Technologie
Acquisition de Nervana par Intel, de Wit.ai par Facebook, de Deep Mind ou de Mood Stocks par Google… Les grands noms de la Silicon Valley ont mis la main sur des technologies de l'IA qui ont la capacité d’approcher au plus près de l’intelligence humaine.

Il faut entendre Stéphane Mallard, l’«évangéliste» de la Société générale, pour mesurer les bouleversements qu’amènent les dernières tendances de l’intelligence artificielle. Ce véritable showman de 27 ans, qui s’est produit le 2 juin au Digital Day du Figaro, annonce l’avènement d’une intelligence se calquant sur le cerveau humain par l’auto-apprentissage, le raisonnement par complexité croissante et la capacité d’imitation. Loi de Moore aidant, les capacités de calculs des ordinateurs augmentent en effet de façon exponentielle et le deep learning, ce système d’apprentissage profond basé sur les réseaux de neurones, ouvre le champ des possibles.
Siri d’Apple, Cortana de Microsoft, Google Now… Tous les systèmes de reconnaissance – visuelle, vocale, formelle – sont fondées sur cette mécanique auto-apprenante («machine learning»). «La technique que j’ai développée, ce sont les réseaux convolutifs, a expliqué à Stratégies Yann LeCun, l’un des pères de l’IA, qui dirige le laboratoire de Facebook. Elle a été remise au goût du jour ces dernières années pour des applications comme la reconnaissance d’images ou de la parole. C’est pourquoi on parle beaucoup de l’intelligence artificielle. C’est la même technique qui est utilisée pour les voiture autonomes, sans chauffeur, ou pour Alpha Go de Deep Mind pour le jeu de Go.» Une allusion à la célèbre victoire de l’IA sur le champion du monde de ce jeu, en mars 2016, à partir d’une trentaine de millions de connexions de réseaux neuronaux.
En charge de la stratégie de l’innovation de la Société générale, Stéphane Mallard table sur la combinaison entre le deep learning, qui repose sur la reconnaissance d’une représentation par l’agrégation de données convergentes, et le crowd learning, où la capacité pour la machine d’apprendre à partir de nos clics.  De l’imagerie médicale aux salles de marché, en passant par les recettes de grande gastronomie, nombreuses sont les applications qui en résultent. Watson, le programme informatique d’IBM vainqueur du jeu télévisé Jeopardy en 2011 est aujourd’hui exploité par la plupart des grandes banques dans le monde: City Group, UBS, Goldman Sachs, Crédit mutuel. «Il est utilisé dans la banque privée de façon à connaître parfaitement les clients et à générer des solutions d’investissement. Cela a permis d’augmenter considérablement la satisfaction clients», note Stéphane Mallard.

Double digital 

Selon lui, la capacité de reconnaissance de la machine favorise l’identification des personnes – utile pour la télésurveillance – mais aussi un repérage de «l’état émotionnel en temps réel»: le niveau de satisfaction, de colère, d’énergie ou d’honnêteté d’un individu. On imagine les traductions possibles – et un brin orwelienne- dans la publicité ou les ressources humaines. Mieux, par leurs capacités d’auto-apprentissage et leurs aptitudes à l'imitation après l'ingestion de méga-données, «certains robots sont capables d’une intelligence émotionnelle, soutient-il. Plus ils vivent avec nous, plus ils sont adaptés à leur environnement.»

C’est notamment le cas des assistants intelligents et mobiles que l’on possède dans la poche et qui seront capables de gérer demain toute la logistique de notre vie en ayant accès à nos contacts, nos données, nos habitudes… Ces « bots » seront une sorte de «double digital» qui auront la capacité d’être toujours pertinent – réserver un billet de train, vous suggérer une sortie … -et répondre à l’intelligence artificielle des entreprises.

«Chacun aura son IA personnelle », augure Nicolas Demassieux, directeur d’Orange Labs Recherche. Elle permettra de se réapproprier la puissance de l’algorithme dans un monde où les technologies vont avoir tendance à s’effacer pour «ré-humaniser» notre relation à notre environnement.

