Jouer à de vieux jeux vidéo qui ne sont plus commercialisés, telle est l’idée du retrogaming, auquel de nombreuses marques font allusion dans leur communication. Décryptage d’une pratique qui se nourrit de nostalgie et du goût pour une esthétique particulière.

Devant des téléviseurs à tube cathodique empilés les uns sur les autres et une foultitude de fils qui pendent, des jeunes se pressent pour jouer aux consoles de jeux vidéo Nintendo Super NES et Sega Master System. Nous ne sommes pas dans un magasin de jouets en 1992, mais en août 2011 au festival Rock en Seine, aux portes de Paris. La marque de sportswear Converse y a installé un espace retrogaming, du nom de la pratique qui consiste à s'adonner à des jeux vidéo d'époque. Récemment, la maison Dior a rendu hommage aux célèbres Pac Man, Pong et Tetris dans son film «Dior Games». Quelques mois plutôt, Puma avait déjà repris cette tendance comme élément de sa campagne «Athlètes de la nuit».

Pour le retrogaming, la reconnaissance n'est pas que publicitaire, mais aussi institutionnelle, puisque le 10 novembre s'est ouvert Game Story, une exposition consacrée à l'histoire des jeux vidéo, dans le cadre prestigieux du Grand Palais, à Paris. À travers une scénographie chronologique élaborée par l'association MO5, le grand public pourra découvrir les jeux de dernière génération, mais aussi des machines qui ont jalonné la brève histoire du jeu vidéo depuis les années 1970. «Le retrogaming correspond à plusieurs concepts, explique Jean-Baptiste Clais, commissaire de Game Story et conservateur au musée Guimet spécialisé dans les arts asiatiques. Certains considèrent que cette appellation désigne le fait de jouer à de vieux jeux, d'autres qu'elle concerne les jeux en deux dimensions. Mais l'idée commune est que l'obsolescence d'un jeu n'enlève rien à son intérêt. Un jeu possède une valeur en soi, par son esthétique et son ergonomie. Par analogie, une Aston Martin 64 est moins confortable qu'une voiture moderne, mais les sensations de conduite s'avèrent très plaisantes.»

Les Aston Martin du retrogaming ont pour nom Nec PC Engine, Nintendo Super NES, Sega Dreamcast ou Megadrive, SNK Neo Geo, pour ne citer que les plus prisées en France. À côté de ces consoles japonaises de la toute fin des années 1980, sont exposés des ordinateurs de cette époque, à l'image de l'Amiga 500 ou de l'Atari ST. «L'équilibre des jeux vidéo des années 1980 perdure, de la même manière que les genres du huis-clos ou du road-movie au cinéma», analyse Jean-Baptiste Clais. Cet esprit d'époque se traduit par des jeux de plate-forme (genre dans lequel on dirige un personnage dans un monde imaginaire, qui franchit des niveaux en sautant sur des plate-formes) avec des mascottes passées depuis à la postérité, comme la série des Sonic the Hedgehog sur Sega ou des Super Mario Bros sur Nintendo.

Afin d'accomplir leurs parcours truffés de pièges et d'obstacles, les retrogamers jouent avec des émulateurs sur des ordinateurs récents ou sur du matériel d'origine. Ils constituent une cible complexe, en dépit de l'image de trentenaires nostalgiques qu'ils renvoient. «Cette communauté est de plus en plus composée de jeunes désireux de découvrir des jeux, observe Jean-Baptiste Clais. Pour eux, cela s'inscrit dans une démarche de consommation culturelle comme une autre, à la manière d'un cinéphile qui regarde un film des années 1930.» Selon des spécialistes du jeu vidéo, le retrogaming touche essentiellement trois types de population. «La première catégorie concerne des gens entre 30 et 45 ans, dont une partie de la vie a été liée à la pratique des jeux vidéo, précise Stéphane Natkin, professeur au Cnam et directeur de l'École nationale du jeu et des médias interactifs numériques (ENJIMN). Il s'agit d'un retour mémoriel et affectif. Deuxième catégorie, des jeunes passionnés par les jeux vidéo en tant que culture. Enfin, les esthètes, souvent proches du Pixel Art [composition artistique réalisée en pixels], complètent cette communauté.»
Le retrogaming n'est-il que l'expression d'une certaine nostalgie? «C'est plus que cela, répond Jean-Baptiste Clais. Le corps apprend à jouer d'une manière particulière, et l'on acquiert une adéquation et une habitude. C'est la même chose pour les gens qui ont appris à conduire sans ABS ni direction assistée. Cette notion revient à incorporer l'interface, comme l'expliquait l'anthropologue Marcel Mauss au début du XXe siècle. »

L'influence du retrogaming ne se limite pas au seul domaine du jeu, mais se diffuse dans la musique, le graphisme et l'édition. Le courant de la «Chip Music» (chip signifie puce informatique en anglais) triture de vieux ordinateurs et consoles de jeux pour créer des morceaux inspirés des sonorités des machines de cette époque et de leurs «bleeps» caractéristiques. Dans le graphisme, le Pixel Art répand ses petits carrés dans la mode, les galeries d'art et les musées, mais aussi dans la rue à travers les mosaïques de «Space Invader» de l'artiste français Invader, visibles dans le monde entier. Enfin, l'éditeur français Pix'n Love publie de nombreux ouvrages consacrés à cette pratique, comme La Bible PC Engine ou Zelda – Chronique d'une saga légendaire. Pour autant, le retrogaming n'est pas une culture au sens classique du terme. «Il n'y a pas de représentation du monde associée à cette discipline, constate Jean-Baptiste Clais. C'est une culture de la pratique et de la référence, une culture en base de données, comme l'explique le philosophe japonais Hiroki Azuma dans son livre Génération Otaku

Dans un marché du jeu vidéo français estimé à 3 milliards d'euros en 2010, d'après l'institut GFK, le retrogaming ne représente qu'une goutte d'eau. Sur les places de marché en ligne, dans les forums de passionnés ou encore les brocantes, achats et reventes portent sur des sommes modestes, même si certaines machines ou jeux rares donnent lieu à des spéculations. C'est un marché de l'offre et de l'occasion très irrégulier, car soumis à des fluctuations importantes. «Cela ne peut pas devenir un phénomène commercial significatif, ni intégrer le marché de l'art et des salles de vente, assure Jean-Baptiste Clais. En effet, la valeur des objets dépend de leur bon fonctionnement, forcément limité dans le temps.» Mais le phénomène du retrogaming se propage aux appareils dernier cri (PlayStation, Xbox), à travers la réédition de jeux emblématiques d'un éditeur ou d'une console des années 1980 et 1990, à l'image des compilations Taito Legends ou de Dreamcast Collection, sortie en février 2011.

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