment, c’est un système physiologique ». Avec une équipe de spécialistes en psychologie cognitive, il teste ainsi les créations de son agence de design numérique à l’aide d’outils mesurant l’activité du cerveau (eye tracking, électroencéphalogramme, IRM), ce qui lui permet d’identifier le mot ou l’icône qui « coince ». C’est la forme la plus connue du neuro-marketing, très développée aux États-Unis. En France, il est interdit d’utiliser l’IRM à d’autres fins que médicales, mais pas l’eye tracking. Antoine Gassot de Matière Grise Consulting travaille sur les mécaniques de l’attention : que voit-on pendant les cinq premières secondes, comment sommes-nous influencés par la façon dont l’information est présentée ? « Les

solutions portent sur l’ergonomie, le vocabulaire, la formulation », explique-t-il. Synomia utilise pour sa part un algorithme développé avec le CNRS pour agréger les données textuelles non structurées et les indexer. La PME, basée entre Budapest et Londres, monnaie l’analyse des émotions recueillies grâce à un capteur branché sur un casque ou ajusté au doigt. Il enregistre, analyse et qualifie des réactions et des ressentis face à une publicité, une série ou un film. L’entreprise travaille, entre autres, pour RTL Klub, une chaîne de télévision privée hongroise.

D’irrité à emballé

Les initiatives se multiplient. La start-up belge GetSmily a, de son côté, mis un au point un algorithme émotionnel avec l’Université catholique de Louvain : « Nous demandons simplement, de façon anonyme, “comment vous sentez-vous sur ce site ?” », explique David Hachez, son co-fondateur. Baptisé Emolytics, il dispose de six degrés d’émotions, d’irrité à emballé, pour donner la « température émotionnelle d’une audience à un instant T ». Une attitude « empathique » qui fait mouche : le taux moyen de réponse est de 15 %. Autre initiative universitaire, celle de l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne. Son Social Media Lab a élaboré une plateforme testée pour la COP 21 qui permet « d’écouter » l’opinion publique sur les réseaux sociaux, d’évaluer échanges et arguments ; des données émotionnelles, du mépris à la confiance, associées à des mots-clés (50 000 enregistrés) enrichissent l’écoute et, en combinant les deux niveaux d’informations, les chercheurs pensent être capables d’identifier des intentions. Un projet mené avec Havas doit donner naissance à une nouvelle grille de lecture des comportements. « Démocratie, sécurité, les champs d’actions sont très larges », souligne Bruno Breton, le directeur du laboratoire. Big Brother ?

Informatique et Libertés ? « Nous ne collectons pas de données privées, l’éthique est fondamentale », répond-t-il.

Tout comme la transparence et le respect de l’internaute. Qu’il y ait ou non un adblock, ces bloqueursautomatiques de publicité, le cerveau évite la publicité sur un site s’il la juge intrusive, nous apprennent les neurosciences. « Il y aura moins de pollution visuelle au profit d’une meilleure communication commerciale qui correspondra à nos attentes individuelles et émotionnelles, sachant que le “native advertising” à la Google a déjà trouvé ses limites », conclut Christophe Dané. « Nous en sommes encore à la préhistoire ; grâce aux progrès conjugués des neurosciences et de l’intelligence artificielle, d’ici dix ans, nous disposerons d’outils formidables », assure aussi Marc Van Rymenant. Le meilleur serait donc pour demain…

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