interactive
Le jeu vidéo, qui requiert l'attention soutenue du joueur, devient un média de masse revendiquant sa part de "temps de cerveau disponible". Mais pour s'imposer comme support publicitaire, il doit encore convaincre.

Quand un Français sur deux déclare être un «gamer» (joueur), que l'âge moyen du pratiquant est de 31 ans, le jeu vidéo n'est plus réservé à des adolescents autistes scotchés à leur ordinateur ou à leur console. C'est plutôt une pratique de masse, qui captive le joueur et lui interdit de zapper! Au milieu des années 2000, on voyait la présence de marques dans les jeux, «l'in-game advertising», comme un Eldorado, un antidote à la fragmentation des audiences TV. Les panneaux publicitaires ont commencé à s'afficher autour des stades des jeux de football Fifa de l'éditeur Electronic Arts, dès 1994. Avec les consoles connectées, ce placement de produits dans les décors, objets et vêtements des personnages peut évoluer avec l'actualité. Ainsi, lors de sa première campagne électorale en 2008, Barack Obama s'est offert des affiches publicitaires «Yes, we can!» dans neuf jeux de sport populaires d'Electronic Arts.
Avec l'engouement pour «l'in-game advertising, dont l'Idate prévoyait qu'il passerait de 1 à 2 milliards de dollars entre 2006 et 2011, Microsoft se positionnait en rachetant la régie leader du domaine, Massive Incorporated en 2006. Google faisait l'acquisition de la régie Adscape Media. Et la société américaine IGA Worldwide se déployait à l'international, ouvrait un bureau en France.
Le soufflet est retombé avec la crise de 2008. «L'in-game advertising conceptuellement formidable» l'était moins en pratique, détaille Antoine Dubuquoy, consultant et éphémère directeur d'IGA France en 2008-2009. A l'époque, IGA commercialisait les jeux Sony pour la console PS3, et Massive Incorporated, les jeux pour la console XBox de Microsoft. Quant à Nintendo, il a toujours refusé d'intégrer des marques dans ses jeux. «Soit une double segmentation par plateforme et par jeu. Et puis les campagnes devaient être validées par l'éditeur de jeu. Enfin, comparé au coût d'une campagne "display" classique, ce n'était rentable ni pour la régie, ni pour l'annonceur.»

 

De la vente du jeu à la gratuité

Aujourd'hui, selon Hugues Ouvrard, directeur marketing d'Electronic Arts pour la France et l'Europe du Sud, hors sponsors officiels de la Fifa ou de clubs sportifs, présents dans le jeu comme dans la réalité, «la présence de marques dans nos jeux sportifs n'intervient que dans le cadre de partenariats, en échange de visibilité avec des médias comme L'Equipe, RMC ou Canal+. Nous sommes très sollicités par les marques, mais nous déclinons. Dans un jeu premium à plus de 70 euros, le joueur doit être libéré de la publicité. Notre cœur de métier n'est pas de vendre de l'espace: nous sommes un produit, pas un média».
Microsoft, de son côté, a enterré l'activité de Massive. La publicité prend place non pas dans les jeux directement mais autour des menus de sa console XBox, devenue un centre de divertissement, sur le téléviseur connecté du foyer. En effet, 60% du temps passé sur la XBox l'est avec une autre activité que le jeu.
L'in-game advertising se concentre seulement sur quelques jeux premium (lire Ubisoft ci-dessous). Car l'essor de jeux simples (casual) sur tablette, mobile, Facebook, console et TV connectées, permet de toucher un public bien plus large. Le modèle économique des éditeurs de jeux glisse de la vente du jeu à la gratuité. C'est le «Free to play» (F2P), jeu en ligne en partie gratuit, et financé par la vente d'objets, de services optionnels ou de publicités.
En agrégeant les audiences de plusieurs de ces jeux, on peut toucher des millions de personnes par mois, et proposer une publicité en fonction de la cible plutôt que de l'environnement d'un jeu donné (lire Jokerly ci-dessous). Les marques, elles-mêmes, développent leurs propres jeux simples, appelés «advertgame» (jeu vidéo publicitaire).
Toutefois, annonceurs et agences médias ont encore du mal à considérer le jeu comme un vrai média et à voir ses pratiquants autrement que comme des «geeks» boutonneux. «Les annonceurs veulent connaître leur retour sur investissement avec certitude. Ils testent le jeu, mais à la marge», remarque Florence Hermelin chez Startcom. La conférence Jeu vidéo et marketing (CJVM), organisée en novembre prochain pour la troisième année à Paris, a pour ambition de rapprocher les deux mondes.

