Le nouvel âge technologique de la télévision va transférer le Web directement sur le petit écran. Un marché juteux qui fait saliver constructeurs, éditeurs et géants d'Internet.

«L'enjeu n'est pas ce que vous regardez mais comment vous le regardez.» Cette accroche parue dans le magazine américain Wired résume la nouvelle révolution que s'apprête à vivre le monde de la télévision. Nom de code de cette tempête annoncée: télévision connectée. Deux mots qui préfigurent l'avenir de notre vieux tube cathodique. Autrement dit: comment la télévision et le Web ne vont bientôt plus faire qu'un.

«Jusqu'ici, regarder la télévision était quelque chose de plutôt simple, explique d'emblée Google dans l'une de ses nombreuses vidéos annonçant l'arrivée de la Google TV. Mais repérer ce que vous voulez regarder est de plus en plus difficile. Et ce n'est que le début.» Cette campagne de promotion, conçue dans l'esprit des publicités Apple, prépare le terrain pour la Google TV, lancée ce mois-ci aux États-Unis. Le reste du monde devrait suivre courant 2011. Son concurrent Yahoo propose déjà depuis plusieurs mois aux États-Unis une Yahoo Connected TV.

Trouver des contenus

Les géants du Web font ainsi leur entrée officielle dans le monde cathodique. Le temps de la grande convergence a enfin sonné. «Cette stratégie n'est pas si nouvelle, nuance Emmanuel Torregano, fondateur du site Électronlibre.info. Depuis le début des années 2000, nombreux sont ceux qui caressent ce rêve de transférer la puissance du Web sur un écran de télévision.» Et pour cause: derrière le petit écran se cache un énorme marché publicitaire (lire l'encadré).

Du point de vue de la technologie, de quoi parle-t-on exactement? La TV connectée embrasse plusieurs réalités. Celle d'une TV équipée d'une connexion Internet préinstallée. Mais aussi celle d'une TV connectée via un boîtier, comme l'Apple TV, disponible depuis quelques jours en France. Ou encore celle, version Microsoft, d'une télévision connectée à Internet via la console de jeu X-Box.

Les premiers dans les starting-blocks étaient bien évidemment les constructeurs Samsung, LG, Sony ou Philips. Premier écueil: donner envie au consommateur de renouveler son téléviseur en lui proposant une offre attractive. Or, une télévision connectée ne sert à rien en tant que telle. Aussi les constructeurs se sont-ils tournés vers les éditeurs de contenus. Résultat, en France, se sont noués en quelques mois des partenariats entre LG et Orange, Thomson (TCL) et Canal+, Sony et M6 ou encore Samsung et TF1. Leur but: proposer tout un environnement de contenus séduisants au consommateur désireux d'acheter un nouveau téléviseur.

Fondés sur des accords exclusifs, ces partenariats opérateur-constructeur ont fait naître, avant même que le marché n'existe de manière tangible, une bataille des standards. Mais actuellement, les constructeurs changent leur fusil d'épaule et les exclusivités tombent peu à peu. Une chance pour le consommateur, car comment choisir entre des offres incompatibles entre elles? Premier constat: la télévision doit rester un objet ouvert. En cela, l'esprit originel d'Internet lui correspond bien.

C'est d'ailleurs dans cette faille que Google espère se frayer un passage. Aux États-Unis, la Google TV s'installera soit dans un boîtier fabriqué par Logitech, qui permettra d'équiper les téléviseurs standard, soit sera intégrée aux téléviseurs Sony puis Samsung. «La Sony Internet TV permettra, via la plate-forme Android, de consulter des sites Internet grâce au navigateur Chrome, de regarder des vidéos sur You Tube ou de rechercher des informations via le moteur de recherche», détaille Stéphane Curtelin, directeur marketing TV chez Sony.

Réinventer la télécommande

Comme auparavant pour le marché du téléphone mobile, nul doute qu'Android sera proposé par beaucoup d'autres constructeurs. Autre parallèle avec le mobile: derrière la Google TV se profile tout un marché d'applications, dont le fonctionnement sera certainement très proche de celles déjà disponibles sur les smartphones. Merci Apple.

Apple, justement, adopte pour l'instant une stratégie différente. L'Apple TV, un boîtier déjà disponible en France au prix de 119 euros, propose ainsi d'utiliser Itunes sur sa télévision, d'accéder aux contenus de You Tube, Flickr ou Netflix, mais n'intègre pas de navigateur permettant de surfer sur Internet. Il s'agit déjà de la deuxième tentative de Steve Jobs sur ce marché des télévisions connectées. Il semble avancer avec précaution, sans pourtant pouvoir faire l'impasse dessus. Et ne cache pas, par ailleurs, les grands espoirs qu'il fonde dans le même temps sur l'écran de sa tablette Ipad…

Avec son Apple TV, la marque règle toutefois l'un des problèmes techniques majeurs: la télécommande. L'Iphone peut en effet en faire office (même la Google TV lui sera accessible!). Car l'outil de navigation est l'une des grosses interrogations des constructeurs. Comment concevoir une télécommande qui permette de surfer aisément? «La TV connectée propose le Net, or le Net exige un clavier», remarque Emmanuel Torregano. Selon Xavier Perret, directeur des solutions publicité chez Orange, pour être réellement efficace, «l'accès aux contenus doit être à moins de trois clics de l'utilisateur».

Malgré ces toussotements au démarrage, il devrait se vendre cette année pas moins de 27,7 millions de ces téléviseurs dans le monde, selon le cabinet I Suppli. James McQuivey, consultant chez Forrester, est plus nuancé: «En dépit de l'enthousiasme du côté de l'offre, on ne sent pas pour l'instant beaucoup de demande de la part du consommateur. Les marketeurs vont devoir travailler dur pour créer ce besoin.»

Pris entre le secteur des téléviseurs classiques et le haut de gamme occupé par la 3D, les téléviseurs connectés vont donc devoir batailler pour trouver leur place dans le salon du consommateur. Chez E-TF1, Jean-François Mulliez, directeur des nouveaux médias, n'hésite pas à faire part de ses doutes: «Personne n'a pour l'instant une vision réellement claire du développement des usages. Est-ce que ce marché a même économiquement un sens?»

 

 

Une manne publicitaire?

Plus de 280 milliards de dollars chaque année dans le monde, voilà le marché publicitaire TV qui fait saliver tous les acteurs de la télévision connectée. Widgets, portails, vidéos à la demande ou catch-up TV, tous ces services sont en effet synonymes de nouvelles sources de revenus. En France, Sony a tout de suite parié sur la catch-up TV M6 Replay pour enrichir son offre de contenus. Le constructeur s'apprête également à lancer en Europe Qriocity, un service de vidéo à la demande proposé directement sur la télévision sans passer par une box. Seul TF1 semble plus sceptique. «Pour l'instant, notre service de vidéo à la demande My TF1 n'a pas vocation à figurer sur la télévision connectée. Il nous manque encore des éléments probants pour faire ce pari», confie Jean-François Mulliez, directeur des nouveaux médias d'E-TF1.

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