Distribution
L’enseigne du 7e arrondissement de Paris fête son 160e anniversaire. Elle assume sa longévité avec Catherine Deneuve, croquée par la dessinatrice Marjane Satrapi. Chic et décalée, pour le bonheur des dames.

En 2012, c'est une «cathédrale du commerce moderne [...] faite pour un peuple de clientes» qui a fêté ses 160 ans. Le Bon Marché, le célèbre, grand et chic magasin de la rive gauche parisienne, a inspiré cette métaphore, vertigineuse, à Emile Zola, dans son roman Au Bonheur des dames. Créé en fait avant 1852, le magasin alors appelé «Au Bon Marché» ne s'est véritablement distingué en publicité et en marketing qu'à partir de cette date-là. A l'époque, on parlait de «méthodes commerciales» qui, sous l'impulsion d'un homme, Aristide Boucicaut, vont radicalement changer. Au point qu'on lui attribue désormais la paternité des grands principes de la distribution actuelle. En la matière, celui que l'on surnomme le «patron rouge» pour son souci des conditions de travail de ses employés commence par un virage à 180 degrés. Il instaure des prix fixes et affichés, alors qu'ils n'étaient auparavant connus que des vendeurs. Il décrète l'entrée libre et la possibilité de toucher les produits, alors qu'ils étaient auparavant emballés. Il permet d'échanger une marchandise qui ne convient pas, et instaure des soldes avec «le mois du blanc» pour le linge de maison en janvier. «Aristide Boucicaut a inventé une sorte de marketing des temps modernes», souligne Guillaume Gellusseau, directeur marketing et image du Bon Marché.

 

Naissance d'un grand magasin populaire

Son idée est de vendre moins cher, mais en bien plus grandes quantités, un très large assortiment d'articles. «Il possédait une vision déjà contemporaine du grand magasin et de l'expérience du shopping, note Guillaume Gellusseau. Il a, par exemple, pensé à faire servir les clientes par des femmes et non plus par des hommes, afin de ne pas éveiller la jalousie des maris.» On doit aussi à Aristide Boucicaut le catalogue par correspondance. «Des morceaux de tissus étaient insérés à l'intérieur, une version avant l'heure des échantillons promotionnels, observe Guillaume Gellusseau. C'était aussi un collectionneur d'art, c'est pourquoi les agendas offerts aux clients étaient ornés d'illustrations d'artistes.» Dans l'imagerie des illustrations publicitaires d'alors, le magasin est mis en scène, avec sa rotonde et sa structure. Le thème du «grand magasin de nouveautés» est également exploré.

En 1923, Le Comptoir de l'alimentation, l'ancêtre de La Grande Epicerie, est inauguré. «Il s'agissait de faire découvrir des produits du monde entier, rares», décrit Guillaume Gellusseau. A cette époque, M. et Mme Boucicaut sont déjà disparus depuis la fin du XIXe siècle. «Après le couple fondateur, Au Bon Marché est devenu un grand magasin populaire, avec moins d'innovations et d'expositions culturelles», raconte Guillaume Gellusseau. Sur le plan publicitaire, les années 50 sont marquées par la mise en scène de fillettes stylisées et la décennie suivante par une série «hamiltonienne».

Dans les années 80, l'enseigne prend souvent la parole en affichage dans le métro et les bus, comme les autres grands magasins parisiens d'ailleurs. Les usagers des transports publics peuvent ainsi admirer des publicités signées RSCG, autrement dit du quatuor Bernard Roux, Jacques Séguéla, Alain Cayzac et Jean-Michel Goudard. Parmi leurs créations acérées, «Les Casseurs de mode» illustrent leur parti pris de mêler des humains à des mannequins de cire.

En coulisses surviennent de nombreuses agitations et rebondissements. Au terme d'un imbroglio boursier condamné par la COB (Commission des opérations de bourse), des industriels du Nord de la France spécialisés dans le textile, les frères Willot, prennent en 1970 le contrôle du Bon Marché. Après la faillite des Willot, c'est l'homme d'affaires Bernard Arnault qui reprend le groupe Boussac en 1984, auquel appartient Au Bon Marché. Quelques années plus tard, le magasin change de nom et de positionnement. De contracté, l'article devient défini. Le Bon Marché est né et oublie de l'être.

