Les dons manquent à l’appel des ONG qui mobilisent contre la famine dans la Corne de l’Afrique. Au-delà des causes endogènes, ce déficit de mobilisation est le signe d’une évolution des donateurs, plus informés et plus exigeants.

SOS Éthiopie. On se souvient de cette chanson écrite par Renaud et interprétée par une trentaine de chanteurs français pour venir en aide aux victimes de la famine qui sévissait alors dans cette région d'Afrique. C'était en 1985! Le disque s'était vendu rapidement à plus d'un million d'exemplaires et a rapporté plus de 1,5 million d'euros reversés à Médecins sans frontières.

 

Depuis, les crises nutritionnelles se sont succédé, jamais endiguées. Aujourd'hui 12,4 millions de personnes sont à nouveau frappées par la famine dans la Corne de l'Afrique. La crise politique de la Somalie sans État, l'absence de politique publique globale au Kenya et en Éthiopie, conjuguées à la hausse des prix des matières premières agricoles et à la sécheresse, expliquent cette nouvelle catastrophe humanitaire.

 

Les associations caritatives et autres ONG se mobilisent... et constatent que les Français sont moins réceptifs aux appels aux dons qu'ils l'avaient été suite au tsunami ou au tremblement de terre en Haïti. Un disque et un clip sont d'ailleurs en préparation à l'initiative de Roberto Ciurleo, président de Goom Radio. La recette de cette chanson intitulée Des ricochets et interprétée par soixante artistes sera reversée à l'Unicef.

 

Ce déficit est confirmé par un sondage Ifop, réalisé du 9 au 11 août 2011 pour l'agence Limite, spécialisée dans la communication responsable à but non lucratif. Début août, seuls 12% des Français déclaraient avoir déjà donné pour lutter contre la famine dans la Corne de l'Afrique, contre 37% lors du tsunami et 25% pour Haïti.

 

Ce sont les 65 ans et plus, c'est-à-dire le noyau dur des donateurs et la cible principale des campagnes de collecte, qui manquent à l'appel: respectivement 52% et 48% d'entre eux disent avoir donné lors du tsunami et pour Haïti contre seulement... 17 % pour la Somalie.

 

«Les publics habituellement les plus généreux sont ici les plus sceptiques sur l'utilité de soutenir les associations» constatent Laurent Terrisse et Frédéric Bardeau, cofondateur de Limite.

 

Cette résistance au don a plusieurs explications. D'abord, un contexte global marqué par la multiplication ces deux dernières années de catastrophes, ressenti par 79% des Français, «suscitant en retour un effet de lassitude et de fatalisme», constate Laurent Terrisse.

 

Les non-donateurs évoquent surtout des causes endogènes: les 31% de Français qui s'étaient mobilisés à l'occasion du tsunami ou d'Haïti, mais qui n'ont pas donné pour la Somalie, expliquent leur refus:  «l'argent et l'aide alimentaire seront détournés sur le terrain» (40% d'entre eux). Ils estiment aussi que «les dons et les aides qui ont été faits par le passé pour cette région du monde n'ont rien changé: la situation en est toujours au même point »(22%).

 

Globalement, 95% des Français partagent l'idée selon laquelle «dans cette région d'Afrique, la famine revient très régulièrement sans que l'action humanitaire ne résolve le problème car il faudrait des vraies réponses de fond au plan politique et économique». En conséquence, ils considèrent (à 87%) que ce n'est pas à eux mais aux États et à l'ONU de venir en aide à ces populations. De même 85% considèrent que «face à l'ampleur des difficultés sur place, les associations humanitaires sont impuissantes».

 

Pour Laurent Terrisse, «si les ONG ne sont plus considérées comme les meilleures garantes pour régler les situations de crise humanitaire car plus réactives et plus proches du terrain que les Etats, c'est l'équation même du rapport au don qui pourrait s'en trouver modifiée.»

Et d'ajouter «cette vision pessimiste de la situation sur le terrain qui vient freiner le don doit inciter les associations à adapter leur discours.»

 

Ainsi selon lui, la rhétorique (la victime, le sauveur et le donateur) des associations n'a pas changé depuis le Biafra en 1968: pour preuve le visuel de l'appel aux dons de Care (qu'on retrouve avec des variantes chez toutes les ONG) montrant une mère au regard implorant avec son enfant agonisant. Même si la photo 2011 est plus respectueuse des personnes qu'il y a quarante ans, elle est toujours aussi culpabilisante.

 

«Les perceptions, la connaissance et la logique des donateurs ont, elles, radicalement changé, insiste Laurent Terrisse. Ces derniers attendent un discours moins pessimiste et veulent qu'on leur propose des projets. L'imagerie utilisée pour le tsunami était d'ailleurs plus axée sur la reconstruction.»

 

À l'instar du Secours catholique/Caritas ou du Secours islamique, l'Unicef l'a bien compris et fournit de l'information régulière sur la situation sur le terrain et sur ses actions. Son dernier article paru le 7 septembre sur son site Web est justement titré «On sauve des vies, mais on agit aussi sur le long terme» avec un visuel repris par la plupart des associations où l'on voit un enfant se faire vacciner.

 

Comme de juste, le sondage Ifop indiquait que 90% des anciens donateurs qui n'ont pas encore donné, seraient incités si «des ONG soutenaient un programme qui conjugue aide d'urgence et action à long terme».

 

À cet égard, l'agence Limite fait partie de ceux qui prônent le développement de communications collaboratives qui argumentent de manière ouverte l'utilité et l'efficacité de l'intervention humanitaire (urgence et long terme, capacité à accéder aux populations, stratégies d'action, etc.) et la mise en place de programmes de communication - au-delà de l'urgence - pour ouvrir le dialogue avec les donateurs (prendre en compte leurs doutes, répondre à leurs interrogations, avouer les difficultés, etc.) et partager avec eux ce que leur don produit.

 

 

Sous-papier

 

Respecter les codes des donateurs

 

En 2010, les dons récoltés ont augmenté de ­6% avec 300 000 donateurs de moins (baromètre France Générosité). Donner ne va plus de soi. L'enjeu pour les associations est donc de cibler au plus près de leurs attentes des donateurs (trois catégories) en respectant leurs codes.

 

- Les retraités sont le cœur de cible des donateurs. Ils restent sensibles à la rhétorique classique du don réglé par chèque ou carte bancaire. Mais, ils ont changé. Mieux informés, capables de se renseigner sur Internet, ils sont plus exigeants. Ils ont besoin de preuves, de résultat, d'informations régulières du terrain. Il faut leur faire vivre l'aventure de l'humanitaire (sites de MSF ou Fondation de France proposent des vidéos, des interviews.)

 

- Les 30-50 ans sont les plus réticents au marketing caritatif. Ils sont plus réactifs aux appels aux dons immédiats type Téléthon. Il faut leur offrir des projets ponctuels et des formes de dons différents (produit partage, achat d'un CD, carte bancaire verte, etc.). Ils sont favorables aux prélèvements sur les factures ou les salaires.

 

- Les jeunes se mobilisent et sont généreux, mais ils ont peu d'argent. On peut les toucher sur des opérations ponctuelles avec une gratification à la clé comme l'idée de s'investir dans une action collective (Surfrider fait nettoyer les plages, Orange Rock corp, etc.) On peut faire des appels à des microdons en utilisant leurs médias (le mobile et les réseaux sociaux).

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