S'habiller tout en faisant une bonne action ? La tendance était en vedette au salon international Intersélection du 13 au 15 avril à Paris.

Le sac à patate, la robe de bure et le pancho péruvien, c'est fini ! Les vêtements « éthiques » et « responsables » veulent convaincre, laisser derrière eux leur connotation « baba cool du Larzac » voire « bobo bio », pour entrer dans la danse des saisons et de la séduction. Les tissus s'assouplissent, deviennent esthétiques et agréables à porter.

Les géants de la distribution et les chaînes de magasins (Carol, Kookaï, Zara, H&M...) s'intéressent à ce mouvement de fond. Certes, la « mode éthique » n'est pas encore entrée dans les habitudes d'achat : on estime aujourd'hui à 1,5 % sa part de marché global de l'habillement, selon l'étude IFM pour Défi, «Mode et consommation responsable» du 19 janvier 2010.

 «C'est un phénomène émergeant mais très présent dans le discours.On peut espérer d'ici à deux à trois ans un réel développement de la mode responsable», estime Hélène Denamps, consultante en stratégie de marque «mode & art de vivre» et organisatrice du projet «Une plate-forme de onze créateurs éthiques» pour le salon Intersélection qui s'est tenu du 13 au 15 avril derniers à la Porte de Versailles à Paris. 

Mais avec parfois douze collections par an, le pari est de taille : «Il faut concevoir et fabriquer rapidement ces vêtements, explique Hervé Huchet, directeur de la division mode et distribution d'Eurovet, qui organise le salon Intersélection tous les six mois. On les fait désormais fabriquer en Europe centrale et au Maghreb et un peu moins en Asie car le délai est d'à peu près trois semaines contre trois mois entre la commande et le rendu en magasin.»

La course au profit d'un côté, le sens de l'éthique de l'autre. Et au milieu, des femmes qui veulent du « beau et écolo, tout simplement ! », selon l'étude IFM.

Comment concilier ces deux extrêmes ? Les onze créateurs de « tendance éthique » invités au salon Intersélection ont leur réponse. Parmi ces nouvelles créations, Ethos Paris, créée en 2002, emploie aujourd'hui 14 employés.

Née en 1943 en Californie et venue en France dans les années 1960, Ann Leroux voulait prouver que l'on peut générer des revenus et créer des emplois tout en faisant une activité «qui ait du sens ». Les dessins sont faits à Paris et envoyés en Inde où l'entreprise travaille avec un producteur de coton 100 % bio et des patronniers sur place. L'alpaga vient de Bolivie. La styliste Johanna Riplinger l'a rejointe en 2006. Elles créent la collection « Botanic Impression », des imprimés fleuris grâce à des teintures végétales lumineuses et vives. Le mariage de l'éthique et de la mode prend forme : Ethos Paris enregistre +30 % de progression annuelle (+42 % en 2009 et +60 % prévus en 2010).

La démarche de Seyes est assez proche. C'est l'histoire de deux amis d'école de commerce qui, en 2000, cherchent à créer une « activité économique qui apporte des solutions concrètes à des processus industriels peu respectueux ».

 « Le coton représente 5 % des surfaces cultivées dans le monde et 25 % des pesticides utilisés. Pour un jean, de la fleur de coton jusqu'à l'attache en laiton, la confection et la distribution, une pièce finie aura parcouru près de 40 000 km ! La teinture présente un vrai risque sanitaire. Bref, beaucoup de choses nous ont alertés », lance Hervé Guétin, 31 ans, qui se sent l'âme d'un Don Quichotte.

Avec son compère, il décide de faire une ligne hyper classique, à l'opposée de la mode : «Les jeans tendance, avec broderies, délavage, design et confections complexes, nécessitent des processus qui sont incompatibles avec l'éthique.»

Céline Faizant, 42 ans, pense qu'il est possible de concilier les deux. Après une carrière de première main et de modéliste chez Chanel, Lacroix, Gaultier et Givenchy, elle a reçu le Prix du développement durable 2008 par la Fédération du prêt-à-porter pour son engagement dans la filière. Sur ses étiquettes, elle détaille la fiche d'identité du coton utilisé (lieu et mode de récolte, transport...).

Au départ, elle a tenté la relocalisation, en faisant fabriquer les tissus et la confection en Inde où la matière première était cultivée. « Dans mon esprit, chaque région devait être capable de produire un produit fini. Mais c'est utopique. » La laine est lavée et teintée en Suisse, les pulls sont tricotés à Roanne : « C'est une matière très capricieuse à travailler. Et le lavage bio est quatre fois plus cher que le lavage normal. »

Le consommateur est-il prêt à payer 60 à 100 euros pour un vêtement bio ou éthique ? « Un article textile, ce n'est pas une banane qu'on cueille et qu'on met sur un étale », rétorque Hervé Guétin qui décortique sur son site les prix de ses pulls, pour les justifier. « Le but est de faire des produits abordables, sans compromettre les principes de base, estime Ann Leroux. La seule solution, c'est d'arriver à faire du volume et d'amener nos producteurs à gérer cette production. »


Faire du volume n'est pas évident. Céline Faizant a réalisé 5 000 pièces en 2010. On imagine la quantité de tee-shirts bio qu'H&M doit sourcer pour ses 2 000 points de vente répartis dans 36 pays. En 2008, le géant suédois a utilisé 3 000 tonnes de coton biologique et compte augmenter ce chiffre de 50 % tous les ans.

 

Les deux mondes pourront-ils, en dehors du salon Intersélection, trouver un terrain d'entente? «Nous voulions sensibiliser le plus possible les acheteurs comme les exposants au mode de fabrication des produits, à l'amélioration des conditions de travail de la main d'œuvre qui les fabrique, au recyclage pour éviter le gaspillage. On sait que ce marché va augmenter, car il y a une demande du consommateur. Les grandes chaînes ne vont pas transformer toute leur sélection, mais l'idée va faire son chemin.»

 

Encadré


Le déchet ou surplus, une ressource inépuisable

 

Des chapeaux en sac plastique, au bord doublé entièrement surpiqué. Il fallait y penser ! «Mon travail est parlant: quand les gens voient mes créations, ils sourient. On m'envoie des sacs du bout du monde, j'ai des collections géniales en arabe, en hébreu.»Isabelle Teste a décidé de faire d'un engagement sérieux – l'écologie – un sujet d'humour et de dérision à travers des bavoirs (« Bébés civiques »), des tabliers ou des cabats de jardiniers.
Le recyclage, même s'il n'est ni bio ni éthique (les matières de récupération ne répondent pas forcément à ces normes), est l'une des voies possibles de l'amélioration de la filière. C'est aussi le choix qu'a fait Tamara Tung, 29 ans, créatrice de By Mutation, convaincue que l'on peut créer des vêtements féminins, jolis et agréables, tout en étant éthiques. Sa technique, c'est la récupération des rebuts des maisons de haute couture, « ces surplus qui traînent dans des malles et sont brûlés pour éviter les contrefaçons. » Avec 50 m de tissu, elle confectionne 30 robes. Une manière de donner une deuxième vie à ces surplus.

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