Entretien avec Anne Roumanoff
Longtemps snobée par la profession et les médias, elle est aujourd'hui l'humoriste préférée des Français, selon le sondage Stratégies-TNS Sofres réalisé auprès des plus de 18 ans. Une chronique dans Vivement Dimanche sur France 2, une autre dans le JDD et une émission sur Europe 1, Anne Roumanoff, qui fait de la scène depuis plus de vingt ans, goûte le plaisir d'être enfin reconnue. Entretien exclusif.

Que vous inspire cette médaille d'or ?

Anne Roumanoff. Un grand plaisir. C'est aussi très important, après des années de domination masculine, d'être en tête avec Florence Foresti [2e du classement]. Je ne crois pas qu'il y ait un humour féminin. En revanche, comme dans tous les métiers, les femmes qui réussissent sont toujours attendues au tournant.


Comment expliquez-vous votre succès actuel ?

A.R. En réalité, dès mes débuts, j'ai eu l'affection du public mais pas la reconnaissance des professionnels. Dans le succès, il y a une part de mystère et beaucoup de travail. Depuis que je suis enfant, je veux être comédienne. J'ai suivi les cours Simon et Florent.

 

Mais vous ratez le Conservatoire. Et c'est le diplôme de Sciences Po que vous obtenez en 1986, à 21 ans. Cela a-t-il entamé, à l'époque, votre détermination ?

A.R. Je suis une combattante, je ne lâche pas. J'ai passé Sciences Po pour me rassurer car j'étais consciente des aléas du métier de comédienne. Cela me permet de ne pas avoir de complexes face à ceux qui ont fait des études. Mais, un an après, en 1987, j'ai intégré La Classe sur France 3 et démarré mon premier spectacle aux Blancs Manteaux. J'avais ce désir viscéral d'être sur scène. Ce n'était pas une petite envie, c'était une nécessité. Encore aujourd'hui.

 

Pourtant, c'est bien avec votre chronique politique «On ne nous dit pas tout» dans Vivement Dimanche, et ce fameux sketch en 2008 sur le nouveau couple présidentiel, que votre carrière a pris un tournant. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour aborder ce registre ?

A.R. Je ne voyais pas comment faire de l'humour politique. Bedos, Les Guignols, les imitateurs le faisaient très bien. Et puis, avec la guerre en Irak, j'ai eu envie de dire des choses et j'ai lancé Radio Bistrot sur scène en 2003, qui est devenue fin 2007 une rubrique chez Drucker que je coécris avec Mabille [auteur de Thierry Le Luron]. Le billet sur Carla et Sarkozy, le 6 janvier 2008, a fait un buzz incroyable sur le Net car Les Guignols étaient en vacances et c'était le premier sketch sur le couple dévoilé à Disneyland…

 

Vous avez le sentiment de reprendre le flambeau des chansonniers ?

A.R. Je ne sais pas. Je constate surtout que j'ai du mal à faire de l'humour politique en ce moment. Avec la crise, le contexte est plus anxiogène et je sens une crispation du public. Le mot «Sarkozy» fait moins rire, on sent qu'il fatigue les gens. J'ai perdu mon personnage principal. Et puis, c'est compliqué l'humour politique, on tombe tous dans les mêmes poncifs politiquement incorrects, les mêmes caricatures des personnalités. J'ai essayé récemment avec Vincent Peillon, mais personne ne rigole car personne ne le connaît. En revanche, Villepin fait rire…

 

Justement y-a-t-il des personnalités politiques qui vous fassent rire et quelles relations entretenez vous avec eux ?

A.R : Rire je n'irai pas jusque-là. Certains m'amusent parfois. J'aime bien quand ça déborde du cadre: Sarkozy, Ségolène, Boorlo, Bachelot sont des gens qui débordent souvent. Je n'entretiens aucune relation avec les politiques. Certains viennent à mes spectacles. Je ne fais pas le compte. Je les croise parfois sur des plateaux télé, on se salue et ça s'arrête là. Pour ce que j'en ai vu, les politiques ont un besoin d'être dans le charme et la séduction permanente, davantage même que les acteurs.

 

Certains ont-ils tenté de vous faire une "douce" pression pour que vous tachiez de les oublier dans Radio Bistrot?

A.R : Je n'ai aucune pression et je le dois à Michel Drucker qui me laisse une totale liberté.

