C'était le "buzzword" de la fin 2016 : la post-vérité, ou primat de l'émotion sur les faits, est sur toutes les lèvres. Sont plutôt visés le politique et la médiatique. Quid de la publicité ?

Elle est décidément délicieuse. En plus d’avoir piqué les yeux, lors de la cérémonie d’investiture de Donald Trump, avec un manteau Gucci bleu-blanc-rouge à 3600 dollars, Kellyanne Conway a su faire montre d'une certaine poésie dans l’invention verbale. Sans battre un cil sous le brushing, la plus fidèle conseillère du 45ème président des Etats-Unis sidérait son monde, interrogée sur des propos du Secrétaire d’Etat Sean Spicer selon lequel « jamais autant de monde ne s’était déplacé à une investiture présidentielle » - alors que les images évoquaient plutôt de l’épars, du clairsemé. « Ne soyez pas aussi dramatique, tançait-elle le journaliste de NBC, vous dites que c'est un mensonge mais le porte-parole a présenté des « faits alternatifs » [alternative facts] ». Irrésistible.


Si une vérité doit ressortir de tout cela, c’est que Kellyanne Conway a mis les rieurs de son côté : immédiatement, sur Twitter et consorts, le hashtag « alternative fact » (ou « alt fact ») explosait, avec des tweets comme celui de la chanteuse Courtney Love, pas vraiment connue pour être une rosière : « Je n’ai jamais pris de drogues de ma vie ou juré en public ou fumé de cigarette #alternativefact ». LOL.


Le « buzzword » connaîtra-t-il le destin de son devancier, le « post-truth » ou « post-vérité », psalmodiée dans les médias, les débats, et les conversations depuis le 16 novembre 2016 ? Ce jour-là, la post-vérité connaissait sa propre investiture : le terme, qui renvoie « à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles », était élu « mot de l’année » par le prestigieux Oxford Dictionnary.


« Ce genre de terme n’est pas nouveau, rappelle Vincent Garel, directeur des stratégies de TBWA. En 2005, le présentateur Stephen Colbert inventait le concept de « truthiness », qui désignait les oripeaux de la vérité ». Et qui était élu mot de l’année en 2006 par le dictionnaire Merriam Webster.


Sur la forme, on prend depuis longtemps des libertés avec la « vérité ». Sur le fond, les départements de planning stratégique avaient senti monter l’ère « post-truth ». Avant même l’élection de son chantre Donald Trump. « Toutes les forces structurantes de la post-vérité étaient en place dans notre dernière étude prosumer [influenceurs dont le comportement actuel sera vraisemblablement imité par les consommateurs traditionnels d’ici 6 à 18 mois], intitulée « Pride & Prejudice : fierté nationale et crainte du futur », souligne Grégoire Mulot, planneur stratégique chez BETC. On y décelait le besoin d’un leader avec une vision forte, la notion de sécurité plus forte que la liberté… »
 
« Nous avons déjà utilisé le concept en présentation, sous d’autres termes, raconte quant à lui Sébastien Genty, directeur général adjoint de DDB en charge des stratégies. Comme la vertu première d’une marque est de créer de la confiance, très vite la question de la vérité se pose ». Un comble pour la publicité, souvent qualifiée de mensongère… Vincent Garel évoque d'ailleurs certains tiraillements : « La question de savoir si la pub, dont la mission première est de générer du désir et de l’envie, doit dire la vérité est presque un questionnement philosophique… »


De fait, comme l’explique Clément Scherrer, planneur stratégique chez Buzzman, « les publicitaires vivent depuis longtemps dans l’ère de la post-vérité. Bill Bernbach ne disait-il pas en substance que « ce qui compte, ce n’est pas ce que vous dites aux gens, mais la façon de le dire ? »». Le primat de l’émotion sur les faits, la pub connaît par coeur. « C’est une arme ancienne, avec une recherche et une nécessité de manipulation de l’émotion, de recherche d’authenticité, de construction de la confiance », résume Sébastien Genty.


Mais, ainsi que le rappelle Ghislain Tennesson, directeur du planning stratégique de Marcel Paris, « affirmer les choses et les affirmer fort, ça, c’était avant ! La pub est tellement réglementée qu’en terme de post-vérité, on est plutôt en avance sur le politique ». La réclame se situerait davantage, selon sa consoeur Séverine Bavon, « dans la post-post-vérité. La vieille thématique du fact checking est une réalité depuis près de 20 ans ». Une preuve ? « Il n’existe pas d’ARRP [Autorité de régulation professionnelle de la publicité] en politique », lâche Grégoire Mulot.


Principe de réalité plus que recherche de vertu, « de plus en plus de marques comme McDo, ou Fleury Michon avec « Venez vérifier », adoptent une posture d’humilité, de transparence, ont appris à reconnaître leur erreurs industrielles… », relève Corentin Monot, directeur du planning stratégique de CLM BBDO. « Les marques laissent de moins en moins de zones d’ombre, car elles savent que l’ignorance et le doute sont la porte ouverte à tous les fantasmes… », observe Sébastien Genty.


La publicité serait-elle désormais lavée de tout soupçon, au regard des errances du politique et du médiatique, au moment où The Economist titre sur « The art of the lie » [L’art du mensonge] ? « La problématique est évidemment beaucoup plus brûlante pour les médias, avec des signes inquiétants, comme l’arrivée en France de Breitbart, le site populiste dirigé par le directeur de campagne de Trump ».

Pour autant, la pub ne semble pas partie pour se transformer en rapport d’activité un peu sexy. « Les marques qui s’en sortent restent celles qui créent de l’émotion à partir du rationnel », résume Corentin Monot. De quoi donner raison pour longtemps encore à la fameuse réplique de L’Homme qui tua Liberty Valance : « Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende. »

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.