Vous êtes ici
Pour bénéficier des alertes ou des favoris, vous devez vous identifier sur le site :
Vous avez déjà un identifiant sur stratégies.fr ? Identifiez-vous
Pas encore d'identifiant ? Créez vos identifiants
L'art et les marques convolent en secondes noces
24/09/2009 - par Alain DelcayreLe mécénat est-il en train de changer de visage ? Alors que le soutien des entreprises aux grandes expositions se fait plus rare, les marques sont de plus en plus nombreuses à organiser leur propre événement culturel.
Le 2 octobre prochain, sur les Champs-Elysées, les passants assisteront à un happening qui devrait faire parler de lui. Au programme : une fresque de 17 sur 4,20 mètres finalisée en direct par le trio de graffeurs de choc Collectif 1980 et une vitrine de 1,30 mètres de profondeur où l'artiste Régis-R mettra en scène son œuvre-squelette emblématique, Monsieur ARTuro. Visible tout au long du mois d'octobre, cette expérience d'art de rue baptisée «C'est bon d'être méchant» a été concoctée par Disneyland Paris avec Zenith-Optimedia et JCDecaux dans le cadre de sa campagne Halloween.
Ce type d'opération événementielle à dominante artistique n'est pas nouveau, mais semble faire de plus en plus d'émules. Ainsi, les 12 et 13 septembre, Ariel inaugurait au Laboratoire de Paris, lieu de création pionnier du courant Artscience, l'exposition Performances à froid présentant les œuvres de trois artistes contemporains. Une occasion de mettre en scène le lancement de sa nouvelle lessive Ariel Excel Gel, «efficace à basse température». Le 19 septembre, Thalys donnait carte blanche à quatre graffiteurs européens pour décorer un de ses trains dans la gare du Nord en 3 heures et 15 minutes montre en main, soit le temps qu'il faudra à partir du 13 décembre pour relier Amsterdam ou Cologne à Paris. Dans un autre registre, SFR organisera le 25 septembre avec le producteur La Lune Rousse sa première nuit électro (Live Concerts) au Grand Palais…
« On observe une évidente volonté de la part des marques de s'associer à de la production de contenus artistiques spécifiques en dehors des murs des grandes institutions muséales. C'est un moyen pour elles de mieux maîtriser leur message tout en étant plus visibles», estime Albane Collon, directrice d'Evene Conseil, toute nouvelle agence de communication et de marketing spécialisée dans la culture lancée par le site culturel evene.fr.
C'est clairement le parti pris d'Electrolux avec son projet Art Home, une table d'hôtes installée sur le toit du Palais de Tokyo depuis le 1er juillet avec le concours de l'artiste Laurent Grasso et du chef cuisinier Gilles Stassart. «Cette opération a déjà permis de faire partager à plus de 5 000 personnes une expérience unique et de bénéficier de plus de 200 retombées médias en France et à l'étranger, soit l'équivalent de plus de 124 millions de contacts», s'enthousiasme Stéphanie Botte, directrice de la marque Electrolux.
«L'heure est moins au simple sponsoring qu'au cobranding, où la marque devient copartenaire de l'opération», renchérit Mondher Abdenadher, président de Carat Culture, qui estime que le défi pour «les opérateurs culturels est de créer de nouveaux dispositifs, pour passer de l'appel à la générosité à la commercialisation de contenus en lien avec une mécanique de diffusion».
D'autant que le mécénat traditionnel, où l'on retrouve souvent les mêmes (LVMH, PPR, Total, Areva, HSBC, Neuflize OBC, etc.), tend à se raréfier. Ainsi, l'exposition Kandinsky, qui s'est achevée le 10 août à Beaubourg, n'a pas réussi à attirer de mécènes. Le musée des Arts décoratifs, lui, a dû repousser à 2010 et 2011 plusieurs de ses expositions faute de soutiens privés.
Du coup, et en dépit des réticences, les lignes bougent. «L'essentiel est d'éviter le Barnum que certaines entreprises voudraient nous imposer», lance Marjorie Lecointre, directrice de la communication du Grand Palais qui, depuis son changement de statut en établissement public en 2007, multiplie les contacts avec le secteur privé : Vitra, Sony, Boston Consulting Group et Prévoir Vie font partie de ses premiers grands partenaires.
Non sans remous parfois, certaines grandes institutions osent donc. En 2007, le Grand Palais accueillait Les Trésors engloutis d'Egypte, une exposition entièrement conçue et financée par Hilti, spécialiste de l'outillage de construction. Un an avant et également avec le concours de Carat Culture, le Palais de Tokyo présentait Ultra Peau, une exposition imaginée autour de l'univers de la marque Nivea.
«En mélangeant par trop les genres, l'exposition Nivea a au final été contre-productive», reconnaît Marc Alizart, directeur adjoint du Palais de Tokyo. A contrario, avec Electrolux, nous avons atteint un bon équilibre où la liberté de l'artiste a été totalement respectée. Cela abouti à un projet cohérent offrant au public une expérience unique. Précurseur, la Tate Modern [galerie située à Londres] fait cela très bien, comme en témoignent les événements conçus avec UBS, puis Unilever dans son Turbin Hall».
L'engouement du public ne faiblit pas
Paradoxalement, la multiplication de ces opérations «marketées» intervient alors que le mécénat culturel est à la peine. «En cette période de crise, les entreprises privilégient les actions de solidarité. Elles ont tendance à diminuer leurs opérations de RP à dimension culturelle, qu'elles estiment plus difficiles à justifier», regrette Olivier Tcherniak, président de l'Admical, l'association pour le développement du mécénat, par ailleurs secrétaire général de la Fondation d'entreprise Orange.