 


Qu'est-ce qui vous fait rire ?

A.R. Je suis une éponge : les petites choses de la vie qu'on se raconte avec mes copines me font rire et sont une source d'inspiration, comme les sujets de société. Tout ce que j'écris, je le teste en public. L'entourage est trop complaisant ou trop critique.

 

Qui vous fait rire ?

A.R. C'est difficile de rire d'un autre comique car on connaît trop les recettes et, s'il est très bon, on va plutôt décortiquer la fabrication de son sketch comme le ferait un boulanger avec le pain d'un concurrent. Mais j'ai de la sympathie pour de nombreux humoristes – Stéphane Guillon, Michel Boujenah, Nicolas Canteloup, Gad Elmaleh, Michèle Bernier, etc. – et de la bienveillance pour tous, car c'est un métier où il faut se donner à fond.


Y a-t-il un humour français ?

A.R. Comme pour le cinéma, on considère que les humoristes français sont très créatifs alors que les Nord-Américains sont plus formatés, mais plus efficaces. Avec la nouvelle génération,  cette différence s'estompe. Aujourd'hui, il faut être plus percutant, plus rythmé et se renouveler car il y a beaucoup de concurrence. La tendance actuelle, c'est un humour qui a du sens.

 

Comment expliquez-vous cette pléthore d'humoristes en France ?

A.R. C'est à la mode et l'humour est un accès au métier de comédien. Mais pour percer, il faut du souffle et de la ténacité. Et aujourd'hui, ceux qui n'ont pas le talent d'un chroniqueur TV ont peu de portes d'entrée.

 

Vous-même, vous dites avoir été persona non grata à la télévision entre 1995 et 2000 ?

A.R. À l'époque, on attendait des humoristes qu'ils soient extravertis, qu'ils arrachent les fiches des animateurs, qu'ils dynamitent les émissions. Ce n'était pas mon truc. J'étais timide, je n'avais pas trop confiance en moi, j'avais donc tendance à me renfermer, à ne pas être toujours sympathique. Je croyais que seul comptait le travail sur scène et je ne savais pas comment me comporter en dehors.

 

Vous avez dû faire des efforts, changer… Quels rôles ont joué, alors, Jacques Metges, votre attaché de presse, et Philippe Vaillant, votre mari et producteur ?

A.R. Ils m'ont soutenue envers et contre tous et m'ont aidée à juguler mon tempérament volcanique. Disons qu'ils m'ont appris l'amabilité et la diplomatie ! Jacques Metges m'a sécurisée et révélé certains codes du métier : sourire à des gens que vous n'aimez pas et dont vous savez qu'ils ont dit du mal de vous…

 
En tournée, vous faites des allers-retours pour voir vos filles. Que représente votre famille ?

A.R. C'est essentiel. J'en ai besoin et puis, comme toutes les femmes qui travaillent, je culpabilise de ne pas leur consacrer assez de temps.

 

Scène, TV, radio, presse, Internet, publicité pour Plein Ciel… Vous êtes partout. Pourquoi cette frénésie ?

A.R. La scène, c'est essentiel. Je vais écrire un nouveau spectacle et ensuite, peut-être, une pièce de théâtre. La publicité, j'ai beaucoup aimé en faire à mes débuts car c'était les seuls castings démocratiques. Aujourd'hui, je suis très sélective. Pour le reste, je trouve un grand plaisir à mener de front ces diverses activités. Je mesure le privilège que j'ai de pouvoir m'exprimer et j'essaie de le mériter en étant très scrupuleuse dans mon travail. Je suis une paresseuse, mais les délais m'excitent et me forcent à me mettre en mouvement. J'aurais aimé être journaliste… J'aime tenter de nouvelles expériences, tout ce qui stimule la créativité. Mais quand l'amusement disparaît, je sais qu'il faut savoir s'arrêter. J'essaie d'être vigilante avec cela.

 

Ça vous apporte quoi de faire le clown ?

A.R. Ça aide à supporter la vie… J'aime voir les sourires sur le visage du public. Beaucoup d'humoristes sont superflippés. C'est tout de même très spécial d'aller sur scène pour faire rire les gens… Aujourd'hui, je me sens plus sereine. Le succès apaise.

 

En savoir plus: http://www.anneroumanoff.com

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