Le consommateur en quête de sens, adepte de produits bons pour la santé et la planète, a fait une entrée remarquée dans les panels marketing. Plongée dans son univers avec Valérie Zoydo, auteur et journaliste spécialisée dans les changements de société.

«Dans la vie, on a deux pouvoirs, celui de voter et celui de consommer.» Il y a quelques années, cette phrase du réalisateur Jean-Paul Jaud m’a confortée dans mes choix de consomm’actrice citoyenne. Mon quotidien reflète à chaque instant mon souhait de faire entrer en résonance mes aspirations profondes et sociétales avec mon filet à provisions : lait d’avoine bio de chez Biocoop pour le petit déjeuner; Vélib, Blablacar ou Wecab pour mes transports ; crème de nuit Weleda au coucher ou petite robe noire «made in France» pour un rendez-vous amoureux.
Les détergents ? Bicarbonate de soude, vinaigre blanc ou produits Écocert. Même mes sources d’information sont alternatives : We Demain, Socialter, Reporterre, sans oublier mes 3 300 «amis» de Facebook qui m’offrent une veille sur l’économie bienveillante, le développement personnel, les produits durables et les nouveaux modes de gouvernance. Ce qui m’intéresse, c’est «l’empowerment» des citoyens, que j’appelle «l’empuissantement» : j’analyse la façon dont ils reprennent leur destin en main pour passer du pouvoir à la puissance.
Comme eux, j’apprends à écouter mon cœur et ma conscience pour expérimenter une nouvelle forme d’abondance. Loin d’une vie décroissante et contraignante, le plaisir est ma boussole. Et la liste de mes envies est longue.En termes de «target» ou de CSP, je suis une «créative culturelle» représentative d’un véritable phénomène de société. Ce vaste groupe d’individus, qui incarne des valeurs d’empathie, d’écoute et d’altruisme, a été identifié par le sociologue Paul Ray et la psychologue Sherry Anderson, auteurs de The Cultural Creatives: How 50 Million People Are Changing the World, paru en 2000.
Les créatifs culturels consomment et s’impliquent dans la vie locale avec une conscience nouvelle de la planète et de l’humain. Ils sont en quête de sens et de spiritualité laïque, pratiquent la méditation, le mindfulness ou le yoga. Plusieurs experts leur ont consacré des études et des ouvrages, comme la prospectiviste Carine Dartiguepeyrou, en charge de l’ouvrage collectif La Nouvelle Avant-garde, vers un changement de culture, paru en 2013 aux éditions L’Harmattan. Cette étude décrit « une communauté qui rassemble des personnes de tous horizons autour d’un respect profond pour le vivant (…). Et qui partagent des valeurs et un espoir dans la capacité humaine à évoluer». Le succès du documentaire Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent – plus d’un million d’entrées en France – primé aux césars, reflète ce changement de paradigme. Et l’aspiration à un nouveau modèle de société.
Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, je fais, sans en avoir l’air, de la consommation non-violente, ou même de la spiritualité politique. Bonne nouvelle, ces thèmes commencent à intéresser les entreprises. Récemment, j’ai appris l’existence d’une nouvelle orientation : le marketing spirituel. Il ne s’agit pas de religion, mais bel et bien d’une quête de sens à destination de consommateurs qui, comme moi, souhaitent se transformer pour changer le monde.
Prenons l’exemple du végétarisme, qui soulève la question spirituelle du rapport au vivant. 70% des surfaces cultivées sur la planète sont dédiées à l’élevage du bétail. Et selon la FAO, 93% des causes de la déforestation sont d’origine agricole. Mon besoin : manger des protéines. Mon sentiment : je suis partagée entre ma conscience écologique et le plaisir de déguster une bonne viande ou un bon poisson entre amis ou chez mes parents. Ma proposition : ­répondre de temps en temps à ce besoin, pourvu que le bétail soit élevé en plein air, avec éthique et en France. Le reste du temps : manger des protéines végétales, en associant des céréales et des légumineuses.
Ce comportement porte un nom qui plairait aux directeurs marketing. Je suis une végétarienne flexible, une «flexitarienne». Il est relayé par des initiatives comme le Meat Free Monday américain, qui incite à se passer de viande et de poisson le lundi. Ce geste, finalement ­assez anodin, peut avoir des conséquences incroyables à l’échelle ­collective : si tous les Américains ne mangeaient pas de viande pendant un seul jour de la semaine, on économiserait l’équivalent en gaz à effet de serre de 90 millions de billets d’avion Paris-New York.
In fine, c’est quoi consomm’agir ? C’est consommer d’une manière responsable pour moi-même, l’humain en général, l’environnement et les générations futures. C’est acheter « en conscience » en connaissant l’éthique et l’ADN des marques. C’est s’informer sur la complexité du monde, les coulisses de la production des produits de consommation courante. C’est se demander s’ils respectent la vie et répondent à un réel besoin. C’est faire au mieux en fonction de ses moyens financiers.
Difficile ? L’offre se développe et les magasins sans emballage, les ­boutiques de produits sains, locaux et de saison se multiplient. ­J’attends avec curiosité l’ouverture de La Louve, le premier supermarché ­coopératif. Un concept new-yorkais où le client s’engage à donner de son temps, soit trois heures consécutives par mois, pour assurer les tâches nécessaires au bon fonctionnement du magasin au côté des salariés : caisse, stock, administration, nettoyage… Les économies réalisées autorisent des marges faibles qui se répercutent par des prix bas sur de bons produits.
Loin d’être une contrainte, consommer à ma manière me fait éprouver une grande joie. Cet acte est un choix en direction de la société à laquelle j’aspire. J’ai l’impression de respecter ma santé, ma sensibilité et mon environnement. J’associe ce geste à une forme d’intériorité citoyenne, selon l’expression de Thomas d’Ansembourg, auteur du livre Du Je au Nous. L’intériorité citoyenne : le meilleur de soi au service du nous, où il propose les clés pour une intériorité transformante, et fait un lien entre l’individuel et le collectif, l’intériorité et l’action juste. En résumé, un « Je » libre, heureux et aligné au service d’un « Nous apaisé ». Les clés qu’il donne autour de la communication non-violente – identifier ses sentiments et ses besoins, savoir les exprimer en se responsabilisant – pourraient s’appliquer à la consommation. Un acte individuel et collectif, spirituel et politique, comme le rappelle Jean-Paul Jaud, puisqu’il touche au vivre ensemble. ◊

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