L'année de la publicité 2011
The Kooples, censé incarner le summum de la coolitude, a été pastiché par Eram cette année. L’expression d’une exaspération grandissante par rapport aux codes branchés. Le cool, nouvel archétype du ringard ?

Venus et Jonas, Fahrani et Luke, Guenièvre et Maud... Leurs prénoms sont glamour, leurs occupations aussi: ils sont étudiants, mannequins, surfeur professionnel (sic), acteurs. Depuis 2008, la marque The Kooples affiche à longueur de campagnes ses fameux duos, boudeurs, stylés, en couple dans la «vraie vie». La marque se veut pointue, entre culture mods et rock – et pas vraiment bon marché. Ici, les couples regardent droit dans l'objectif, les pieds en dedans, surtout sans sourire. Les slogans sont minimalistes: «Corinna & Johnny, en couple depuis un an.» Dans les spots TV ou cinéma, ces tourtereaux trendy racontent – en anglais, forcément en anglais – comment ils se sont rencontrés.

«La marque a eu la bonne idée de mettre en scène des personnes connues des trend-setters. The Kooples reflète un univers de couples qui vivent la nuit», résume Stéphane Gallieni, fondateur de l'agence Balistik Art, spécialisée dans le luxe. Un microcosme que connaissent bien ses fondateurs, Alexandre, Laurent et Raphael Elicha – qui n'ont pas souhaité répondre à nos questions.

Des références un brin élitistes, susceptibles d'exaspérer le consommateur lambda. En attendant, les pastiches n'ont pas tardé. Eram a détourné, au printemps dernier, les codes de The Kooples: les affiches mettaient en scène des mannequins en cire, titulaires de professions branchées («Bahia est photographe, Karl est DJ»), mais dont les souliers, eux, restent accessibles aux commun des mortels. La ressemblance est troublante. Pourtant, au sein de la marque, qui épingle depuis longtemps les travers de nos contemporains, on se défend de toute velléité de moquerie vis-à-vis de The Kooples. «Nous voulions juste détourner ces nouvelles postures, du type “je suis cool, je suis DJ”, où seule l'apparence compte», jure Renaud Montin, le directeur marketing d'Eram.
Mauvaise foi? Peu importe. Ce détournement grinçant démontre surtout une chose: «Il existe un agacement par rapport à une forme de “harcèlement du cool”», remarque Stéphane Hugon, sociologue et chercheur au CeaQ (Centre d'Études sur l'Actuel et le Quotidien, Sorbonne). «Ce qui était subversif devient la norme, c'est la fin du clivage en vigueur depuis la seconde guerre mondiale, structuré autour de la dichotomie mainstream/underground, culture/contre-culture, branché/ringard», poursuit-il.

Et de citer un autre exemple de fausse coolitude: Zadig & Voltaire et ses cachemires à 400 euros, estampillés «rock» ou frappés d'une tête de mort, pour la bourgeoise en mal de frisson. «Une manière de singer la rébellion, estime Stéphane Hugon. Une façon, aussi, de donner de l'ironie sur ce qui n'est finalement que l'expression d'une culture bourgeoise. On est finalement dans un imaginaire très post-moderne, celui du soixante-huitard qui a réussi.»

Le cool, ultime stade de la ringardise? Chez les publicitaires, on le reconnaît pourtant: «La question de “cool brand” (marque cool), nous nous la posons et on nous la pose souvent», remarque Joseph Kouli, directeur associé de Leg. Pour autant, «on voit parfois apparaître dans un brief une revendication de “coolitude”. La plupart du temps, c'est le signe que l'on a rien à dire», estime Sébastien Genty, directeur général adjoint de DDB en charge du planning stratégique.
Car la notion du « cool » en publicité est forcément éphémère: «Elle est souvent synonyme de solution de facilité, de stratégie court-termiste», estime Nicolas Chemla, International Strategy Officer chez TBWA Being. Une exigence d'impact rapide, due, selon Joseph Kouli, à une exigence d'«accélération de l'adoption d'une marque et de ses codes».

Pourquoi ? «Il fut un temps ou il fallait des années à une marque pour émerger. Aujourd'hui une saison peut suffire, remarque le directeur associé de Leg. Tout ceci favorise cet effet “Canada Dry” ces marques faussement cool, comme The Kooples.»

