Proposer au shopper une multiplicité de références est source de stress et d’insatisfaction. Pas étonnant, dans ce contexte, que le format de l’hypermarché s’essouffle. Et si les marques pensaient davantage à l’expérience consommateur ?

La scène est devenue un grand classique : vous entrez dans votre supermarché de quartier préféré pour faire quelques courses d’appoint. Déodorant, dentifrice, riz blanc… rien de bien compliqué a priori. Quoique. Arrivé au rayon hygiène beauté, tout se complique: les sticks, rollers et autres sprays sont bien là, mais plus nombreux que prévu : 198 pour être précis ! Pour vous simplifier la tâche, vous choisissez une marque qui vous parle, Nivea par exemple. Et un format qui vous plaît, le roller. Mais il vous faudra encore choisir parmi 11 références au design comparable, prix identiques et noms très éclairants comme «Silver Protect», «Stress Protect» ou «Dry impact». Vous misez sur «Cool Kick», sans conviction, vous croyant sorti d’affaire, mais voici que 97 tubes de dentifrices vous attendent au rayon suivant. Vous voulez des dents blanches ? Colgate vous propose Max White, Max White One, Blancheur et Ultra blancheur. Si vous choisissez l’un, vous renoncez à l’haleine fraîche, la lutte contre les caries ou le tartre. Adieu Ultra fraîcheur, Fraîcheur chlorophylle, Défi zéro carie, Triple action ou Antitartre ! Finalement, vous choisissez par défaut avant de quitter le supermarché habité par un doute : ai-je fait le bon choix ?

Une autre question devrait habiter les professionnels du marketing : la segmentation et l’hyper-choix ont-ils atteint leurs limites ? En voulant répondre à toutes les attentes plus ou moins formulées des consommateurs, les marques leur compliquent la vie transformant l’acte d’achat en pur moment de stress. «Le dogme officiel de toutes les sociétés occidentales repose sur l’idée que pour maximiser le bien-être des citoyens, il faut maximiser leur liberté individuelle. Et que pour maximiser cette dernière, il faut maximiser le choix, analysait le psychologue Barry Schwartz, à l’occasion d’une mémorable conférence TED Global sur le Paradoxe du choix. Or le choix paralyse plus qu’il libère. Trop de choix finit par créer une insatisfaction.»

Trop de choix tue le choix. Les études qui le démontrent ne manquent pas. Pour preuve, cette expérience universitaire menée aux États-Unis pour observer le comportement de shoppers au rayon confiture dans deux situations différentes : face à une offre limitée à 6 parfums, puis face à 24 parfums. Dans le premier cas, on observe une faible affluence, mais un taux d’achat de 30% ; dans le second, l’affluence est beaucoup plus forte, mais le taux d’achat est de 3% seulement !

Hyperchoix

«Face à un mur d’une centaine de références répondant à un même besoin, on ne peut pas se décider, commente Florence Guittet, directrice associée du cabinet IMPP, spécialisé en category management et shopper. L’humain peut choisir entre trois ou quatre options, pas plus. Au-delà, il passe en mode automatique, car il existe des limites physiques et neurologiques. L’hyperchoix n’est pas adapté à la physiologique humaine.» 

Et pourtant, les marques et les marketeurs persistent et signent, enfermés qu’ils sont dans des croyances fondatrices de la société de consommation de masse. Or le monde a changé. Tous les besoins essentiels sont aujourd’hui comblés dans les pays développés. Et les consommateurs sont devenus plus regardants, plus éduqués et plus influents. «Ils ne sont pas dupes sur les motivations de l’hypersegmentation : 93% considèrent que la plupart des innovations des grandes marques ne sont pas de vraies innovations, qu’elles sont là pour leur faire acheter plus cher ou plus souvent», explique Philippe Jourdan, directeur de Promise Consulting, spécialiste de la gestion des marques et coauteur du Marketing de la grenouille (éd. Kawa). Le livre acte la mutation du consommateur en conso-battant, individu reprenant sa vie en main, plus exigeant et, surtout, plus regardant sur le pourquoi, le comment et le combien de sa consommation, quels que soient son statut social et ses moyens.

Pour autant, faut-il en déduire que l’hyperchoix a vécu ? Certains produits doivent aujourd’hui leur succès à leur offre minimalisme, telle la Dacia Duster, qui propose un produit et une gamme simples, à prix abordables. D’autres, cependant, restent condamnés à se démultiplier. C’est le cas de la culture ou encore de la mode : «Ces secteurs créent l’événement par le biais de collections, de séries limitées, rappelle Florence Guittet. Il s’agit là d’un hyperchoix cadencé.» Une piste déjà empruntée par d’autres secteurs, comme l’agroalimentaire, pour redynamiser leur segment, à l’image de Maille et de ses moutardes de printemps.

Évolution

Difficile aussi de remettre en question la segmentation hystérique des marques sans s’interroger sur le temple de l’hyperchoix : l’hypermarché ! «Ce format a vécu, commente Florence Guittet. La rentabilité au mètre carré est en baisse, le drive ne gagne pas d’argent. À l’inverse, les concepts de proximité et la distribution spécialisée se portent mieux.» Quant aux très grands hypers, ils ont enregistré une baisse de chiffre d’affaires de plus de 3% ces derniers mois (source : magazine Linéaires). Mais s’ils semblent donner quelques signes de faiblesse, ils représentent toujours une part importante de l’activité du secteur alimentaire.

Plus qu’une disparition du concept, les observateurs misent sur une évolution : «L’essor des hypermarchés proposant un hyperchoix et des prix serrés n’a été possible que parce qu’il s’adressait à une population marquée par la guerre, analyse Philippe Jourdan. L’hyperchoix était en soit une innovation de rupture. Mais aujourd’hui, il n’est plus nouveau. Il faut une autre façon de l’organiser et de le concevoir.» La solution résiderait notamment dans la redéfinition des parcours d’achat. Lequel, pour être efficace doit s’attacher à concilier le travail du brand marketing, centré sur la marque et ses promesses, et celui du shopper marketing, centré sur l’expérience et la réalité en magasin. «Ces expertises devraient travailler davantage ensemble sur la notion d’expérience, commente Florence Guittet, mais la situation est assez compliquée, car elle repose sur une collaboration étroite et permanente entre les marques et les distributeurs. Or celle-ci n’est effective que six mois par an, quand les deux parties ne sont plus en négociation.»

Résultat : rien ne va plus. «On note une dissonance cognitive entre la promesse de la marque et la réalité en magasin. Le client est paumé», déplore Florence Guittet qui conclut par un petit rappel à l’endroit des distributeurs généralistes : «La base du marketing en distribution, c’est de choisir. Mais choisir, c’est renoncer. Or comment renoncer quand on veut servir tout le monde ?» Un raisonnement qui fait, quoi qu’il en soit, les affaires d’une distribution plus sélective, plus spécialisée, aux antipodes de l’hypermarché.

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