Alors que l’industrie du spectacle expérimente des représentations virtuelles de stars disparues, le monde de la communication commence à employer aussi ces technologies.

Au dernier festival de Cannes de la publicité, le rappeur américain Tupac Shakur, assassiné en 1996, s'est vu décerner une récompense dans la prestigieuse catégorie Titanium. En réalité, c'est la prestation de son hologramme au festival de Coachella en Californie en avril 2012 qui a été primée. Sur scène, cet avatar a rappé et dansé en rythme avec les bien vivants Snoop Dogg et Dr Dre. En fait d'hologramme, c'est un double numérique qui a été mis en scène. «Pour le rappeur Tupac Shakur, il semble qu'un personnage de synthèse ait été créé à partir d'images réelles et ensuite animé, explique Carole Ecoffet, chercheur dans les matériaux pour l'optique au CNRS. Enfin, il a été intégré dans la scène réelle grâce à un dispositif de projection du double numérique. Une lame est placée à 45° devant un décor et on projette l'image du personnage sur cette lame, si bien que la vision humaine a l'illusion qu'il évolue en profondeur devant ce décor. C'est la transparence qui donne cette impression de fantôme.»

 

Les réactions ont été extrêmement fortes et les journaux du monde entier sont revenus sur cette prestation. Selon le magazine américain Billboard, les ventes des albums de Tupac ont augmenté de manière considérable après son apparition virtuelle. Ce double du rappeur new-yorkais est une œuvre collective à laquelle a participé la société Digital Domain, créée par le cinéaste James Cameron. Paul Morizet, responsable du développement dans le monde de Corbis Entertainment, travaille avec celle-ci. «Pour les spécialistes, la technologie n'a pas beaucoup évolué, analyse-t-il. Mais la création d'un double numérique prend désormais moins de temps, et c'est cela qui a changé.»

 

Elvis n'est pas mort

 

Dans un événement en direct, outre le double numérique, l'autre procédé susceptible d'être employé est l'hologramme. «De manière résumée, la technique des hologrammes consiste à enregistrer dans une plaque photographique un dispositif qui renvoie la lumière comme si l'objet était là, souligne Carole Ecoffet. On ne se limite pas aux deux images suffisantes pour tromper la vision humaine.» Une technique coûteuse et difficile à projeter, qui nécessite un éclairage très précis.

L'industrie du spectacle s'essaie à l'exercice depuis quelques années. On se souvient du duo entre la chanteuse Céline Dion et un double numérique d'Elvis Presley dans une émission de la télévision américaine en 2007 ou de celui de Gorillaz et de Madonna aux Grammy Awards en 2006.

 

Les marques s'y intéressent aussi. Adidas, Bacardi, Dior, Fiat, Reebok, Samsung, TF1, Toyota entre autres ont expérimenté les hologrammes afin de représenter des égéries et plus rarement des objets. Pour l'heure, l'usage a plutôt été du ressort de la communication événementielle, lors de conférences, de présentation de produits ou encore de cérémonies particulières. «Cela permet à un annonceur d'avoir des éléments visuels en propre en dehors des vidéos et des photos de la star déjà vues», explique Paul Morizet. Le principal frein à l'emploi d'hologrammes réside dans leur coût de fabrication. Selon la société Digital Domain, l'apparition de Tupac à Coachella a coûté en tout environ 2,5 millions de dollars. «Seul un petit nombre d'annonceurs peut accéder à cette technologie, constate Paul Morizet. En tant qu'agence de gestion de droits, nous nous apercevons que l'industrie du luxe y est sensible, car elle est toujours à la recherche d'égérie.» A la rentrée 2011, Dior a ainsi employé des images de synthèse dans une publicité afin de mettre en scène une rencontre virtuelle de son égérie du moment, l'actrice américaine Charlize Theron, avec Marlène Dietrich, Grace Kelly et Marilyn Monroe (cf. Stratégies n° 1644 du 08/09/2011). «Dans l'élaboration d'une image de synthèse, on stocke dans un repère en 3D toutes les composantes du volume du personnage», indique Carole Ecoffet.

 

Joue-la virtuellement comme Beckham

 

La communication politique regarde aussi de près les hologrammes. Un double numérique de l'ex-président américain Ronald Reagan a failli être mis en scène à la convention républicaine de Mitt Romney à Tampa au mois d'août dernier. «La famille de Ronald Reagan a donné beaucoup d'autorisations, notamment pour la sortie d'un “biopic” sur Nancy Reagan en tournage actuellement avec Jane Fonda dans le rôle de l'ex-Première Dame», raconte Paul Morizet.

 

Pour l'heure, l'intérêt majeur des hologrammes n'a pas été d'ordre technique mais émotionnel. En effet, les prestations les plus remarquées ont consisté à «ressusciter» des morts (Elvis Presley, Tupac Shakur, etc.). Certains avancent une raison financière à cela. «Compte tenu du coût des hologrammes et des avatars numériques, il est plus rentable qu'une égérie vivante se déplace, sauf si c'est une tournée internationale», observe Paul Morizet. C'est pour cette raison que les stars représentées virtuellement dans la communication des marques sont de renommée mondiale. A l'occasion d'une conférence sur les jeux olympiques de Londres, Adidas a ainsi fait appel à un double numérique de David Beckham.

 

Pour les annonceurs tentés par ces avatars numériques, cela pose en creux des problèmes majeurs d'éthique de la publicité. Que peut-on faire dire à une célébrité décédée? Jusqu'à quel point cela sème-t-il la confusion entre fiction et réalité? «Ce risque est sous la responsabilité des ayants droit, assure Paul Morizet. Les pertes de crédibilité et de valeur d'une image de marque seraient importantes, comme le montre dans un autre domaine Marilyn Monroe dont l'image a été utilisée sur des petits verres à vodka ou une bouteille de vin.» A l'avenir, des stars pourraient interdire par testament d'être utilisées comme hologrammes. «Cela soulève la question de l'héritage, note Paul Morizet. Par exemple, Alfred Hitchcock a toujours refusé d'apparaître dans des publicités de son vivant, mais il est la vedette post-mortem d'un spot pour Citroën.»

 

D'autre part, le statut très particulier des hologrammes n'en fait pas des égéries comme les autres. «L'avatar créé, c'est-à-dire l'algorithme, est la propriété du fabricant, et l'utilisation qui en est faite appartient aux ayants droit», précise Paul Morizet. Des questions cruciales compte tenu de l'importance des enjeux financiers. Le dernier classement annuel du magazine américain Forbes des célébrités décédées qui ont rapporté le plus d'argent l'illustre de manière spectaculaire. En tête, Michael Jackson (170 millions de dollars) devance Elvis Presley (55 millions) et Marilyn Monroe (27 millions). On prête aux frères de Michael Jackson l'intention de partir en tournée avec son hologramme...

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