Dans un autre registre, Apple illustre à la perfection cette valse-hésitation autour du statut «cool». La marque à la pomme centre ses publicités sur la simplicité dans les usages, plus que les produits eux-mêmes, au design épuré. Elle aussi a été détournée: par Darty dans sa campagne en janvier dernier, axée sur la high-tech, pensée par l'agence H (Havas) et réalisée par Jack-production Wanda, et plus récemment par Samsung, qui se moque des fans d'Apple prêts à attendre des heures devant les Apple Store le jour de la sortie d'un nouvel appareil.

De fait, «ils ont les ingrédients du cool (l'innovation, la technologie en rupture, une relation savamment orchestrée...), même si la machine de guerre qu'est devenu Apple éclipse le fameux film publicitaire “1984”», souligne Joseph Kouli.

Apple, archetype du vrai ou du faux cool? On a évoqué à l'envi sa double face, la marque innovante qui veut rendre l'informatique accessible, et le système Itunes fermé et propriétaire. Cette année, dans la biographie de Steve Jobs (Steve Jobs, Walter Isaacson, JC Lattès, 667 p., 25 €), on découvrait un patron dictatorial, qui volait les idées de ses collaborateurs... et a envisagé d'imposer l'uniforme à ses salariés.

Steve Jobs a donné naissance à cette image de patron «cool», qui déambulait en jean, pull à col roulé et Nike aux pieds lors de ses keynotes. Image reprise par des patrons français, tels Xavier Niel (Iliad), Jean-Baptiste Descroix-Vernier (Rentabiliweb) et ses dreadlocks, et Jacques-Antoine Granjon (Vente-Privée.com) et ses cheveux longs...

Une image d'entreprises cools mystifiée et médiatisée par les start-ups au début des années 2000, entre les bureaux flashy du «Googleplex» californien, les équipes très jeunes de Caramail et autres Price Minister, sans heures fixes. Comme ils ont l'air «sympa», ces locaux où tout le monde joue au baby-foot, où les canapés sont tellement moelleux qu'on y passe parfois la nuit...

Attention aux apparences. «Cette nouvelle logique de management est au fond une logique de domination, estime Stéphane Hugon. Cette nécessité du cool est dangereuse, dans sa volonté d'abolir les rites et le protocole. On tape dans le dos de son patron, on le tutoie... Or, la chose la moins “cool” du monde, c'est la hiérarchie. On fait mine de la supprimer, mais elle finit par revenir de manière perverse, ce qui crée, in fine, encore plus de violence.»

Faut-il fuir le «cool» ? Même pas la peine. Le concept même de coolitude serait... complètement «has-been». «Même le mot “cool” n'est plus un mot jeune», estime Nicolas Chemla. Un signe ? Dans le film Lol, de Lisa Azuelos, c'est la mère, interprétée par Sophie Marceau, qui dit «T'es pas cool» à sa fille. «Les nouveaux héros seraient plutôt les personnages de Judd Apatow, des “geeks” habillés comme des vieux, un peu maladroits», complète Nicolas Chemla.

D'autant qu'il est, plus que jamais, difficile de cerner ce qui est réellement cool de nos jours. «Il n'y a plus, comme dans les années 1990, de codes identifiés, qui étaient, pour le coup, dictatoriaux : le 501, le grunge..., constate le planneur stratégique. Est cool ce qui est nouveau, ce qui est “frais”, comme disent les jeunes.»

Finalement, lorsqu'on commence à se demander si l'on est cool, n'est-ce pas le signe qu'on ne l'est pas? «Les gens qui se disent “cools” sont comme les rockeurs, s'amuse Stéphane Hugon. En vieillissant, ils deviennent soit ridicules, soit réacs.» Et ça, c'est vraiment pas cool.

 
Encadré


Le vocable cool

 

A chaque période son terme-fétiche («buzzword», oseraient certains). Dans les années 1980, on se disait «branché» (ou en verlan «chébran») ou «câblé». Viendront les in, hype, sympa et bath dans les années 1990, entre autres anglicismes. Dernièrement, on a vu apparaître le slogan «C'est frais», traduction littérale de cool, terme apparu en 1952. La boucle est bouclée...

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