Communication politique

Quel chemin parcouru. Quand en juin 2010, le PS propose à ses militants de se prononcer sur la «rénovation» qui retient le principe de primaires citoyennes et de non cumul des mandats, le projet ne mobilise guère plus qu'un 1 militant sur 3. Loin des 2,5 millions de sympathisants venus voter lors du premier tour, dimanche 9 octobre. Benoît Thieulin, 39 ans, a tout vécu de cette mutation. Et d'une certaine manière l'a précédée. Fondateur de l'agence digitale La Netscouade, cet ancien directeur du département multimédia du SIG (2000-2004) s'est fait remarquer comme directeur de la Netcampagne de Ségolène Royal (2006-2007). Evidemment, il était de la mission Terra Nova partie rencontrer les équipes d'Obama en 2008. Il en a retenu notamment qu'Internet doit être l'épine dorsale de toute campagne terrain. On lui doit, depuis, le site d'Europe Ecologie en 2008, la conception de La Coopol, l'intranet militant du PS en 2009, et le site d'Arnaud Montebourg pour cette primaire. Il livre à Stratégies ses réflexions sur les enjeux de la présidentielle 2012 à l'ère numérique. 

 

 

2,5 millions de personnes ont participé, le 9 octobre, au premier tour des primaires socialistes. Terra Nova, dont vous êtes membre, avait recommandé ce principe de primaire ouverte. Quel bilan en tirez-vous?

Benoît Thieulin. L'idée visait à renouveler la classe politique et mobiliser de nouveaux sympathisants. L'homme politique francais est une caricature. Il a, en moyenne, 20 ans de plus que son homologue anglais, allemand ou américain. Il est souvent blanc, de culture judéo-chrétienne, fonctionnaire et… rarement une femme! Les primaires rouvrent ce jeu en vase clos. Il n'est pas étonnant, à ce titre, qu'Arnaud Montebourg, le promoteur des primaires, en apparaisse comme le principal bénéficiaire: il est relativement jeune, n'est pas énarque, sa mère est algérienne… Le renouvellement, à la tête en tout cas, semble engagé. C'est un début. Le deuxième objectif était de dépasser le cadre militant trop étroit. Avec 2,5 millions de votants, comparés aux 150 000 militants du PS, on peut considérer que c'est gagné – sans compter le nombre de ceux qui ont laissé leur adresse après le vote–. Les primaires font baisser le ticket d'entrée à la participation démocratique et font venir de nouvelles catégories sociales vers la politique.

 

Dans son livre Primaire PS, la fin du parti militant, Rémi Lefebvre déplore l'avènement d'une vague démocratie d'opinion où les électeurs valideraient le candidat choisi par les sondages ou par les médias. Qu'en pensez-vous?

B.T. Certes, les sondages conservent leur importance pour guider les citoyens lorsqu'ils souhaitent «voter utile»: Francois Hollande semble à ce titre en avoir bénéficié. Mais les enquête d'opinion souffrent de gros angles morts: sur twitter, il était déjà évident qu'Arnaud Montebourg et ses idées avaient réussi une percée étonnante. Ce que les sondages n'avaient pas vu ou de manière timide. En 2005, avant que la campagne de référendum sur la Constitution européenne ne commence – en particulier sur Internet – le «oui» était à 80%, et c'est le « non » qui l'a emporté. Idem en 2009, les sondages disaient que les Français étaient plus préoccupés par la crise financière que par l'écologie. Et Europe Ecologie était le gagnant de l'élection européenne. La démocratie d'opinion me semble plutôt décrire les années 1980/1990 quand le couple télévision-sondage était roi. Aujourd'hui, un journal de 20 heures, pauvre en contenus et nul en interactivité, déclenche surtout une soif d'information et de conversation que les téléspectateurs vont assouvir sur Internet! Ainsi, depuis 2005, Internet est le principal espace du débat public. La décision de vote, comme la décision d'achat, s'est déplacée vers les nouveaux médias. Mais attention: la télévision continue de jouer un rôle essentiel en fixant l'agenda médiatique car elle seule peut toucher massivement des millions de gens en même temps. Elle forme donc un couple très complémentaire avec les nouveaux médias.

 

Et le volet militant?

