Un magazine qui se raconte dans un spectacle unique et éphémère. Florence Martin-Kessler a importé avec succès ce concept innovant des Etats-Unis. Rencontre avec la fondatrice et rédactrice en chef de Live Magazine.

Vous êtes réalisatrice de documentaire. Comment vous est venue l’idée de Live Magazine ?

Florence Martin-Kessler. Il y a cinq ans, j’ai obtenu une bourse de Harvard en journalisme - au Nieman Lab, un observatoire des médias - qui m’a conduite aux Etats-Unis. Je cherchais des idées autour d’un festival de non-fiction à la frontière entre le journalisme et le documentaire. C’est là que j’ai rencontré Douglas McGray, créateur de Pop-up magazine, un journal vivant et éphémère totalement innovant.

 

Une révélation ?

F.M.-K. J’ai été éblouie par cette idée d’une simplicité incroyable : des histoires courtes racontées sur scène face au public en suivant les grandes rubriques d’un journal.  Aux Etats-Unis ce format est un gros succès : les soirées sont annoncées une semaine à l’avance et les 2 700 places s’arrachent en un quart d’heure. J’ai eu d’emblée l’envie d’en faire autant à Paris. Et tout s’est aligné comme une évidence alors que je galérais par ailleurs sur un projet de film.

 

Comment avez-vous procédé ?

F.M.-K. Assez vite, j’ai trouvé deux partenaires que je ne connaissais pas. Douglas McGray m’avait conseillé  de m’associer à un journaliste radio pour une question de rythme. Je venais de rencontrer Thomas Baumgartner, producteur à France Culture, qui était administrateur comme moi de la Scam, l’équivalent de la Sacem pour les auteurs et les journalistes. Sébastien Deurdilly, directeur l’agence de presse Upside Télévision nous a rejoints.  Il vient de l’enquête et du reportage. Notre petit attelage a bien pris et le public du Live Magazine a grandi progressivement. En juin dernier, Live Magazine a réuni 1 000 spectateurs au Théâtre de la Porte Saint-Martin.

 

Douglas McGray vous a-t-il donné d’autres conseils ?

F.M.-K. Oui miser sur une variété d’intervenants et de sujets. Live Magazine propose des récits de journalistes mais aussi de réalisateurs, d’artistes, de dessinateurs, de photographes. Il y a de la politique, de l’humour, mais aussi de l’actualité. Même si la première personne est essentielle, nous privilégions des histoires sur autrui, comme dans un journal. A la différence de TED X qui privilégie les témoignages, ou les retours d’expériences. Ces conférences ont aussi un côté promotionnel absent de Live Magazine où personne ne vient vendre sa start-up ou son expertise.

 

Autre différence avec TED X, votre spectacle ne fait l’objet d’aucune captation ni diffusion en ligne…

F.M.-K. Pas de programme à l’avance, pas de captation, pas de photo, pas d’enregistrement, pas de replay, pas de tweets… J’ai suivi les conseils de McGray sans toujours comprendre pourquoi. Je sais maintenant que c’est primordial. Le côté éphémère, ici et maintenant, donne toute sa valeur à ce journal vivant. C’est une expérience à vivre, un moment de partage aussi  où le public est invité à prendre un verre et à échanger avec les intervenants après le Live. Cette approche permet aussi de jouer le côté « j’y étais » et la carte coulisses. Des anecdotes et des propos inédits sont livrés aux seuls spectateurs présents.

 

Sur le fond, Live Magazine est finalement une belle opération d’image pour le métier de journaliste…

F.M.-K. C’est vrai que les journalistes sont plutôt maltraités en ce moment, mal aimés, lourdés, sous-employés, déprimés, leurs journaux vendus… Dans ce contexte, Live Magazine apporte une véritable bouffée d’oxygène. Il en ressort une belle énergie.

 

C’est vous qui coachez les intervenants ? Avez-vous une méthode à la TED X ?

