Ile-continent, l'Australie offre de nombreux médias polyglottes, alors qu'un habitant sur quatre est né à l'étranger. Une opportunité pour les annonceurs ethniques ?

En Australie, si vous allumez la télévision à 5 heures du matin, vous verrez le journal télévisé en coréen. Laissez-la tourner douze heures de plus, elle vous parlera japonais, allemand, français, hindi ou encore turc. La télévision publique SBS informe ses téléspectateurs dans plus de 50 langues. SBS Radio en parle 68. Lancé il y a une quarantaine d'années, SBS vise avant tout à informer les immigrés sur les actualités australiennes dans leur idiome pour faciliter leur intégration. On y trouve aussi des documentaires, des films en version originale et des émissions de divertissement, comme Pop Asia qui a remporté en décembre le Prix du marketing multiculturel australien.

Ce média dispose, il est vrai, d'un bassin d'audience considérable: 27% des habitants sont nés à l'étranger, trois millions d'Australiens parlent une langue étrangère à la maison et l'immense majorité d'entre eux sont des descendants d'immigrés (exceptés les Aborigènes, voir encadré). C'est donc aussi un moyen de garder un lien avec ses origines.

Une mission ambitieuse, et un vrai casse-tête pour les programmateurs. La responsable des langues chez SBS radio, Mandi Wicks, est justement en train de revoir toute la grille pour avril prochain. «Actuellement, si vous voulez écouter une émission en français, il faut allumer votre radio à 11 heures les mardi, jeudi et vendredi, à 21 heures le samedi et à 16 heures le dimanche», déplore-t-elle. Pour éviter de perdre des auditeurs dans ce labyrinthe radiophonique, elle a prévu des horaires simplifiés. Les francophones auront, par exemple, rendez-vous tous les jours à 13 heures.

 

Des barrières contre le racisme

Cette grille s'adapte aussi à la démographie australienne transformée ces 20 dernières années par l'arrivée de migrants d'Asie et d'Afrique. Six langues, «hautement nécessaires» à leur intégration, feront ainsi leur apparition (malayalam pour les immigrés du Sud de l'Inde, le dinka pour les Sud-Soudanais...). Elles partageront le temps d'antenne avec les «langues répandues» qui ont au moins 20000 locuteurs.

Les auditeurs ayant relativement les mêmes habitudes d'écoute d'une culture à l'autre, les heures de forte audience sont réservées aux communautés les plus larges. Sur SBS, on prendra donc le petit déjeuner en mandarin, cantonais, arabe et italien.

Tournez le bouton de votre radio de quelques millimètres. Surprise! On vous parle encore dans une langue étrangère. Cette fois, vous écoutez une émission communautaire, réalisée par une minorité et pour une minorité. «L'idée, c'est de pouvoir s'identifier aux personnes qui parlent, d'écouter sa propre langue et de maintenir un lien social avec sa communauté», explique Russel Anderson, directeur du Conseil national des diffuseurs ethniques et multiculturels (NEMBC). On n'y entend pas des voix commerciales, mais «des gens comme vous et moi qui parlent spontanément».

Le NEMBC estime que 57% des Australiens écoutent au moins un programme communautaire par mois. «Ce sont des barrières contre le racisme, ils brisent les stéréotypes et oeuvrent pour une société tolérante et multiculturelle», affirme Russel Anderson. Parmi les 480 émissions, seules cinq sont destinées à la télévision. «La radio est bien plus adaptée, économique et simple à produire», ajoute-t-il. Ces programmes sont diffusés sur sept fréquences à travers le pays ou sur des antennes locales en langue anglaise.

Qui paie? Le gouvernement australien principalement. «Une enveloppe annuelle de 3,7 millions de dollars (2,9 millions d'euros) est réservée aux diffuseurs ethniques. Chaque heure, un programme touche en moyenne 40 dollars (31 euros)», calcule Russel Anderson. Les équipes organisent aussi un «radiothon» en fin d'année pour collecter des fonds. Les radios communautaires, tout comme SBS, ne peuvent pas dépasser 5 minutes de sponsoring par heure. Pourtant, il existe de réelles opportunités pour la «publicité ethnique» en Australie.

 

L'art de cibler les communautés

Vous adressez-vous à la première génération de migrants ou à leurs petits-enfants? Faut-il communiquer dans leur langue d'origine ou l'ont-il déjà oubliée au bénéfice de l'anglais? Voilà quelques-unes des questions que pose l'agence Cultural Perspectives à ses clients avant de concevoir des campagnes de communication très ciblées.

«On choisit le support en fonction du budget du client et du média préféré du groupe. La communauté chinoise, par exemple, possède des dizaines de journaux en mandarin en Australie», explique Faye Spiteri de Cultural Perspectives.

En revanche, quand il a fallu cibler les jeunes hommes de communautés arabe et vietnamienne pour une campagne anti-tabac, l'agence a opté pour la radio: «Il faut aussi chercher le facteur de motivation. Par exemple, la famille est une bonne raison d'arrêter de fumer pour les hommes de culture arabe. Nous avons donc ajouté une phrase en ce sens sur nos affiches, alors que le message aux Vietnamiens joue sur des ressorts plus personnels.»

Il y a plusieurs écueils à éviter selon Faye Spiteri. Il ne faut pas baser sa stratégie marketing uniquement sur la taille de la communauté. Faire attention aux stéréotypes: «Toutes les personnes qui parlent mandarin ne seront pas forcément attirées par les couleurs rouge et or, quel que soit votre produit.» Ne pas simplifier à outrance le message sous prétexte que le client a une langue maternelle étrangère: «Il peut être tout aussi sophistiqué que vous!» Enfin, il vaut mieux ne pas se focaliser sur la culture et bien se rappeler que l'on a un produit à vendre.

Pour Cultural Perspectives, une bonne campagne se base avant tout sur des données fiables. Son équipe réalise régulièrement des études sur les habitudes d'une trentaine de minorités, comme elle le ferait pour les jeunes, les femmes ou les plus de 55 ans. Cette recherche est facilitée par la publication de données «ethniques» du Bureau national des statistiques. Des informations difficiles à obtenir en France, où le recensement national ne tient pas compte des origines.

 

Encadré

 

Une chaîne de télévision aborigène publique


Sur NITV, dans l'émission de cuisine, on utilise des ingrédients du «bush», et dans les jeux télévisés, les enfants doivent se rappeler de mots en langues aborigènes. La chaîne NITV a été créée il y a six ans par la communauté indigène pour promouvoir la culture des premiers habitants de l'île-continent. L'audiovisuel publique australien, nouveau propriétaire, vient de lancer en décembre dernier une nouvelle version gratuite. L'équipe est composée à 70% d'employés aborigènes. Insuffisant pour le président de l'Association australienne des communications indigènes (AICA). «Cette chaîne devrait être entièrement gérée par des Aborigènes, ce sont eux qui devraient prendre les décisions majeures, cela éviterait d'avoir constamment cette perspective étrangère sur les indigènes», estime Tiga Bayles. Il regrette aussi que, dans les principaux médias, les informations aborigènes se limitent aux faits divers.

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