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Malmenés par des recettes publicitaires en berne, des ventes en baisse et des coupes budgétaires drastiques dans l'audiovisuel public, les médias cherchent de nouvelles voies pour financer leurs contenus journalistiques.

Publicité, redevance, financement public, abonnements et ventes au numéro ne sont plus forcément les cinq mamelles du journalisme. De plus en plus, Internet et le mobile ouvrent la voie à de nouveaux territoires de financement. A l'occasion des Assises internationales du journalisme et de l'information, dont la septième édition, du 5 au 7 novembre à Metz, est intitulée «Réinventons le journalisme», Stratégies, partenaire de l'événement, explore les nouvelles voies de monétisation des contenus journalistiques. Avantages et inconvénients.

 

1. Le contenu sponsorisé

 

Pour compenser des recettes publicitaires qui tendent à s'éroder, les médias fondent beaucoup d'espoir dans le «native advertising», ce format en vogue qui permet à un annonceur de diffuser son message dans le flux d'information sur Internet. Un modèle adopté par Lagardère Active, Amaury, Le Monde ou le site Melty. «Chez nous, les annonceurs financent des contenus intéressants, publicitaires et non publicitaires», justifie Alexandre Malsch, cofondateur du site destiné aux 18-30 ans.

Vous avez dit mélange des genres? Sur les 300 à 500 articles produits par jour, pas plus de 5 relèvent du native advertising, affirme le jeune patron. En revanche, cette forme hybride est très lucrative: elle génère près de 20% des quelque 4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires. «Pour parler à notre génération, les marques doivent donner pour recevoir et donc produire du vrai contenu, non promotionnel», ajoute-t-il. Dernières opérations mises en ligne par Melty: la websérie "Destination Porto-Vecchio", coproduite par Blackberry, ou la «Gaming zone», une rubrique sur l'actualité du jeu vidéo financée par Coca-Cola.

Le quotidien gratuit 20 Minutes pousse la logique un peu plus loin avec une offre de «native publishing». Le principe? Les journalistes de son pôle magazine créent des contenus print et digitaux sur un sujet, selon des axes prédéterminés avec l'annonceur. Lancée avec la région Nord-Pas-de-Calais, cette offre pourrait être utilisée par un opérateur télécoms autour de la 4G. «Nous sommes bien dans un cadre d'information, et non de communication, assure Renaud Grand Clément, directeur général adjoint en charge des revenus. L'annonceur, qui se positionne en tant qu'expert d'un sujet, ne valide absolument pas ce qui est écrit par la rédaction. Il en va de la crédibilité de 20 Minutes

Yannick Bolloré, président d'Havas, voit dans cette tendance un dangereux brouillage de repères. «Les médias doivent prendre garde à ne pas rompre le lien de confiance avec leur audience, a-t-il déclaré à Stratégies récemment. Une marque média, c'est très important; dans un univers fragmenté, c'est une caution. Le jour où le lecteur, ou l'internaute, ne voit plus franchement la frontière entre la rédaction et la publicité, cela peut affaiblir la marque média, ce qui est mauvais pour les marques.» (cf. Stratégies n°1741)

Le format rappelle le sponsoring de contenus éditoriaux. Fin 2012, comme Les Inrockuptibles dix-huit mois plus tôt, Marianne publiait un dossier high-tech consacré à la famille connectée et à ses usages, réalisé en partenariat avec Orange. En décembre 2011 et juin 2012, Le Figaro a pour sa part publié un quatrième cahier sur le cloud computing, une opération financée par SFR mais réalisée par les équipes rédactionnelles du quotidien.

Attention à ne pas y voir la poule aux œufs d'or, selon Bertrand Pecquerie, CEO du Global Editors Forum (GEN): «Pour les marques, s'impose partout la notion de storytelling, d'immédiateté et d'événementiel, estime-t-il. 70% de leurs budgets vont vers le brand content, 30% peut-être allant vers le contenu sponsorisé.» Le collectif de pigistes américains Contently.com, créé en septembre 2012, a tiré son parti de cette réalité: il vient de lever 2 millions de dollars en se positionnant comme un spécialiste du news et du storytelling. «Je crois beaucoup au regroupement des journalistes avec des développeurs, des designers et des graphistes», affirme l'expert.

