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La télévision ne se consomme plus comme avant. À l’heure de l’instantanéité et de la mobilité, les réseaux sociaux s’invitent en direct dans les programmes pour repousser les frontières du petit écran.

«La première chose que les mères des gagnants aux Oscars, les “Mominees”, devront faire, c'est tweeter», a annoncé Dan Jinks, le producteur de la très conventionnelle soirée de l'industrie du cinéma américain qui sera diffusée en direct sur la chaîne ABC, le 27 février prochain. L'opération est pour le moins originale. De chez elles, les mères des stars d'Hollywood enverront en direct à leur progéniture (Nicole Kidman, Natalie Portman, Jesse Eisenberg, etc.) un message en cent quarante signes maximum via le réseau social Twitter, au moment où l'Oscar de la meilleure actrice, entre autres, sera décerné. Fini la tirade des remerciements: «Nous espérons que vous en profiterez pour créer une émotion et un discours plein de sens», recommande Dan Jinks, alors que l'émission accuse chaque année des pertes d'audience. D'autant que, et c'est une première, l'édition 2011 sera retransmise en direct sur le site Internet d'ABC. Aux États-Unis, la cérémonie des Oscars n'est pas la seule à tâter des réseaux sociaux: des talk-shows célèbres comme le Piers Morgan Tonight sur CNN se mettent peu à peu à l'heure du «Live-Tweet» et aux plates-formes d'échange du Facebook Connect.


Pour autant, les réseaux sociaux peuvent-ils soutenir l'audience des chaînes? En tout cas, les deux usages (TV et réseaux sociaux) ne se font pas une concurrence frontale. Alors que les Français consacrent désormais plus de quatre heures par mois aux réseaux sociaux (Comscore, décembre 2010), le téléspectateur passait, en 2010, en moyenne 3h32 par jour devant son téléviseur, en hausse de sept minutes par rapport à 2009, selon Médiamétrie. En fait, l'impact  d'Internet sur la télévision n'en est qu'à ses débuts. «Le buzz généré en direct par les réseaux sociaux pendant une émission n'intègre pas la mesure d'audience», note Bertrand Krug, directeur de la mesure et de l'efficacité online à Médiamétrie Netratings. «Ce sont avant tout des salons de discussion permettant de créer du lien avec les programmes», précise-t-il.

 

À France Télévisions, Myriam L'Aouffir, «social media manager» de l'ensemble des marques du groupe, confirme que l'heure n'est pas (encore) au comptage:  «On ne quantifie pas mais on génère de la conversation et on humanise la marque à travers les réseaux sociaux Pour la cérémonie des Victoires de la musique, le compte Twitter France TV Direct a ainsi recensé 90 000 personnes et 1 500 tweets pendant la diffusion. «Un bon score» pour le groupe, «le premier média TV francophone présent sur Twitter (avec 49 000 abonnés au seul compte de France 2)», assure Myriam L'Aouffir.


La tendance au participatif depuis le canapé du salon séduit avant tout les adeptes de l'Internet mobile (sept millions de Français se sont connectés via des supports mobiles au troisième trimestre 2010, soit une personne sur six, selon GFK). Au premier rang desquels les jeunes. La chaîne M6, qui en a fait une de ses cibles favorites, a ainsi assisté d'un «deuxième écran» X Factor, son télé-crochet qui sera prochainement diffusé pendant seize prime times sur l'antenne. Désormais, les candidats recevront en direct les questions et commentaires des téléspectateurs connectés aux réseaux communautaires. «Son grand-père est décédé cette semaine, bravo pour la prestation, @Dawney43», s'émouvait un abonné Twitter, en direct du X Factor britannique.


Du coup, le procédé se répand sur tous les types d'émissions. En politique, comme lors de la confrontation entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sur BFM TV le 14 février, qui a enregistré pendant le débat 1 000 posts sur le Live Facebook de la chaîne. Dans le sport, déjà fédérateur, TF1 crée du lien avec les fans de football sur le Facebook Connect, accessible pendant le match. Dans la musique, lors de la diffusion en janvier des NRJ Music Awards sur TF1, cérémonie au cours de laquelle les artistes ont tweeté en direct. «Les modes de consommation ont changé. Il n'y a plus un téléspectateur mais un multiécran acteur», avait anticipé Tony Onestas, responsable communication Web NRJ, lors de l'opération.


Car ces consommateurs de l'hyperinstantanéité ne viennent pas seulement chercher une nouvelle expérience. «À la base de cette nouvelle excitation, nous cherchons tous à briser la norme et à connaître un court instant de gloire», explique le cabinet d'analyses américain Mass Relevance. «Célébrité, reconnaissance, validation du propos et respect» sont les sentiments générés par ce type d'expérience médias.


Sur le champ expérimental, la série américaine Look, diffusée sur le câble, va encore plus loin. Cinq personnages fictifs sont traqués par des caméras de surveillance et... par leurs comptes Twitter. «Après l'intrusion et l'impact des caméras de Big Brother, c'est "Little Brother" avec les réseaux sociaux », analyse Noële Rigot, responsable études médias à Eurodata TV. Plus que la télé-réalité, c'est l'émergence d'une «télé augmentée», un concept en vogue auprès des spécialistes de l'ère numérique, dont le principe est de mélanger les formats et les supports dans le grand bain du tout-participatif.


Seul bémol pour les chaînes, en France, l'utilisation de Twitter est comparable à l'envoi de SMS pendant les émissions: elle reste marginale. Ainsi, la marque Twitter.com ne rassemble encore que 5,6% des internautes, avec une moyenne de 8min 45 de temps de connexion, selon les chiffres de Médiamétrie Netratings de décembre 2010. Facebook est lui plus populaire, mais son système fonctionne en cercle fermé, sous forme d'invitations.


Pour l'instant, pas de quoi bousculer les mesures traditionnelles du PAF (paysage audiovisuel français) à coup de 2.0. En réalité, l'étude de l'audience sur les réseaux sociaux fournit d'abord aux chaînes des indications qualitatives. «Les médias sociaux peuvent dresser des cartographies précises de leurs audiences», explique Bertrand Krug. «Comme pour les produits de grande consommation, les chaînes observent comment le public consomme leurs programmes pendant les pics de discussions», ajoute-t-il. En outre, rien de mieux qu'un tchat en direct pour un ciblage accru des fans.


Les marques médias se gardent d'ailleurs bien de basculer entièrement sur Internet. En termes de retombées publicitaires, il ne s'agit pas de disperser l'audience sur d'autres canaux quand l'Audimat reste la mesure de référence des annonceurs. «Lorsque la télévision connectée sera disponible en France, la donne pourrait changer, et aller vers plus de participatif», prédit Noële Rigot d'Eurodata TV. Reste à convaincre les grandes chaînes traditionnelles d'un mariage inédit avec les médias sociaux.

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