Medias
La rentrée audiovisuelle est caractérisée par la recrudescence d’une nouvelle famille d’intervenants dans la société du spectacle : l'ex-responsable politique éditorialiste, débatteur ou chroniqueur.

BFMTV s’est posé la question avant l’été : et si on faisait venir des politiques dans les programmes ? Son patron, Hervé Béroud, s’y est refusé. « À moins que ce soit un duel Sarkozy-Hollande, je ne voyais pas ce qu’ils pouvaient apporter, confie-t-il le 7 septembre. Ce n’est pas ça qui fait l’audience ». La chaîne I24News, du même groupe Altice, a pourtant recruté Aurélie Filippetti dans ses « conversations avec Anna Cabana ». Après Axelle Lemaire, ex-secrétaire d’État au Numérique, qui officie à France Culture, l’ex-ministre de la culture a été la dernière d’une série de personnalités politiques à rejoindre des antennes à la rentrée.  Elle était déjà présente sur RTL, dans On Refait le monde, aux côtés de l’ancien conseiller de l’Élysée, Gaspard Gantzer. « Ce n’est que quelques fois par mois, dans le cadre d’un débat très libre dans l’expression, explique l’ancien communicant de François Hollande. Ce qui me motive, c’est la liberté d’action, de réaction et de parole ».

Grandes gueules.

Gantzer n’est pas le seul ancien conseiller d’un chef d’État à être à l’antenne d’une radio. Henri Guaino, qui avait été cruellement éliminé dès le premier tour des Législatives, avec 4,5% des voix, joue désormais les éditorialistes chaque matin sur Sud Radio. « L’Occident a sa part de responsabilité depuis la guerre en Lybie », y déclare-t-il à propos de la crise des réfugiés. Difficile de ne pas penser que le président qu’il a servi, Nicolas Sarkozy, y a un peu plus sa part que d’autres... Sur LCI, on retrouve Julien Dray, ex-député PS, et Roselyne Bachelot, ex-ministre de la Santé du gouvernement François Fillon, qui entame sur la tranche 10-12 h une nouvelle saison TV après C8. « Sans que ce soit consécutif à un échec, j’ai choisi de faire ce métier et franchis un Rubicon de façon irrémédiable, affirme-t-elle à Stratégies. À aucun moment je n’ai joué les faux-culs. Sur RMC, la saison dernière, j’ai même expliqué que je ne parlerais pas de la campagne présidentielle pour ne pas risquer la moindre confusion ».

Mais pourquoi les chaînes sont-elles friandes de ces grandes voix – ou gueules – venues de la politique ?  Patrick Eveno, professeur à Paris 1, y voit la volonté de s’attacher le concours de personnalités qui ont le sens de la petite phrase et qui fassent « le buzz et le clash » à côté d’éditorialistes comme Natacha Polony ou Éric Brunet. « Le politique a de la notoriété, des aspérités et de l’expertise, répond Roselyne Bachelot, il a une capacité d’analyse qu’aucun journaliste ne peut avoir car il est entré dans les coulisses, dans le ventre du monstre... J’y vois aussi une conjonction entre la montée en force des chaînes info, qui ont la nécessité d’avoir de la pâte humaine, et la multiplication des personnages politiques dans les fictions (House of Cards, Baron noir, Scandal...) ».

Métier de vocation.

L’ex-ministre, qui avait été mise en cause à la fin de sa carrière pour 2,2 milliards d’euros de commandes de vaccins pour la grippe A, tient néanmoins à tracer une ligne de partage entre ceux qui, comme elle, ont quitté la politique, ceux qui jouent les chroniqueurs bénévoles (Dray, Raffarin), et ceux qui ont des activités annexes dans les médias (Filippetti, Guaino). Enfin, vient le cas de Raquel Garrido, porte-parole de la France insoumise et qui intervient désormais comme chroniqueuse sur C8, dans l’émission Salut les Terriens. Elle peut, à ce titre, interroger le Premier ministre en conférence de presse ou mener sa propre enquête pour savoir qui sont les rédacteurs des ordonnances sur la réforme du Code du travail. Comme tous les reporters, elle se présente face caméra pour mettre en scène son reportage… Un mélange des genres ? « Le journalisme est un métier et une vocation. Ça ne me choque pas qu’on vienne d’ailleurs, dès lors qu’on épouse cette discipline et qu’on ne prétend pas apporter le meilleur des deux mondes, souligne France Balle, professeur de sciences politiques à Paris 1 et sociologue des médias. C’est un exercice d’équidistance : il faut savoir si l’on est militant ou indépendant ». Raquel Garrido s’est vu reprocher d’accepter l’argent d’un oligarque tout en oeuvrant pour les Insoumis. « Considérer que je suis payée par Bolloré, c’est considérer que vous êtes payée par Macron », a-t-elle répliqué à Anne-Élisabeth Lemoine dans C à vous, sur France 5. « Le problème, c’est qu’il y a une différence entre être engagé, croire à ses idées et être militant en défendant un camp contre un autre », relève Natacha Polony. À ce petit jeu, Europe 1 a bien failli recruter l’énarque frontiste Jean Messiha…

L'info ou le buzz.

Le cas de Jean-Pierre Raffarin, qui reste sénateur jusqu’au 2 octobre et vient de rejoindre l’équipe de 19h le dimanche, est moins ambigu. Jean-Michel Carpentier, rédacteur en chef de l’émission, explique que, pour cet ancien Premier ministre qui s’apprête à arrêter la politique, il s'agit d’apporter un point de vue sur un sujet précis parmi 15 à 20 « éclaireurs », comme Édith Cresson. Reste qu’il demeure une voix écoutée à droite – refusant, par exemple, son soutien à Laurent Wauquiez à la tête de LR. Sylvie Pierre-Brossolette, en charge du pluralisme au Conseil supérieur de l’audiovisuel, a d’ailleurs préconisé auprès du collège, de comptabiliser son temps de parole comme relevant de son parti, à l'instar de tous ceux dont le retrait de la vie politique est encore peu clair (Filippetti, Guaino...). « Cela entretient une double confusion, assène Patrick Eveno. On y voit la connivence entre deux mondes au sein de la même sphère bobo-parisienne et la confusion entre ceux qui font l’info et ceux qui font le buzz ».
Jean-Michel Carpentier ne l’entend pas ainsi. « Pourquoi écarter a priori ceux qui viennent du monde politique ? », interroge-t-il. Chloé Morin, qui a travaillé avec Manuel Valls et dirige l’Observatoire de l’opinion à la Fondation Jean-Jaurès, constate qu’à une époque où le statut de la parole publique s’est affaissée – les mots ne signifient plus action – « on donne ainsi le sentiment qu’un homme politique peut être là pour faire de l’agitation et n’est pas bien différent d’un journaliste ou d’un animateur ». De cette confusion des sentiments, où triomphe la société du spectacle, l’idée de la connivence ou d’un « bénéfice mutuel », comme dit Mick Temple, de la Staffordshire University, l'emportent. L’inverse d’une confrontation entre deux mondes. Pas étonnant que ce soit des éditorialistes, James Slack et Bruno Roger-Petit, que Theresa May et Emmanuel Macron ont recrutés comme porte-parole.

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