Quelques exceptions sont toutefois à noter, telle la Maif qui, depuis l'an dernier, a décidé de soutenir, avec le concours de l'agence Community, les jeunes sculpteurs désireux d'utiliser le bronze, matériau très couteux. «Bien que la crise ne nous épargne pas, nous n'allions pas remettre en cause un engagement que nous n'envisageons que sur la durée», explique Thierry Beaufils, directeur des relations extérieures de la Maif.
Adopter une autre démarche serait une erreur, estiment la plupart des professionnels du mécénat qui rappellent que la considération du public pour une marque vient aussi, et de plus en plus, de son engagement citoyen. «Les entreprises l'oublient encore trop souvent, mais la culture représente un enjeu d'utilité sociale. C'est le quatrième pilier du développement durable avec l'environnement, l'économie et le social», rappelle Sofianne Le Bourhis-Smilevitch, directrice du cabinet-conseil en mécénat et développement durable Smile & Co, qui conseille notamment le Centre Pompidou.
L'engouement du public pour la culture devrait tout autant inciter les marques à davantage investir dans ce domaine. En effet, des records sont battus chaque année : l'exposition «Picasso et les Maîtres» au Grand Palais, qui a fermé ses portes le 2 février dernier, a attiré plus de 780 000 visiteurs, le Salon du livre 2009 a vu sa fréquentation augmenter de 20%, celle des salles de cinéma était en hausse de près de 4% au premier semestre en Europe et les festivals d'été ont plus que jamais fait le plein. Quant aux dernières Journées du patrimoine, elles ont attiré plus de 12 millions de personnes, comme l'année précédente.
«Les entreprises doivent s'associer aux centres d'intérêt auxquels sont sensibles leurs publics, c'est un moyen pour elles de les toucher autrement. Et l'opportunité est d'autant plus grande que le monde de la culture a de plus en plus besoin de fonds privés», estime Gilles Portelle, directeur général d'Havas Sports & Entertainment. Opportunistes, McDonald's et son agence BETC Euro RSCG ont su profiter du filon en diffusant depuis quelques mois une annonce presse aux créations originales adaptées aux grands événements culturels (Fête de la musique, Journées du patrimoine, etc.)
Donner du sens à l'engagement
Les événements «arty» que les marques font de plus en plus fleurir dans les villes répondent, à leur manière, à cette boulimie culturelle du public. «Ces opérations se développent d'autant plus que l'époque de l'art sacralisé est révolue. L'explosion des arts urbains et de la photographie, notamment, offre des œuvres jugées plus accessibles», remarque Albane Collon, d'Evene Conseil.
Mais investir le champ culturel ne suffit pas, encore faut-il donner du sens à son engagement. «Avec la crise, mais aussi compte tenu de l'évolution des comportements, les entreprises ont l'obligation de passer d'un simple mécénat d'image à un mécénat de valeurs», lance Marie Georges, cofondatrice de l'agence-conseil en mécénat Trois Temps.
Les exemples d'actions associant culture et responsabilité sociale de l'entreprise tendent ainsi à se multiplier. Des exemples les plus ténus comme Nespresso, partenaire de la prochaine restrospective Pierre Soulages, le grand maître de «l'outre-noir» aux plus consistants, tels Yves Rocher et l'exposition Elles@centrepompidou sur les artistes femmes et la SSII Devoteam pour Le Futurisme à Paris, une avant-garde explosive. «On observe également un essor des actions de mécénat croisé associant la culture au social ou à l'environnement, par exemple», constate Loïc Challier, codirigeant de l'agence Mécénaction. Ayant regroupé l'an dernier toutes ses actions de mécénat au sein d'une nouvelle fondation, Total s'inscrit dans cette démarche avec entre autres l'organisation d'actions en faveur de la diaspora africaine au musée du quai Branly ou de publics défavorisés au Louvre.
Le mécénat de compétence a également le vent en poupe. Dernièrement, Bouygues a participé à la restauration de l'hôtel de la Marine, place de la Concorde, et le spécialiste de la détection sous-marine CGG Veritas a financé une expédition autour du mystère Lapérouse.
« L'art préfigurant la société, les entreprises ont tout intérêt à y recourir en terme d'innovation», ajoute Mondher Abdenadher, de Carat Culture. Début octobre, le groupe de textile lillois Jules (marques Jules, Bisbee et Brice) inaugurera, avec l'agence Trois Temps, «Le labo du nouvo», un atelier de créativité pour ses manageurs animés par cinq artistes (photographe, chanteur, réalisateur, vidéaste et comédien). Bien loin des actions alibi ou des opérations trop commerciales, les entreprises commenceraient donc à avoir enfin une relation plus mature avec le monde de la culture.
Chiffres clés du mécénat
2,5 milliards d'euros. Somme consacrée au mécénat en 2008.
975 millions d'euros. Part du mécénat consacré à la culture.
29% des actions de mécénat sont faites dans le domaine culturel (48% en solidarité)
36% des entreprises soutiennent la culture, avec 39% du budget total consacré au mécénat
47% des entreprises agissent dans le domaine de la solidarité, avec 32% du budget (l'environnement 15%, la recherche 9%, le sport 5%).
22% des entreprises prévoient un diminution de leur budget pour la culture en 2009 (contre 6% pour la solidarité).
37% des entreprises augmenteront leur mécénat de compétence en 2009.