«A partir du moment où les clients seront équipés en IA, l’enjeu ne sera plus de les connaître toujours plus pour pousser des produits, car ils sauront s’ils ont raison de les acheter, ajoute Stéphane Mallard. L’enjeu de toute organisation sera alors de maintenir un niveau de confiance qui puisse lui permettre d’être sélectionnée par l’intelligence artificielle de son client.» D’ores et déjà, dans la banque, ce sont des algorithmes qui établissent des comptes-rendus de réunion et même donnent des opinions pour des décisions d’achat dans le cadre de fusions-absorptions.

E-majordomes 

Ce ne sont bien sûr pas les seules applications. Des compagnies comme Allianz proposent des programmes de conduite connectée qui permettent de réduire les tarifs de police d’assurance de 30% suivant son comportement sur la route. Au-delà des bots conversationnels, l’IA donnera aussi naissance à de véritables assistants de vie pour épauler les personnes âgées. Mais encore faut-il pour cela que les robots fassent la preuve de leur pertinence… donc d’une certaine humanité ! «Comment on code une assistante sociale ?, interroge Etienne Bureau, en charge de l’innovation et du marketing de Viseo, société de services numériques de 1200 collaborateurs. Le facteur humain va entrer en jeu. Pour l’aide aux personnes seules à domicile, il ne faut pas que des éléments factuels –  l’ouverture de la chasse d'eau ou des volets - pour savoir si tout va bien, il y a un besoin de monitorer les coefficients émotionnels chez les gens, de reconnaître des émotions sur des visages.» D’où l’importance de travailler sur des assistants virtuels doués d’empathie.

Ce spécialiste va plus loin: il imagine des coachs d’algorithmes, des e-majordomes dotés de véritables personnalités comme dans les jeux vidéos. «Les scénaristes, les journalistes, les publicitaires, tous les gens qui savent créer des personnages prennent une nouvelle valeur car ce sont eux qui vont fabriquer de l’émotion pour l’IA», prédit-il.
Jean Rauscher, directeur général d’Yseop, estime aussi que la capacité à faire parler les données dessine une bonne part de l’avenir de l’IA… et de nos emplois. Que ce soit à travers l’élaboration de textes – une article relatant un match – des synthèses, un diagnostic ou une recommandation bancaire, la technologie commence à devenir un compagnon ou un collègue de travail. Moody’s, par exemple, y a recours pour légitimer ses notations, la Banque postale ou LCL pour assister 17 000 ou 12 500 postes en permanence dans la gestion de clientèle. Disney ou L’Oréal y trouvent le moyen de tirer parti de leurs bases de données pour traiter individuellement chaque client. Faut-il craindre comme Moshe Vardi, professeur à la Rice University, que les robots privent de boulot la moitié des salariés, notamment des middle class ? «En automatisant les tâches répétitives, l’IA va aider les humains à devenir des experts», estime Jean Rauscher. D’ailleurs, rappelle Bernard Ourghanlian, directeur de la technologie et de la sécurité de Microsoft, le robot  fait des tâches pour des jobs aux processus automatisés en étant capable de vérifier des hypothèses, de faire des suggestions, donc mieux en mieux... mais sur «des applications très spécifiques». Le propre de l’homme reste dans son intelligence généraliste et sa capacité à faire un pas de côté. Pour combien de temps ?

Qui a peur de la grande méchante IA ?
Les plus hostiles à l’intelligence artificielle ne sont pas forcément ceux qu’on croit. Un sondage Odoxa pour Stratégies, paru en mai, relate que 54% des 25-34 ans ont peur de l’IA alors que 56% des plus de 65 ans - un score équivalent à celui des cadres - y voient une opportunité. Motif : la peur de perdre son travail prime sur le bénéfice à en tirer dans sa vie quotidienne. Il est vrai que l’IA est potentiellement destructrice de nombreux emplois de service.  Bernard Ourghanlian, de Microsoft, se veut rassurant: «Il y aura des emplois détruits mais aussi des emplois créés où l’homme et la machine pourront se compléter.»

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