 

Affirmation de l'identité "rive gauche"

Au début des années 90, Philippe de Beauvoir dirige le magasin. «On nomme alors les différentes parties du magasin, précise Guillaume Gellusseau. Les visiteurs déambulent ainsi dans L'Appartement mode, Balthazar pour l'espace hommes, L'Entretemps pour la librairie adulte, Le Théâtre de la beauté ou La Maison de l'édition pour le design. C'est l'heure de l'affirmation de l'identité “rive gauche”». Dans le cadre d'une stratégie d'une nette montée en gamme et de distribution sélective, le style publicitaire s'affranchit des impératifs commerciaux. «Le ton devient un peu décalé, sous l'impulsion d'une volonté de sortir du cadre, indique Guillaume Gellusseau. L'architecture du magasin reflète également cet éloignement des considérations strictement commerciales, puisqu'elle privilégie le confort et la sérénité même en période de soldes, grâce aux canapés notamment et à l'espace libre.»

Cette nouvelle identité se traduit aussi sur le plan visuel. Un logo carré qui comporte la mention «rive gauche» voit le jour, œuvre de l'agence de design Carré noir. Pour la communication, c'est l'enseigne Opéra de Christian Vince (le futur «v» de l'agence V) qui conçoit le fameux triptyque publicitaire, composé du logo, d'un visuel et d'un slogan évoquant toujours la rive gauche. Entre autres campagnes, on retiendra les «Nous l'avouons, tout ce qui fait le charme de la rive gauche en ce moment, vient d'une autre rive» et «Si la rive gauche a un esprit, vient-il des maisons d'édition, des cafés littéraires ou simplement de ses habitants?».
Cet équilibre perdurera jusqu'en 2001, maintenu successivement par les agences Opéra et Les Ouvriers du paradis, dans lesquelles œuvre à chaque fois le directeur de la création Hervé Chadenat. C'est ensuite un triptyque renouvelé qu'affiche Le Bon Marché, avec une photo fondue dans l'espace et un slogan plus court. Parmi les plus saillants, on notera les «Soldes, calme et volupté», «Souvenez-vous que Saint-Germain est dans les prés» ou «La veste chinoise reste de gauche... rive gauche».

 

Le Bon Marché, une marque de luxe

En 2006, un nouveau code graphique entre en scène, dont la particularité est de considérer les photos comme des tableaux. «Désormais, les campagnes sont numérotées à l'instar de séries photo, explique Guillaume Gellusseau. Lors d'expositions ou d'opérations ponctuelles, des égéries comme Audrey Tautou, Karl Lagerfeld ou Loïc Prigent prennent la pose. En 2007, des portraits incarnent l'esprit rive gauche en termes de style.»

La décennie en cours débute par deux inflexions de la communication. En 2010, Les Fraises sauvages deviennent l'agence de l'enseigne. «Nous voulions injecter un peu plus de glamour et un aspect pétillant à notre univers», relate Guillaume Gellusseau. La campagne de la photographe Ellen von Unwerth l'illustre. L'arrivée d'un nouveau président en 2011, Patrice Wagner, débouche sur une compétition d'agences. C'est Petronio, spécialisée dans le luxe, qui est retenue au printemps 2012. En toile de fond, l'ancrage rive gauche et la sélectivité sont exacerbés. «Il s'agit de scénographier les instants de communication, souligne Guillaume Gellusseau. Aujourd'hui, nous travaillons sur l'image du Bon Marché de la même manière que pour une marque de luxe. Le lien entretenu par certains avec l'enseigne est d'ailleurs identique à celui qu'ils ont avec des griffes du luxe. Nous nous comportons davantage comme un concept-store que comme un grand magasin.» La première campagne de Petronio raconte la saga d'une jeune femme... de la rive gauche, habillée en Givenchy ou en Céline, photographiée aux jardins du Luxembourg ou dans une galerie de la rue de Sèvres. Une Parisienne qu'aurait pu être Catherine Deneuve dans ses jeunes années.

L'actrice française est justement la marraine des 160 ans du Bon marché. Elle a été, pour l'occasion, croquée par l'auteur de BD Marjane Satrapi et filmée par le réalisateur Loïc Prigent. «C'est une habitante de la rive gauche, chic et décalée à la fois, se réjouit Guillaume Gellusseau. L'édition est quasiment aussi importante que l'affichage pour nous.» La nouvelle charte graphique représente une étiquette du Bon Marché au centre des visuels, comme si c'était le titre d'un roman.

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