Pour donner envie au shopper d’entrer, d’acheter et de revenir en boutique, les retailers misent sur le marketing sensoriel. À mille lieux du e-commerce.

Architectes et designers remercient l’avènement de l’ère numérique ! Aujourd’hui, la grande crainte n’est plus, en effet, de voir disparaître les magasins – les pure players en ouvrent tous –, mais de savoir comment les réenchanter en lieux expérientiels dont on se souvient. Ce serait même, selon les professionnels, la seule façon de se démarquer du côté rationnel de l’e-commerce. «Avez-vous déjà réellement pris plaisir à passer une commande en ligne ?», interroge ainsi Cécile Poujade, directrice associée de Saguez & Partners. Dans ce contexte, le marketing sensoriel, historiquement positionné sur le haut de gamme, s’impose désormais dans le mass market. «Je préfère parler de marketing sensible avec une tendance affirmée pour le “gourmand”, pas seulement au sens alimentaire du terme, mais qualifier tout ce qui donne envie, qui est l’essence même du commerce. Le point de vente doit valoriser un art de vivre et de partager, pas seulement un art de vendre», précise-t-elle.

Transparence

Tous les sens sont concernés. À commencer par la vue sollicitée par les innovations digitales, mais aussi paradoxalement par l’épuration et la transparence : aujourd’hui, on ne cache presque plus rien aux clients. «La transparence entraîne de nouvelles postures chez les vendeurs et de nouvelles relations avec les clients, analyse Georges Duarte, directeur de l’agence UX In Situ. Le cas d’école, c’est Apple, qui a choisi de valoriser son SAV en magasin et non plus de le cacher dans l’arrière-boutique. En 2012, les vendeurs avaient encore une tablette en main ; aujourd’hui, la posture s’est inversée, ce sont les clients qui l’ont. Et la toute dernière étape du processus, c’est le Genius Bar, où vendeurs et clients sont assis côte à côte, dans une proximité relativement sincère, en tout cas très efficace commercialement.»

Cette transparence, on la retrouve dans les fab-labs et autres ateliers qui se multiplient, notamment chez Leroy Merlin, Cultura ou Décathlon. De quoi créer des communautés de «clients-pratiquants», favoriser les échanges d’expérience entre eux, mais aussi vis-à-vis de l’enseigne tout en valorisant le «do it yourself», gages d’authenticité, de qualité et de dépassement de soi. La transparence, c’est encore le chef que l’on voit en cuisine depuis sa table de restaurant. «Observer les pâtissiers à l’œuvre au cœur du magasin excite la gourmandise des clients et contribue au succès de La Meringaie, confirme Olivier Desdoigts, président fondateur de Desdoigts et associés. Dans ce nouveau concept, entièrement dédié aux meringues, nous avons conçu un mobilier tournant pour présenter facilement les meringues au regard des clients. Sans oublier la réflexion sur la décoration avec le grand mur en staff rappelant la texture et la blancheur des meringues, les comptoirs en or satiné et l’éclairage chaud.»

Côté éclairage, l’arrivée du led a marqué un tournant : il a ouvert tout un spectre de températures de lumière de plus en plus larges et précises. «Avec une meilleure intégration des dispositifs dans les mobiliers, dès la conception de l’agencement des magasins, les lumières offrent un potentiel d’effets beaucoup plus sensationnels», prolonge Laurent Perret, directeur associé d’Ux in situ.

Par le bout du nez

Le digital commence, quant à lui, à s’imposer vraiment dans les PLV. Le marché s’est nettement structuré avec des solutions de plus en plus efficaces et abordables en coût. Spécialisée à l’origine dans l’identité sonore puis olfactive, la société Crown Heights connaît une expansion soutenue sur ce créneau depuis une décennie. «Notre atout est de développer la totalité de nos produits en interne, des boîtiers de diffusion à l’intégration des solutions numériques. Nous avons gagné, en 2015, le contrat L’Oréal pour équiper de vitrines digitales les salons de coiffure en France et en Europe», précise Tristan Dupont, directeur commercial de Crown Heights. Les écrans tactiles en magasin permettent de diffuser des contenus produits, de proposer aux clients de partager leur expérience sur les réseaux sociaux et, surtout, d’enrichir le fichier clients de manière beaucoup plus fun et décomplexée. Mais l’innovation va plus loin ! «Nous proposons une solution de reconnaissance faciale qui permet d’adapter instantanément les contenus des messages en fonction du sexe, de l’âge et même de l’humeur des personnes qui passent devant l’écran. L’affichage dynamique a nettement progressé, il s’impose particulièrement pour des réseaux multipoints de vente qui n’ont plus le temps ni les moyens de gérer la logistique du print, et toutes les études prouvent la supériorité de son impact marketing», poursuit-il.

De son côté, le marketing olfactif continue à se développer tout en se démocratisant. Parallèlement à ses créations sur mesure pour le luxe (Tag Heuer, Vacheron Constantin…), conçues notamment avec le nez Antoine Lie, Scentys intervient de plus en plus pour des retailers du mass market, comme pour les centres commerciaux d’Unibail-Rodamco ou d’Hammerson. Créée en 2004, par David Suissa et Clément Jeanjean, la société a su innover dans des produits dédiés à la signature olfactive, des capsules de fragrances aux diffuseurs de parfums, pour tous types et tailles d’espaces, de la boutique de luxe au grand centre commercial. «Nous constatons aujourd’hui que les demandes de nos clients sont de plus en plus structurées et construites, témoignant d’une connaissance réelle du marketing sensoriel et notamment de sa dimension olfactive», analyse David Suissa. Le nombre de clients souhaitant intégrer une signature olfactive dans leur identité et demandant, désormais, de travailler en partenariat avec les autres dimensions et professions du marketing sensoriel, les designers et architectes, pour avoir une approche globale et transversale, ne cesse d'augmenter.

Signature sonore

Même son de cloche dans le design sonore, où la tendance est à la structuration de la demande témoignant d’une démarche plus globale. Pendant de nombreuses années, les marques ont investi dans l’achat de simples play lists, mais, avec l’avènement du streaming et l’accès quasiment gratuit aux contenus, le recours à celles-ci s’est dangereusement banalisé. «Suite à un regain d’intérêt pour le marketing sonore, les marques, réellement soucieuses de se différencier, ont compris qu’il est devenu indispensable de concevoir leur signature sonore comme l’un des éléments composant la cohérence et la consistance de leur identité globale, au même titre que leur signature graphique, olfactive ou que le design de leurs magasins», analyse Michaël Boumendil, PDG fondateur de Sixième Son. Selon lui, cette préoccupation ne concerne pas seulement le secteur du haut de gamme, mais également des enseignes du mass market qui innovent dans ce domaine. «À l’image de Brico Dépôt qui mise sur la cohérence de sa signature sonore, sur tous les supports de la TV à la radio, et jusqu’au téléphone, pour qu’aucun média ne décroche vis-à-vis d’un autre dans la qualité de ses contenus», conclut-il. Ce qui ouvre de belles perspectives au marketing sensoriel.

 

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