TELEVISION
Après avoir conquis les premières parties de soirée avec des concours devenus spectaculaires, la cuisine investit la journée avec des formats toujours plus variés.

Frôlerait-on l’écœurement? Jamais les émissions culinaires n’ont eu autant de visibilité à la télévision. Chez M6, on décline Top chef et Le Meilleur Pâtissier en prime time. Sur France 2, Qui sera le prochain grand pâtissier ? fera son retour à la rentrée. Quant à France 3, elle se régale des recettes patrimoniales de Julie Andrieu. La cuisine se porte bien, comme le souligne Isabelle Vignon, directrice générale adjointe des études médias chez Dentsu Aegis Network: «C’est un genre de production qui a de la ressource. Il y a toujours de nouveaux concepts qui émergent et de plus anciens qui perdurent.»

Anciens, effectivement, puisque la cuisine est apparue sur le petit écran fin 1946 durant l'émission La Femme chez elle, alors que moins de 1% des foyers français possèdaient un poste. Puis elle a dressé son couvert dans les années 1950 avec Pour vous Madame, qui deviendra Le Magazine féminin, consacré aux «activités ménagères»: une rubrique culinaire aidait les mères de familles dans leur tâche quotidienne. Une décennie plus tard, Jean d’Arcy, directeur des programmes, s’inspire d’une émission diffusée en Angleterre et en Allemagne dans laquelle un «acteur gastronome» exécute des plats simples sur un mode décalé (1). Baptisé Les Recettes de Monsieur X, le programme est un fiasco. Appelé à la rescousse, le grand chef Raymond Oliver, propriétaire du Grand Véfour, le transforme et partage son savoir-faire avec le public, un triomphe qui durera des décennies.

Le rachat de cartons étrangers

Dans les années 2000, la cuisine se réinvente via deux figures de proue. Julie Andrieu officie dès 2001 sur Téva, puis propose une cuisine ménagère modernisée avec des images léchées et des formats qu’elle tient à inventer comme Fourchettes et Sac à dos à partir de 2007 sur France 5, puis Les Carnets de Julie depuis 2012 sur France 3. «En France, les chaînes prennent peu de risques sur les créations. Elles préfèrent racheter des formats qui cartonnent à l’étranger» reconnaît celle qui en est un bon contre-exemple.

L’autre visage, c’est celui de Cyril Lignac sur M6, choisit dès 2005 pour être l’alter ego français d’un Jamie Oliver, qui séduit la Grande-Bretagne sur la BBC, puis Channel 4. Oui chef, Chef la recette en 2006 puis Top chef depuis 2010 s’imposent. TF1 dégaine son Masterchef en 2010, qui s’essouffle en 2015 après cinq saisons. Signe que l'émission reste néanmoins encore dans les esprits, elle donne lieu à une version papier lancée le 15 mai dernier sous forme de trimestriel. Mais l'essentiel du business se fait à travers l'exploitation du concept TV. «Quand elles rencontrent le succès, les chaînes commerciales abusent de déclinaisons de leurs formats. C’est le revers de les avoir achetés chers, il faut les rentabiliser», indique Nathalie Cottet, qui a créé le concours Qui sera le prochain grand pâtissier ? en 2013. J’ai voulu magnifier cette profession, qui était jusque-là le parent pauvre de la cuisine. Nous nous sommes inspirés du concours des Meilleurs ouvriers de France, en adoptant les codes de l’exigence, du respect et de la hiérarchie qui sont en vigueur dans ce milieu.» Après une année d’absence, Pierre Marcoloni et Christophe Adam (qui sont restés malgré les propositions de la concurrence) seront là à la rentrée, avec le chef Jean Imbert à l’animation. Tout en restant fidèles à ce format: «Cest une vraie signature et une belle création française», confie le chocolatier belge Marcolini.

La vague de «cuisinetainment»

L’émission revient pour une quatrième saison alors qu’entre temps, des formats plus ludiques ont vu le jour, comme Un chef à l’oreille et Chéri, c’est moi le chef sur France 2 en access prime time. «Ils marquent l’apparition d’une tendance ludique, en “daytime”. Des concepts souvent bien menés, avec des oreillettes, mais pas forcément proposés sur la bonne chaîne vue sa structure d’audience, portée par les 50 ans et plus», analyse Isabelle Vignon, de Dentsu Aegis Network. Le tarif publicitaire était de 2 230 euros les 30 secondes lors de la diffusion du format ludique précédent (2015-2016) Dans la peau d’un chef, avec Christophe Michalak. Il est tombé à 962 euros pour Un chef à l’oreille et à 1 309 euros pour Chéri, c’est moi le chef, sur la même chaîne et à la même case horaire. Preuve qu'en cuisine aussi, on ne réussit pas tout du premier coup.

Sur M6, Toque show et Norbert Tarayre s’installent avec plus de facilité à l’heure du déjeuner via un jeu qui s’inscrit dans cette vague de «cuisinetainment». Des formats puissants sur les jeunes, très aptes à créer du lien social et transgénérationels. «Arriver à glaner une audience jeune sur un média qu’on classifie de vieillissant, c’est une belle réussite», s’enthousiasme Isabelle Vignon. «En France, la nourriture, c’est notre principale activité et elle a un bel avenir à la télévision. Dans notre époque qui a besoin de convivialité, de partage, de transmission et de réassurance, elle a toute sa place», renchérit Nathalie Cottet. Car les genres du documentaire ou de la fiction culinaire ont été peu développés, après Chefs avec Clovis Cornillac. Et les tendances du vegan, du mieux manger, voire du caritatif sont encore à défricher en la matière. Et si la cuisine n’en était encore qu’aux hors d’œuvres à la télévision.

Des programmes qui font saliver

«La Cuisine et la télé ? On pourrait parler d'une relation presque parfaite, explique Virginie Spies, maître de conférence à l'université d'Avignon. La cuisine a un côté “feelgood” qui plaît structurellement au public et aux annonceurs, qui adorent ces programmes. Ils pourraient presque avoir été pensés pour eux. Ils donnent l'eau à la bouche et sont parfaits pour vendre des produits alimentaires dans la foulée. C'est de la télévision qui se consomme, à tous les sens du terme.»

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