Première vente aux enchères de jeux vidéo «vintage», expositions à Paris et dans le très chic Museum of Modern Arts de New York... le «retrogaming» a le vent en poupe. Un créneau commercial juteux.

Jeudi 13 juin 2013, 18 heures. Une foule compacte se presse dans la salle des ventes feutrée, à quelques pas du prestigieux hôtel Drouot à Paris. Des trentenaires décontractés côtoient quelques costume-cravate. Salle VV, la maison de ventes aux enchères Millon & Associés organise une vente aux enchères consacrée aux jeux vidéo «vintage». Une première du genre. En plein essor, le «retrogaming» consiste à collectionner des jeux vidéo «anciens», sortis avec les quatre premières générations de consoles, entre les années 1970 et les années 1990.

Près de 350 pièces sont présentées, dans une vente menée tambour battant. Avec, pêle-mêle, des premières générations de consoles de la fin des années 1970, dont la mythique Atari 2 600 (1977), les «premiers personal computers» pour jouer tel le Commodore Amiga, mais aussi des jeux cultes, comme des exemplaires uniques de «Super Mario Bros» & «Dick Hunt» pour Nintendo NES (1985), et des accessoires surprenants, comme un ordinateur Thomson MOS édition limitée Michel Platini (1984). Parmi les records de cette vente, la cartouche de jeu Dino Force cédée à 12 600 euros, et le jeu «Golden Eyes 007» (encore sous blister) 12 378 euros.

Ce phénomène du rétrogaming s'inscrit dans une tendance plus large, où les trentenaires adorent se replonger dans la culture pop de leur enfance. Ils achètent ainsi les coffrets DVD de dessins animés comme Albator et Les Mystérieuses Cités d'or ou téléchargent sur leur smartphone les versions mobiles de jeux vintage emblématiques tel «Final Fantasy VII», jeu de rôle sorti en 1997.

Une vente inédite

«Avec les jeux vidéo, on inaugure notre département des Arts des cultures populaires, explique Alexandre Millon, de Millon & Associés. Jusqu'à présent, il y avait un marché [de jeux vidéo de collection] avec des relais tels que des blogs ou Ebay, mais il n'était pas régulé. Il avait besoin d'être adoubé par le marché de la vente publique, qui fait des catalogues et organise des ventes publiques, de manière institutionnelle.» De fait, tous les codes de la vente classique étaient repris avec un catalogue de ventes numéroté présentant chaque objet et son estimation, et un commissaire priseur lors de la vente... Pour lancer cette vente inédite, le cabinet de ventes s'était adjoint les services, en qualité d'expert, de Camille Coste, 28 ans, «game designer» (concepteur de jeu) patenté et collectionneur lui-même.

Un joli coup de pub mais aussi un business non négligeable pour la société de ventes, qui prélevait 26% de commission sur chacune des ventes réalisées. «Nous organiserons une autre vente aux enchères de jeux vidéo rétros en fin d'année avant Noël», annonce d'ores et déjà Alexandre Millon.

Cette culture du «dixième art», première forme artistique à rassembler en un seul média l'image, le son, le scénario et l'animation, avec un langage interactif qui lui est propre - le «gameplay» - entre aussi dans les musées. En juin 2010, à Paris, le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) accueillait l'exposition Museo Games, centrée sur les machines et les jeux. Un an après, le Grand Palais accueillait une exposition consacrée au retrogaming, Game Story, qui retraçait l'histoire du jeu vidéo (cf. Stratégies n°1654 du 10 novembre 2011).

Il y a quelques semaines encore, du 10 au 21 juin, L'Age d'or du jeu vidéo était présentée dans le cadre du Cinéma Paradiso, une installation éphémère sous la nef du Grand Palais à Paris, orchestrée par MK2 Agency. Les visiteurs pouvaient y jouer avec des consoles et des bornes d'arcade, de «Pong à «Pac-Man» en passant par «Mario», «Space Invaders», «Asteroids», «Frogger», «Sonic»... Cet automne, pendant dix mois, à partir du 22 octobre, la Cité des sciences apportera sa pierre à l'édificie avec Jeu vidéo l'expo qui présentera les métiers liés à l'univers du jeu vidéo, son histoire et son impact sur notre société.

Le mode même d'exposition des jeux vidéo fait toutefois débat. «Un musée est surtout un endroit où on va consacrer des icônes pour une civilisation, mais destiné à l'immobilisme le plus total», tacle Alexandre Millon. Ce à quoi Pierre Duconseille, commissaire muséographique pour la future exposition de la Cité des sciences, répond: «Les expositions précédentes consistaient en des accrochages d'œuvres vidéoludiques présentées dans un parcours historique. Nous, nous allons proposer aussi une partie historique, mais surtout des scénographies et des dispositifs de prise en main des jeux, pour mettre en avant la façon dont le jeu a été conçu et son fonctionnement.» Les visiteurs de la Cité des sciences pourront ainsi tester un jeu qui met en scène une course-poursuite avec deux joueurs, l'un n'utilisant que sa vue et l'autre des sons qu'il peut entendre. Ils pourront même créer leur propre jeu sur le stand «Faites vos jeux» et y découvrir les différentes étapes de création d'un logiciel.

Mais la consacration est venue de New York. Le MoMA (Musée d'art moderne) a ouvert en mars dernier un département jeux vidéo vintage dans son aile design. Actuellement, quatorze jeux vidéo «classiques» des années 1980 («Tetris», «Pac Man», «Space Invaders»...) y sont «exposés» au moyen d'un simple écran placé dans le mur avec une description et parfois une visualisation du code source, pour en souligner l'«élégance», comme celui de «Pac-Man».

(encadré)


Huit jeux vidéo cultes

 

- Pong (1972, Atari). Jeu de ping-pong, le premier à avoir été commercialisé en tant que borne d'arcade, meuble contenant un jeu vidéo payant.

- Space Invaders (1978, Taito). Premier «shoot them up» où le joueur devait détruire un grand nombre d'ennemis avec un canon laser.
- Pac-Man (1980, Namco). Le fameux icône en forme de camembert qui sillonne un labyrinthe et doit manger toutes les pac-gommes en évitant d'être touché par des fantômes.
- Donkey Kong (1981, Nintendo). Mario, appelé alors Jumpman, doit secourir une demoiselle en détresse capturée par un gorille géant Donkey Kong, en se déplaçant à travers des sables mouvants.

- Tetris (1984, conçu par Alexey Pajitnov). Jeu vidéo de puzzle, dont la version pour Game Boy fut classé quatrième jeu vidéo le plus vendu de l'histoire.

- Super Mario (1985, Nintendo). Les aventures de Mario au Royaume Champignon, qui progresse en sautant pour battre ses ennemis sur différents niveaux.
- Sonic (1991, Sega). Le hérisson anthropomorphe de 15 ans, devenu la mascotte de Sega, a le pouvoir de courir à une vitesse supersonique et de se rouler en boule pour attaquer ses ennemis.
- Shenmue (1999, Sega). Jeu vidéo d'aventures remarquable par son réalisme, avec pour héros le jeune Ryo Hazuki. Une somme de 16 chapitres, 23 millions d'euros de budget.

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