Design
Comme tous les deux ans, l'agence de design Dragon Rouge fait le point sur les signaux faibles avec son cahier prospectif. Un opus 2016 en six thèmes, de l'aridité granitique à la touffeur de la jungle.

Une régularité de métronome. Son rythme est biennal, calqué sur un certain tempo: celui du design et de ses clients. Si l’amour dure trois ans, la tendance, paraît-il, affiche plutôt deux ans de longévité. C’est court et long à la fois. «Dans nos métiers et dans ceux de nos clients, le temps de convaincre l’interne, de monter les chaînes de production et la sortie du produit fini, il s’écoule de 24 à 36 mois», explique Sophie Grenier, directrice de l’innovation et de la prospective chez l'agence de design Dragon Rouge, qui sort ces jours-ci son cahier Prospectives 2016. Le dernier opus datait de 2014, avec un changement notable: «Aujourd’hui, on se situe dans un système nébuleux, sans aucune visibilité, où la notion de confiance a complètement disparu chez les consommateurs», résume Sophie Grenier. Celle-ci a néanmoins dégagé six thèmes ou plutôt «totems». Panorama.

 

Primal

La guerre du feu? C’est un peu l’idée. «Ce courant marque la nécessité de revenir à la quintessence la plus pure et la plus organique. Comme si on re-débarquait sur une planète de roche et de lave», décrit Sophie Grenier. Minéralité, matières brutes, cette tendance se place sous le signe du tellurique. À l’image de l’installation «The Future Was Then» de l’artiste Daniel Arsham, présenté au SCAD Museum of Art de Savannah (Géorgie, États-Unis), série de murs éventrés entre lesquels apparaissent des silhouettes, abstraites ou pas, fantomatiques, en tout cas. Ou dans les packagings granitiques des bières norvégiennes Fjellheim, ou dans les boîtes des produits cosmétiques pour hommes Elements, aux reflets de malachite.

 

Clic-Clac

Rien à voir avec les bon vieux canapés convertibles, mais plutôt avec «le besoin de liberté, d’absence de contingences matérielles, le besoin de ne pas perdre de temps», énumère Sophie Grenier. En somme, une recherche du «no-brainer» [zéro prise de tête], comme disent les anglo-saxons, sans chichis voire sans nuances. C'est l'ère du «color block», comme on dit dans la presse féminine, ou l’art de juxtaposer des couleurs vives en créant des contrastes qui claquent. Les pâtisseries du chef Francisco Migoya sont ainsi au-delà de l’acidulé. Tout comme la signalétique de l’Underhub Language School, conçue par Emil Dervish en Ukraine, déchaîne les chromies, ainsi que l’identité visuelle des cours particuliers de Kokoroé, signés Art Feels Good.

 

Wabi

En japonais, Wabi signifie, précise Sophie Grenier, «la beauté qui naît de l’imperfection». Voire le «queer» et le passage désormais obligé par le transgenre, avec la couverture de Vanity Fair avec Bruce/Caitlyn Jenner, les publicités pour la collection unisexe d’Acne en 2015… Wabi désigne également la fascination mêlée de malaise engendrée par les «Drippy Sculptures», dégoulinures extraterrestres de l’artiste américain Dan Lam, ou l’adipeuse mais douillette Flesh Chair de Nanna Kiil, projet d’étudiant modelé à partir du corps d’une personne obèse. Dans le genre attraction-répulsion, citons le vernis comestible de KFC, en vente dans tous les bons établissements à Hong Kong, ou l’escargot plus vrai que nature qui glisse tranquillement sur les créations du chef de Dinner London, Heston Blumenthal.

 

Peacock

«Le paon est éminemment terrestre. C'est un musée minéral», écrivait Gaston Bachelard dans L’Air et les Songes. La tendance «peacock», elle, donne dans «la pavane, la démonstration esthétique, très “nouveau baroque”, inspirée par la nature, d’une jungle à la Douanier Rousseau, décrit Sophie Grenier. C’est l’image du papier peint qui cache les taches d’humidité», poursuit la directrice de la prospective. Le résultat est foisonnant, voire moite. «Abandoned location», du photographe Matthias Haker, donne à voir des bâtiments abandonnés à la végétation, des forêts tropicales où rôdent les féroces félins, comme dans la collection Carnets d’Équateur d’Hermès. Les motifs luxuriants des bouteilles Absolut Botanik invitent, elles, à la touffeur de l’ivresse.

 

Gloria

Puissance et gloire. On se croirait dans le générique de Châteauvallon, la regrettée série des années 1980, et pas très loin des robes en lamé de Chantal Nobel, la star du feuilleton. En beaucoup plus classieux. «On note le retour à une forme de grandeur, à un luxe mêlé de pureté tout sauf bling, avec des dominantes or, blanc et noir», remarque Sophie Grenier. Le make-up de Dior orne les paupières de reflets de lingots, les défilés printemps-été 2016 de Chanel et de Chloé voient flâner des vestales de l’opulence, et on n’ose à peine croquer dans les gâteaux mordorés de Richard Van Oostenbrugge, chef du Bord’Eau aux Pays-Bas. Même les marques mass market se font précieuses, comme Dove et sa gamme Derma Spa.

 

Tyyni

Très chamallow, très bleu layette, le terme scandinave «Tyyni» désigne la sérénité, la douceur. Pantone ouvrait le bal avec ses couleurs de l’année, le rose quartz et le «sérénité», un bleu lavande 100 % douceur. Un duo très câlinou repris par Nike pour sa basket Nike Pantone. Du pastel repris dans le Serpentine Gallery Pavilion de Smiljan Radic, chrysalide arc-en-ciel exposée à Londres en 2014, mais aussi dans le packaging de Nivea Milk Bar… «Il y a encore six ans, la recherche de paix était très égotique, très personnelle, rappelle Sophie Grenier. Le sens de l’histoire va plutôt vers l’humilité, la réconciliation.» À la bonne heure!

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