bases de données
Plus que jamais, les entreprises croulent sous les données. Pour mieux les exprimer, elles ont besoin de tableaux de bord. Une réflexion s'est donc amorcée sur la façon de piloter les outils chiffrés. Avec à la clé, de véritables marchés à conquérir...

Près de 90% des données dans le monde ont été produites au cours des deux dernières années. Ces informations sont aussi de plus en plus complexes. Les comprendre en un clin d'œil, tel est l'objectif de la «datavisualization», ou visualisation de données, incarnée par le journaliste et designer anglais David McCandless. Datavision, son dernier livre paru en octobre 2011, est exclusivement composé de dessins et de graphiques. Pas seulement des diagrammes et des camemberts, mais des représentations beaucoup plus sophistiquées. Car le vocabulaire graphique s'enrichit pour devenir quasiment illimité, ce qui permet de s'approprier des données de manière plus évidente, de mieux les mémoriser et surtout de leur donner du sens. Mettre en scène des informations permet de les rendre plus accessibles, qu'il s'agisse de rapports d'activité, de statistiques ou encore d'engagements en matière de responsabilité sociétale.

 

Un travail de storytelling de la data

«Pour nos clients, c'est un moyen de toucher un public plus large», explique Assaël Adary, président d'Occurrence, institut d'études spécialisé dans l'évaluation de la communication. Sur le sujet, il s'est rapproché de l'agence de design Dragon rouge. Ensemble, ces deux structures mènent un travail d'évangélisation et parlent désormais de «data design». «C'est un domaine encore en friche. Ce qui est nouveau par rapport à la “datavizualisation”, c'est l'interconnexion des données. A l'état brut, elles sont relativement inertes. Il ne faut donc pas les présenter de manière dissociées, mais au contraire les intégrer dans un récit pour qu'elles racontent une histoire», poursuit Assaël Adary.
Un travail d'éditorialisation ou de «storytelling de la data», qu'il envisage comme un outil d'aide à la décision, afin de passer du dessin au dessein. Mais pour fournir un travail de qualité, une complémentarité de compétences est nécessaire: «En tant que professionnels de la mesure, nous produisons des données et l'agence de design les scénarise afin qu'elles puissent gravir les échelons hiérarchiques, qu'elles soient porteuses d'une intention et disposent d'une capacité de pénétration plus forte». Pour Assaël Adary, il ne s'agit pas simplement de faire beau, mais de faire juste: «Forts de notre méthodologie, nous veillons à ce que les échelles, les proportions et les légendes soient respectées pour éviter les contresens et les ambiguïtés. L'esthétique ne doit jamais altérer la fiabilité. C'est le design qui s'adapte à la donnée pour la rendre plus compréhensible et plus évidente encore, et pas l'inverse.»


Une science pour donner du sens

Dragon rouge se passionne aussi pour ce sujet très «inspirationnel», comme l'explique Olivier Grenier, qui dirige l'activité corporate branding de cette agence: «Nous sommes de plus en plus confrontés à des flots de chiffres compliqués qu'il faut savoir hiérarchiser et synthétiser». Son ambition: en faire un propos de marque. «Le chiffre est un élément intéressant pour véhiculer du sens. Les marques peuvent se les approprier dans leurs discours mais aussi pour leur communication publicitaire, c'est l'occasion d'approfondir le travail sur leur identité. Les moyens utilisés sont plus connivents, plus engageants et plus créatifs», explique-t-il. Mais cela implique que les graphistes ne soient pas dans la simple exécution, mais dans l'intelligence du propos en s'immergant dans les données qu'ils restituent: «Nous devons être à même d'identifier celles qu'il faut privilégier.» Tout en tenant compte des déterminants culturels, car, selon lui, des données produites pour des cibles françaises ne constituent pas le même travail que pour d'autres pays.
Ces tendances sont d'autant plus d'actualité, que les entreprises sont dans une logique de preuve. Pour Dorothée Loffroy, responsable du pôle infographie et vidéo au sein de RCA Factory, une agence de communication digitale, cette nouvelle science de l'information est particulièrement pertinente à l'heure des réseaux sociaux: «Les données, si elles sont attrayantes, peuvent se transmettre et s'échanger plus facilement, en vertu d'un processus de viralisation. Dans le cadre de la communication externe des entreprises, c'est particulièrement intéressant.»

La visualisation des données est d'autant plus un Far West à conquérir qu'elle ne concerne pas que les entreprises. Elle est aussi valable pour les politiques, qui l'utilisent beaucoup aux Etats-Unis. En revanche, lors de la dernière campagne présidentielle française, le procédé a été beaucoup moins utilisé. Certains individus mettent en scène les données de leur propre vie. C'est le cas du designer Nicholas Felton qui édite chaque année son propre «rapport annuel». Du nombre de bières qu'il a bues à la quantité d'albums qu'il a écoutés, tout y passe. Et ses livres s'arrachent...

 

De l'effet de mode à la tendance de fond

Mais le «data design» n'est-il pas que du marketing? Une façon d'appeller autrement des choses qui, en réalité, existent déjà, simplement dans le but de capter de nouveaux clients. C'est un peu le sentiment de David Stein, à la tête de la société de graphisme Lekel des 2. Selon lui, ces façons de procéder existent depuis un moment déjà. «Les clients sont demandeurs de présentations originales. Ils maîtrisent de mieux en mieux les logiciels informatiques et savent concevoir des “Power Point” ou des camemberts. S'ils font appel à une agence, c'est précisément parce qu'ils attendent une valeur ajoutée au niveau de la sophistication», note-t-il.

Ce qui est certain, c'est que ces métiers se réinventent. Les écoles de graphisme se sont donc adaptées en conséquence. «Nous n'avons pas de cours à proprement parler sur ce sujet, qui est au carrefour de plusieurs disciplines, comme le design graphique, la sociologie ou encore la sémiologie. Mais nous observons de très près ce qui se passe afin d'intégrer les nouvelles tendances dans nos enseignements dès la rentrée prochaine», explique Eric Buignet, directeur des études à l'école d'art Maryse Eloy. Car pour lui, si le data design correspond à un effet de mode, il est en train d'évoluer en vraie tendance de fond.

 

(encadré)

 

Un business pour le secteur high-tech

 

La visualisation des données est devenu un nouvel eldorado pour les entreprises qui produisent des outils dits de «business intelligence», permettant d'agréger des données éparses. Microsoft, SAS Institute, Oracle, Information Builders, Qlik Tech, Micro Strategy et bien d'autres se sont positionnés sur ce marché porteur en développant des fonctionnalités d'analyse visuelle. IBM aussi, dont les solutions d'analyse et d'optimisation des données représentent 20% de la croissance. 

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