Cinéma
Après la «folie Avatar», le cinéma, l’électronique grand public et les annonceurs déchantent. Tintin va-t-il relancer ou enterrer la 3D ?

C'est l'une des sorties en salles les plus attendues de cet automne. Mercredi 26 octobre, Tintin a occupé le grand écran pour ses aventures tirées des albums Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge, un opus orchestré par le duo Steven Spielberg (que l'on ne présente plus) et Peter Jackson (Le Seigneur des anneaux). Le spectateur y redécouvrira le reporter à la houpette, flanqué de ses compagnons de route Milou et le capitaine Haddock, en version «blockbuster» familial, et en 3D.

Car le père d'Indiana Jones a franchi le Rubicon, moyennant un budget qui frôlerait les 135 millions de dollars. Pour leur premier opus en 3D, les deux réalisateurs se sont offert une des meilleures innovations liées à la 3D: la «performance capture», qui mélange prises de vues réelles et animation. Un film hybride où «on retrouve la ligne claire d'Hergé dans l'esthétique de l'image numérique et les expressions de visages des comédiens», souligne Aurélien Ferenczi, critique de cinéma à Télérama.

Mais le film de Tintin arrive sur les écrans alors même que la 3D pose déjà question. Auprès du grand public d'abord. Début septembre, un sondage publié par Le Film français, avec Allociné et UP3D, révèle que 73% des 11 867 spectateurs interrogés jugent cette technologie sans intérêt. En cause, des lunettes trop lourdes et des billets trop chers pour 25% d'entre eux. Près des trois quarts se plaignaient de ne pas avoir eu le choix avec une version 2D.

Du côté des professionnels du cinéma, le sujet fait aussi débat. La faute, disent certains distributeurs, à des studios et des producteurs tentés d'adapter tous leurs films en 3D. «Avatar a été adapté dès le scénario à la 3D, cela a participé de son succès. Mais ensuite, il y a eu une banalisation de la 3D avec des films de qualité médiocre», souligne Philippe Bailly, PDG du cabinet NPA. «La 3D est une opportunité technologique, mais à utiliser avec talent», insiste Alain Sussfeld, directeur général d'UGC.

Plus inquiétant encore, le 12 août dernier, outre-Atlantique, le Wall Street Journal soulignait que si 70% des recettes d'Alice au pays des merveilles (film sorti en mars 2010) provenaient des diffusions 3D, seulement 44% des spectateurs auraient vu le dernier épisode de Pirates des Caraibes en 3D. «Pour le dernier volet de la saga Harry Potter, les résultats ne sont pas meilleurs en 3D qu'en 2D», remarque Alain Sussfeld. «Les entrées 3D sont passées de 25% en 2010 à 18% cette année pour nous», ajoute Olivier Grandjean, directeur de la programmation des cinémas de Pathé.

Une fois passé l'attrait de la nouveauté, les annonceurs aussi semblent se détourner de la 3D, (Stratégies n°1614 du 16 décembre 2010). Wizz et BUF Compagnie, sociétés spécialisées dans les effets numériques, n'ont eu aucune commandes cette année, et 2012 s'annonce identique. Une technique trop chère. Avec la 3D, il faut compter «10 à 15% de surcoût pour un film d'animation, et 20 à 25% si le film est live», précise Pierre Escande, directeur de la production publicitaire chez BUF Compagnie.

Même constat du côté des agences médias, comme Vivaki ou Starcom: pas de nouvelle publicité 3D dans leurs plans médias cette année. L'agence V affiche toutefois sa première commande publicitaire en 3D de l'année avec un film pour Volkswagen, qui sera diffusé à la télévision et au cinéma en novembre. Chez Havas Media, seuls Citroën et Badoit y ont recouru cette année.

Encore peu de programmes…

Côté matériel et électronique grand public, on en reste pour l'instant au stade du produit de niche. L'institut GFK compte quelque 280 000 téléviseurs 3D vendus en France de janvier à septembre 2011, soit 8% des ventes totales. Les constructeurs ne sont d'ailleurs guère diserts sur leurs chiffres de vente. Les lunettes 3D s'avèrent peu pratiques pour regarder la télévision en famille. Et la 3D sans lunettes? « Les coûts de développement sont encore trop chers. Il faudra plusieurs années avant que l'on commercialise des écrans 3D sans cet accessoire», précise Christophe Lapacz, directeur marketing de la division IT Sony. Pour autant, Panasonic y croit: «C'est une technologie phare. La plupart de nos écrans sont compatibles 3D et ils le seront tous dans nos prochaines gammes», souligne Laurent Roussel, PDG France de la marque.

Mais, pour l'heure, il y a peu de programmes en 3D, hormis quelques films, les sorties des premiers DVD Blu Ray 3D et la production X. En sport, Orange, avec Roland-Garros en 2007, et Canal+, avec la Coupe du monde de football en 2010, ont diffusé des événements en 3D, au coup par coup. En attendant, pour 2012, les matchs de la Coupe d'Europe de football UEFA et les Jeux olympiques de Londres.

Canal+, NRJ 12, Numericable et Orange ont toutefois dégainé leurs canaux 3D. Depuis mai 2010, ce dernier y diffuse du sport, des documentaires et des spectacles vivants, en linéaire (gratuit), en télévision de rattrapage (catch-up TV) ou en vidéo à la demande (VOD). Par ailleurs, l'opérateur va lancer le 28 novembre une émission mensuelle consacrée à la 3D: Mag 3D. Canal+ 3D, ouvert en février 2011, diffuse un film et un grand match par mois. Non sans mal: en janvier, ils n'ont pu diffuser le film Avatar avec cet effet, révélait Libération le 7 septembre dernier. «La Fox n'a pas autorisé la diffusion d'Avatar en 3D, estimant que ce type de format doit être réservé aux salles de cinéma», précise René Saal, directeur des programmes de la chaîne cryptée. Quoi qu'il en soit, l'audience de ces programmes en 3D reste pour l'heure confidentielle: «Quelques milliers de téléspectateurs» pour Canal+ 3D, la plupart «venant pour expérimenter, regarder 15 à 30 minutes de programme, sans rester jusqu'au bout», précise René Saal.

… mais toujours plus d'écrans 3D

Pendant ce temps, l'industrie du X, elle, avance ses pions. En janvier 2012, Canal+ 3D testera les films «pour adultes». Ce canal diffusera, à titre expérimental, une séquence X en 3D de 15 minutes, produite par Marc Dorcel. Depuis novembre 2010, ce dernier a lancé un service de VOD avec cette technologie, où il propose des séquences X de 30 minutes pour 30 euros par mois. «La 3D est fantastique dès que l'on tourne spécifiquement pour. Nous, on veut une image qui rejoint le téléspectateur dans son salon, en misant sur l'effet de jaillissement», explique Grégory Dorcel, directeur général de Marc Dorcel.

Plus généralement, la 3D se multiplie sur nos écrans. Consoles de jeux, smartphones, tablettes, appareils photo commencent à être dotés d'écrans utilisant cette technique ou permettent de produire des contenus 3D. Les appareils nomades disposent ainsi d'écrans 3D sans lunettes, qui s'appuient sur la technologie auto-stéréoscopique.

Pour autant, les ventes de la console portative Nintendo 3DS n'ont pas décollé comme espéré. Les premiers smartphones à écran 3D chez Sharp, HTC et LG toucheront d'abord un public d'initiés. Comme toute innovation de rupture, il faudra à la 3D du temps pour s'imposer dans les usages. Même si certains misent déjà sur une future alternative: l'hologramme.

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