Le passage en caisse reste le talon d’Achille du parcours client. Comment le réinventer alors que des acteurs, type Uber, ont d’ores et déjà totalement fait disparaître l’action de payer ? Enquête.

«Comme tant d’autres, je rêve d’un concept de magasin sans aucune procédure physique de paiement !», lance Georges Duarte. Le directeur associé de l’agence UX In Situ n’a pourtant pas trouvé la perle rare, même si son travail consiste à repérer les innovations à travers le monde. Effacer «la douloureuse», c’est, en effet, le Graal convoité par tous les retailers. Amazon et Uber ont pris de l’avance dans ce domaine. Le géant de l’e-commerce a innové via une solution de clôture de commande en un seul click qui évite bien des questions et réactions inhibitrices ; l’entreprise de VTC a parfaitement intégré le paiement dans son application, faisant littéralement disparaître l’action de payer. Distancés, leurs concurrents tentent de nouvelles solutions. Elles convergent toutes vers la solution de paiement mobile. En une décennie à peine, le smartphone s’est, en effet, imposé comme le device de référence, le seul outil numérique considéré par chaque utilisateur comme une extension de soi. Tous les spécialistes du commerce et de la monétique le présentent comme le moyen de paiement de demain. Voire de demain matin…

Tests en cours

«Le paiement reste le talon d’Achille du parcours client, rappelle Éric Lebailly, directeur associé chez Dia-Mart Consulting. Jusqu’à présent, il s’agissait d’un mal nécessaire. C’est devenu aujourd’hui un élément à part entière de l’expérience d’achat, et un enjeu important pour les retailers appelés à fluidifier et enrichir au mieux cette étape de friction, en y intégrant notamment la maîtrise des datas indispensables pour connaître et reconnaître les clients.» Les entreprises sont mobilisées. Une étude Ipsos, réalisée l’an dernier pour Fivory, souligne que 45% de 1 000 entreprises sondées aux États-Unis considèrent les nouveaux moyens de paiement comme une priorité. En France, 35% d’entre elles ont l’intention d’équiper leurs magasins d’une solution de paiement mobile.

Comment faire ? Plusieurs tests ont été menés ces dernières années, en France, par des distributeurs ou des acteurs de la monétique reconnus. Mais force est de reconnaître qu’ils se sont soldés par des échecs. On se souvient du projet de paiement sans contact Flash’N Pay, développé par Auchan et sa filiale Oney Banque Accord, qui devait être déployé dans les 127 hypermarchés de l’enseigne courant 2015. Un projet fortement compromis comme le suggère le silence actuel des deux acteurs à ce sujet. Orange a proposé son système de paiement mobile Orange Cash. Mais limité à ses seuls clients, cette solution a peu de chance de s’imposer.

Les tests continuent malgré tout à se multiplier, tel celui d’ Ingenico et Panasonic pour intégrer un terminal de paiement NFC au dos des tablettes utilisées par les vendeurs en magasin. Ou encore l’application de paiement mobile lancée début 2015 par Fivory et adoptée par un nombre croissant de magasins, de distributeurs et de services, mais pas encore au point de s’imposer comme standard. Le paiement à distance par reconnaissance vocale (Talk to Pay) proposé par La Banque Postale l’été prochain aura-t-il plus de succès ? Quid de l’expérience de Franprix ? Intégrée à son nouveau concept de magasin Mandarine lancé en 2015, l’enseigne teste, depuis le 31 mars, une nouvelle solution de paiement mobile permettant aux vendeurs de conclure les courses en encaissant le paiement des clients en mobilité. La solution intègre l’ensemble des fonctionnalités et services d’une caisse classique. Elle accepte le paiement par carte bancaire, en espèces, voire par Ticket-Restaurant. Techniquement, les vendeurs sont équipés d’une bague scanner pour lire les codes barres des produits et d’une tablette reliée au système d’encaissement du magasin. Limitée pour l’instant à deux boutiques, cette solution devrait en équiper une centaine d’ici à la fin de l’année avant de gagner l’ensemble du réseau.

Rassurer le shopper

Au-delà de ces initiatives, l’enjeu reste pour les enseignes et les marques, de proposer, en complément d’une procédure ultra-simplifiée et sécurisée, la gestion de tous les services clients et de l’ensemble des données clients recueillies. Lancée fin 2015 par Cédric Guérin pour le secteur de la restauration, l’appli Pay My Table en est un bon exemple. Elle permet de payer sur smartphone son repas et ses consommations de manière totalement différenciée selon le nombre et la générosité de chaque convive. Sans avoir à faire plusieurs minutes de queue au moment fatidique où tout le monde veut payer avant de retourner travailler.

«Chaque client paie sa note sur son smartphone en quelques secondes, le restaurateur le contrôle instantanément sur sa caisse centrale et les serveurs ont autant de temps libéré, soit sept minutes en moyenne par table, pour se consacrer au service et réaliser des ventes additionnelles. L’application permet bien sûr également de trouver un restaurant et de réserver une table, de gérer les avis des clients, de commander des plats à emporter, de connaître les historiques de chaque client et de gérer le programme de fidélité. C’est un système global qui a du sens à la fois pour le client et pour le commerçant, et qui enrichit considérablement la seule expérience du paiement», conclut Cédric Guérin.

D’une manière plus générale, les acteurs du marché vont devoir rassurer le shopper. L’étude Ipsos pour Fivory mentionne, en effet, que 26% des Français ont l’intention d’utiliser leur smartphone comme moyen de paiement. Mais aussi, paradoxalement, que 88% d’entre eux n’ont pas totalement confiance dans cette solution.

Enfin, la question de l’universalité est centrale. De tout temps la monnaie a dû être reconnue par une majorité pour s’imposer comme solution et valeur de référence sur un territoire donné. Il en est de même aujourd’hui pour les transactions dématérialisées. Cette question du standard devra être tranchée rapidement, car la demande des clients existe, mais aussi parce que les freins psychologiques et techniques à lever restent nombreux. Pour y arriver, le commerce va devoir surmonter l’absence de solution standard de paiement qui s’imposerait comme la référence universelle.

En France, pays d’invention de la carte à puces, le paiement par carte bancaire est tellement démocratisé et unanimement apprécié qu’il ne sera pas facile de le détrôner sans apporter de véritables services supplémentaires ou atouts qui facilitent la procédure et rassurent en termes de sécurité des transactions. C’est l’avis d’Éric Lebailly. «Aux États-Unis, note-t-il, le marché est moins éclaté qu’en France, car contrôlé par l’oligopole des Gafa, qui ont déjà testé pas mal d’innovations dans le paiement. Le match se joue désormais entre Apple Pay et Google.»

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