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Une étude de l’institut Médiascopie met au jour la relation des Français à l’univers des médias sociaux. L’ambivalence semble le dénominateur commun du rapport sémantique qui s’est instauré avec les internautes.

Il en va des réseaux sociaux comme de la langue selon Esope: c'est à la fois la meilleure et la pire des choses. Dans une étude sur les «mots des réseaux sociaux» que Stratégies publie en exclusivité, l'institut Médiascopie, en partenariat avec l'agence de communication Influences, dresse pour la première fois la «carte mentale» de l'internaute face aux bienfaits et méfaits des Facebook, Twitter et autres LinkedIn.

Alors que l'institut Comscore vient de montrer dans son rapport annuel que 80,6% des Français utilisent un réseau social, que cette activité occupe désormais en Europe le quart de notre temps passé sur Internet, devant les portails Web (20%) et la messagerie instantanée (10%), cette étude permet de mesurer les attentes et les craintes que suscitent notre nouvelle sociabilité numérique.

«Nous avons cherché à établir une géographie des échanges sur les réseaux sociaux afin que les entreprises puissent capter l'intelligence collective des socionautes», souligne Catherine Durand-Meddahi, présidente d'Influences.

Réalisée en novembre 2010, l'enquête repose sur la contribution de 603 internautes auxquels ont été soumis 180 mots ou groupe de mots sélectionnés pour leur proximité avec l'univers des réseaux sociaux. A charge pour chaque personne interrogée d'attribuer une note indiquant ce que lui évoque chaque item en terme d'appréciation («Plus/moins ce mot évoque quelque chose de positif») comme de prospective («Plus/moins ce mot sera présent dans le futur»).

Dans un graphique dont nous publions ici une sélection consacrée au vocabulaire de l'entreprise, les 180 vocables font ressortir une carte assez sensible de notre relation «d'impulsion-répulsion» face au phénomène Facebook.

«Il y a une ambivalence fondamentale qui crée l'intrigue, décrypte Denis Muzet, sociologue et président de Médiascopie. L'impression que les réseaux sociaux sont un labyrinthe où il faut faire attention, où se mélangent le vrai et le faux, où la vie privée est menacée, où il faut faire son deuil de l'anonymat et de l'oubli numérique. Comme le dit un internaute, c'est un plaisir coupable.»

Cette nouvelle technologie, qui arrive aujourd'hui à l'âge adulte, est d'abord plébiscitée pour trois valeurs fondamentales: la gratuité, la liberté d'expression et la créativité. Elle est aussi synonyme de simplicité d'utilisation, de contacts maintenus ou retrouvés avec d'anciens amis, de gain de temps, de relation instantanée, d'innovation et de partage de contenus ou de centres d'intérêt.

Sur le plan de l'identité, c'est bien sûr l'aspect communautaire qui l'emporte sur l'effet de masse: «Le réseau social est plus une agrégation de petites communautés, une confluence de tribus qu'une grande famille partagée», résume Denis Muzet, qui observe «un essoufflement de l'identité virtuelle propre à Second Life».

Les «socionautes», c'est vrai, sont plus avides de concret que de virtualité. Dans l'entreprise, les ressorts les plus positifs se situent du côté de la «recommandation», des «informations exclusives sur une marque», du «mieux connaître», mais aussi de «l'e-commerce», bien placé à la fois sur l'axe de l'appréciation et de la prospective.

«Tout ce qui permet à l'internaute de valoriser sa place dans la recommandation et le partage d'opinions est privilégié, note Catherine Durand-Meddahi. A un mode descendant de communication, l'entreprise doit préférer un mode de relation interpersonnelle.» Tout le contraire de l'émission Paroles de Français sur TF1 avec Sarkozy, tacle au passage Denis Muzet: «La pseudo interactivité n'est pas acceptable pour les jeunes générations.»

Approche paradoxale

S'il existe des bons usages reconnus des réseaux sociaux par l'entreprise, l'enquête pointe aussi des zones de méfiance à travers la vision assez dépréciative du mot «publicité» et, dans une moindre mesure, des blogs sponsorisés par des marques. Surtout, il est frappant de retrouver dans le même univers négatif les mots «cybercriminalité», «vol d'identité numérique» et… «utilisation commerciale des données privées».

Une approche plutôt paradoxale des réseaux sociaux dans la mesure où est ainsi rejeté ce qui sert précisément à financer l'offre gratuite – et tant plébiscitée – d'un Facebook! «Dans une approche B to B, le management de la confiance sera primordial», note Catherine Durand-Meddahi.

Les internautes, qui font de l'anonymat un thème du passé, placent nettement du côté des craintes sur l'avenir la terminologie sur la protection de la vie privée. C'est ainsi que «qualité du lien social», «politique de confidentialité», «paramètre de protection de la vie privée» sont, selon eux, voués à être «moins présents dans le futur». A cela s'ajoute une peur du risque juridique d'une exposition abusive sur un réseau social.

Le respect de l'intimité, notamment face à un contact professionnel, est jugé prioritaire. «Mais la solution envisagée ne passe pas par la “surveillance policière” ou l'encadrement-censure», analyse Denis Muzet. On ne croit pas à la capacité des réseaux sociaux à mettre en place des mesures de protection. On va devoir se créer un pseudo, engager des nettoyeurs. C'est du côté de l'individu que se situent les pare-feux.»

A un point médian entre bienfait et méfait, la géolocalisation et l'hypersocialisation semblent encore en attente. Les gens, ajoute le sociologue, ont conscience du risque de perte de lien social, du caractère factice et superficiel de la relation, des vrais-faux amis, «mais, en même temps, ils consomment».

Quant aux mots «addiction» et «suivi de la vie des gens», ils sont à la fois assez bas dans l'échelle de valeur et considérés comme «présents dans le futur». Enfin, en termes d'appréciation, l'item «théatralisation de soi» se situe au même niveau (négatif) qu'«hommes politiques»…

«Chacun tente de se rassurer en se disant qu'il y a pire que soi», sourit Denis Muzet. Effet du film The social Network, Mark Zuckerberg est déjà vu comme un homme du passé tout en évoquant quelque chose de plutôt négatif… Mais sa création, Facebook, est, à l'opposé, un mot positif et plein d'avenir…

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