B.T. Avec 150 000 membres, le PS dispose d'une base militante dix fois plus faible que le SPD allemand. C'est plutôt un syndicat d'élus locaux. A ce titre, on peut s'interroger sur sa légitimité à choisir le candidat présidentiel de la gauche. Enfin, il faut comprendre que le militantisme de papa est mort. L'engagement aujourd'hui n'est plus celui d'une vie. Il est plus volatile – on soutient un candidat le temps d'une campagne et pas forcément davantage–, il est plus affinitaire et expert, il est modulaire en fonction des disponibilités de chacun. Le candidat Obama a su magnifiquement capter à son profit avec son réseau de «volunteers», ces nouvelles formes d'engagement [de bas en haut] inspirée d'Obama pour Arnaud Montebourg, qui a fait une campagne «terroir» avec un réseau de volontaires organisé depuis Internet pour labourer le terrain «physique», avec le succès que l'on sait. Une campagne «top-down» [de haut en bas], plus classique mais très pro chez François Hollande, qui s'est appuyé sur une communication par newsletters, fréquentes et bien conçues. Internet permet les deux approches. Ce qui compte, c'est d'être en accord sur la forme de sa campagne avec ses propres pratiques. Montebourg et Hollande se sont d'ailleurs retrouvés au coude-à-coude sur Twitter pendant les débats télévisés… Ce n'est pas un hasard.

 

Pour le PS, vous avez conçu La Coopol, plate-forme de mobilisation et d'organisation des militants et sympathisants socialistes. A quoi a-t-elle servi pendant les primaires?

B.T. La Coopol n'a pas été un outil de mobilisation pour les primaires, on ciblait plus large. En revanche, elle a été une plate-forme logistique pour organiser les 10 000 bureaux de vote. En 2012, La Coopol sera l'épine dorsale de la campagne en tant que plate-forme d'organisation et de mobilisation. On est dans le prolongement de ce que Barack Obama a mis en place en 2008 en fusionnant sa campagne en et hors ligne, et en unifiant la chaîne de commandement dans un extranet – mybarackobama.com – conçu comme un réseau social, mais truffé d'applications métiers – bases de données, outils pour gérer ses équipes, etc., et, contrairement à une idée reçue assez hiérarchique, permettant de faire travailler un million de personnes en même temps. Désormais, la vitesse de diffusion des éléments de langage, le polissage collaboratif des argumentaires, la capacité à mobiliser des troupes sur le terrain, fidéliser les participants à un meeting…, constituent des enjeux qui se numérisent. Disposer d'un bon système d'information pour fluidifier et structurer les échanges à l'intérieur des équipes de campagne sera donc clé.

 

Quelles sont les tendances qui se dégagent pour 2012?

B.T. Elles sont de deux ordres. L'un concerne les contenus fournis. La vague du «brand content» n'épargne pas la politique. Du coup, plus encore qu'en 2007 avec l'émergence du rich média, la campagne devrait se caractériser par une véritable «infowar» [guerre de l'info], où tous les formats seront mis à contribution: infographie, animation, vidéos, etc. Après la période, entre 2005 et 2007, de désintermédiation portée par des blogueurs, qui allaient chercher l'information à la source et jouaient le rôle d'éditorialiste, ce devrait aussi être le retour de l'intermédiation et du rôle des journalistes et des «think tanks». Le rôle des blogueurs sera plus limité car désormais les internautes sont sur Facebook. Ils y discutent de politique, mais sur la base de contenus et d'analyse produits par d'autres. Si, en 2007, le billet d'un blogueur fiscaliste pouvait nourrir le débat en ligne sur les programmes fiscaux des candidats. En 2012, une infographie produite par Le Monde, une animation du Figaro ou une interview vidéo d'un économiste de Terra Nova auront plus d'audience et de poids.

 

Quelles sont, dans cette perspective, vos recommandations aux politiques?

B.T. Premièrement, ne pas oublier que le Web traque et unifie tout, et que la segmentation marketing n'est plus possible. Etre donc vigilant. Ne pas se contredire car l'«infowar» pousse à plus de transparence et de cohérence dans les programmes qui seront auscultés à la loupe.
Deuxièmement, produire de la donnée et des contenus «rich media» pour, justement, nourrir le débat public en ligne et le travail des journalistes, des «think tanks» ou des blogs qui auront un rôle clef de décryptage dans cette «infowar». Troisièmement, se doter d'un système d'information qui fluidifie les échanges internes à la campagne et mobiliser ses communautés de soutien qui seront autant d'ambassadeurs dans les discussions sur le Web social. Enfin, ne pas oublier les profondeurs du Web populaire. On parle de politique dans les forums sur la pêche, sur les sites de voiture de courses ou même sur Doctissimo. Le risque d'un 21 avril digital, à l'image des «tea parties» américains, ne me semble pas exclu.

 

Quel sera votre rôle dans la campagne?

B.T. Je ne serai pas directeur de la campagne Internet du candidat PS, mais j'apporterai mon expertise. Je compte davantage peser pour installer la révolution numérique dans le débat présidentiel.

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