 

 

Papier 2

Trois exemples

 

• Jeux Free to play et exposition consentie à la publicité

En moyenne, 3% des joueurs à un jeu gratuit en ligne acceptent de payer pour acquérir un bien ou un service permettant d'avancer plus vite dans le jeu. Comment monétiser l'audience, souvent massive, de ces jeux dits Free to play? En proposant aux joueurs de se faire «sponsoriser» en regardant une vidéo publicitaire: c'est la solution Jokerly, proposée par la start-up Markelys Interactive, fondée par Marc et Virginie Leprat. Dans ce format baptisé «Asq», le joueur a le choix entre plusieurs vidéos, qui sont souvent des spots TV de produits ou de marques. Pour reprendre la partie, il faut confirmer par un clic sa présence à la fin de la vidéo, faute de quoi, elle devra être rejouée ou le gain ne sera pas obtenu. «Les annonceurs achètent donc une vraie attention. La mémorisation est trois fois supérieure à celle d'un spot TV», assure Marc Leprat.
Ainsi, dans le jeu «Paf le chien» (3,7 millions de joueurs uniques par mois) sur Facebook, application pour mobile et tablette, qui consiste à expédier le chien le plus loin possible, le joueur peut acheter un casque à Paf pour lui éviter de se cogner contre les murs, une fusée pour voler plus vite... En acceptant de regarder des publicités, il obtient le même résultat. SFR, Matines, Danone, Renault... ont utilisé Jokerly. Les jeux en régie chez Jokerly agrègent une audience de 15 millions de visiteurs uniques et 100 millions de vidéos vues par mois. Jokerly commercialise des packs ciblés, l'un d'eux destinés aux 25-49 ans comprend six jeux, dont «Sims free play», «Plus Belle la vie»... Cet inventaire est en cours d'intégration à des plateformes d'ad-exchange (plateforme automatisée de vente et d'achat d'espaces publicitaires en ligne) se mêlant ainsi à l'espace d'autres médias en ligne. L'éditeur du jeu «Paf le chien» Charles Christory, d'Activiz, dit «préférer que les joueurs s'engagent en payant», mais la vidéo sponsorisée est «une façon d'éduquer le public au fait que la gratuité a une valeur».

 

• Les sucres Daddy et le jeu «Just dance» d'Ubisoft

Ubisoft propose la présence de marques sur des affiches ou dans les vitrines du décor: «Il faut que le jeu s'y prête, qu'il se passe dans une vraie ville et que cela contribue au réalisme», explique Vincent Coudert, en charge des partenariats pour la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique). Mais Ubisoft propose aux marques «d'aller plus loin, en développant des contenus exclusifs pour elles», autour de ses jeux les plus grand public, comme ses célèbres «Lapins crétins». En 2012, c'est au jeu «Just dance», vendu à 40 millions d'exemplaires en quatre ans, qu'il a associé la marque de sucre Daddy. Une chorégraphie sur la chanson «Daddy Cool» de Boney M a été créée, intégrée à la playlist d'une nouvelle version du jeu ou téléchargeable, avec un «coach» aux couleurs de la marque. Daddy a relayé l'opération dans 10 millions de ses produits et organisé un concours de danse avec une finale à Paris.

 

• Jeux Facebook

Le studio Ouat Entertainment est spécialisé dans la création de jeux sur Facebook dérivés de programmes télévisés, comme la série TV d'animation Totally Spies ou le feuilleton de France 3 Plus Belle la vie. Pour Totally Spies, les trois jeunes agents secrets californiennes, qui ont des centaines de milliers de fans sur Facebook, le studio a créé une boutique virtuelle/réelle pour La Redoute, proposant 80 vêtements de marques «jeunes» effectivement présents au catalogue de La Redoute. Les joueuses pouvaient acheter des habits pour leur avatar dans le jeu mais aussi pour elles. Pour Frédérique Doumic, fondatrice de Ouat Entertainment, «il est plus intéressant pour une marque de lancer un jeu auprès d'une communauté qui existe déjà que de lancer son propre jeu publicitaire (advergame), car le coût de la communication pour recruter une communauté est élevé. Et la perception du joueur est meilleure quand la marque intervient dans un jeu dont il est déjà familier».

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.