F.M.-K. Je travaille avec eux au préalable mais je n’ai pas vraiment de recette. Tout est très libre. Certains intervenants lisent leurs textes, d’autres apprennent par cœur. Nous n’avons pas de format prédéfini. La seule contrainte, c’est de ne pas dépasser les 8 minutes et de raconter une histoire que personne d’autre ne peut raconter, le tout avec un enjeu qui est de l’ordre de la prise de risque. Il faut être sincère, s’exposer. Les exposés ennuient tout le monde mais les gens adorent les histoires !

 

Quel est votre modèle économique ?

F.M.-K. Notre modèle est fondé sur la billetterie avec des places allant de 10 à 40 euros. Ce sont des prix accessibles et j’y tiens. Nous réalisons également des éditions spéciales pour des marques, des festivals ou des collectivités locales. Nous sommes par exemple allés à Marseille, à Blois où douze historiens sont montés sur scène pour raconter autrement leur métier. Nous avons des projets à Strasbourg, à Mons, à Londres. Nous avons également mis en scène des écrivains pour le Salon du Livre.  Enfin, j’ai le soutien d’Olivier Legrain, ancien patron du groupe Matéris qui participe financièrement à l’aventure en tant qu’entrepreneur et défenseur des médias. Evidemment, je paye les journalistes qui montent sur scène. C’est important.

 

Faites-vous du sur-mesure pour des marques ?

F.M.-K. Nous avons imaginé une édition spéciale sur les femmes pour Sonia Rykiel. Nous l’avons réalisée dans une des boutiques de la marque. Tout le monde pleurait à la fin, même les vendeuses. C’était un spectacle conçu pour les très bonnes clientes de la marque. Nous avons récemment monté une édition pour le groupe Bayard, à l’invitation de la directrice de la communication interne, avec un mélange de journalistes extérieurs et de gens du groupe. Un beau moment : 250 employés étaient là, et de la maintenance technique aux membres du directoire, ils étaient tous emballés. Cet été, à Arles, nous avons conçu un mini-Live magazine à cinq auteurs pour les Napoléons, le rendez-vous des industries de la communication. Enfin, nous avons vendu un format hors-série au journal Le Monde qui fera monter sur scène les journalistes de leur rédaction. Ce sera le 19 septembre, au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Pour Le Monde, il s’agit surtout d’une opération d’image dans le cadre de leur Festival.

 

Avez-vous des marques partenaires ?

F.M.-K. Des marques aussi différentes que Hennessy ou Arte nous soutiennent. Nous voudrions aller plus loin en vendant des pages aux annonceurs comme le font les médias traditionnels. Mon rêve, c’est de réaliser des publicités vivantes qui s’intercalent entre les histoires contées. Pour moi, un média sans publicité ce n’est pas un média. C’est tout triste. J’aime, par ailleurs, les marques et l’énergie des publicitaires. Sans compter que j’adore expérimenter. Nous avons d’ores et déjà conçu de petits sketches pour Autolib, mais nous souhaiterions aller plus loin. C’est pour cela qu’Anne-Lise Carlo nous a rejoints. C’est une journaliste qui connait bien l’univers des marques et des agences pour avoir travaillé à Stratégies.

 

Les publicités vivantes sont aussi à l’œuvre dans Pop-up magazine ?

F.M.-K. Plus que jamais ! Outre-Atlantique, ce nouveau format publicitaire a séduit beaucoup d’annonceurs, notamment ceux issus de la nouvelle économie tels que Google Play, Mail Chimp ou Airbnb. C’est un lieu d’expérimentation pour les marques, devant un public assez prescripteur. En Belgique aussi, le Live Magazine que je co-produis là-bas, intéresse les marques et les représentations se font à chaque fois avec une ou des publicité(s) insérée(s) parmi les histoires contées.

 

De nouveaux projets ou envies pour les mois qui viennent ?

F.M.-K. Je souhaiterais élargir et diversifier le public de Live Magazine. Toucher des publics qui sont loin du journalisme, et m’installer dans d’autres villes en France et en Suisse. Enfin, du côté des marques, des tas de formats de notre journal vivant sont encore à imaginer !

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