A condition d'être animé par des champions du «personnal branding», le journalisme entrepreneurial peut aussi profiter du partage de revenus sur les nouvelles plateformes (Twitter, Facebook, Huffington Post...), comme l'a fait Jim Roberts, ex-directeur éditorial du New York Times. Aux Etats-Unis, des magazines comme The Atlantic, Forbes et Cosmopolitan sont allés jusqu'à mettre à disposition d'annonceurs leur propre compte Twitter pour des messages sponsorisés postés par le média lui-même.

 

2. La vente de contenu

 

Les médias payants ont bien compris qu'ils ne pouvaient plus offrir leurs contenus gratuitement sur Internet. Les principaux quotidiens nationaux proposent sur Internet un espace réservé aux abonnés, un modèle freemium. «Nous devons multiplier les passerelles entre les contenus gratuits et payants afin de faire entrevoir ce que l'internaute peut avoir s'il s'abonne. Le gratuit doit être la vitrine du payant. Il sert d'aimant», estime Natalie Nougayrède, directrice du Monde.

Désormais, tous les articles payants du Monde disposent d'un «teaser» d'une dizaine de lignes afin de donner envie au lecteur de payer pour lire la suite. La problématique est la même pour un journal comme Le Figaro ou Le Parisien. «Depuis le mois de mai, nous mettons davantage en avant notre contenu exclusif, explique Eric Leclerc, directeur des activités numériques du Parisien. Auparavant, nous disposions d'une zone payante mais les internautes n'avaient pas conscience de ce qu'il y avait derrière.»

Le site Web du New York Times et ses 700 000 abonnés numériques font pâlir d'envie tous les éditeurs. Mais pour le patron du GEN, Bertrand Pecquerie, «le pay wall ne marche que pour les leaders. Pour les autres, c'est un rêve qui est en train de s'effondrer.»

Pour monétiser les contenus, les éditeurs poussent les abonnements 100% numériques ou la vente du journal en version PDF. De façon expérimentale, certains testent en parallèle le micro-paiement cher au monde de la musique en ligne et à celui des applications. A la rentrée 2012, Le Monde tentait l'aventure avec des articles vendus à 2 euros l'unité, soit plus cher que le journal au format numérique. Le 21 octobre, L'Equipe lui a emboîté le pas avec les articles du journal papier et leurs enrichissements vidéo commercialisés au prix de 49 centimes l'unité, 3,99 euros les dix ou 15,99 euros l'abonnement mensuel illimité.

«Il y a des lecteurs qui font l'impasse sur certains sports, ce qui peut pénaliser l'achat du journal. Nous trouvions intéressant d'un point de vue économique d'offrir au lecteur la capacité de consommer le journal à la carte», explicite François Morinière, directeur général du quotidien sportif. «Dans une période où tout bascule, les éditeurs se doivent d'essayer. L'Equipe est un journal multisport alors que la plupart des gens ne sont intéressés que par un seul sport, l'idée n'est donc pas mauvaise», estime Patrick Eveno, professeur à Paris-I-Panthéon-Sorbonne.

Autre source de revenus additionnels, la vente d'applications mobiles. Au début de l'année, Le Monde commercialisait sa première application Ipad, Le Monde Mémoire, consacrée à Stéphane Hessel et vendue 5,99 euros. Objectif: mieux monétiser son fond d'archives et l'enrichir de développement multimédia.

 

3. Le crowdfunding et le mécénat

 

C'était l'espoir de Spot.us lorsqu'il s'est lancé en 2007: faire financer par les internautes eux-mêmes des enquêtes journalistiques de grande portée. Son fondateur David Cohn avait même eu la joie de voir un de ses reportages sur des déchets flottants dans le Pacifique être publié dans le New York Times après avoir récolté 6 000 dollars en crowdfunding. Après avoir essaimé au Canada, en Italie ou en France, le site «végète», selon Bertrand Pecquerie. Mais pour lui, apparaît néanmoins de plus en plus nettement l'idée que le journalisme d'enquête doit être reconnu comme un service bénéficiant au public et qui, de ce fait, peut trouver des modes de financement alternatifs.

En France, Le Canard enchaîné ou Mediapart peuvent s'appuyer sur les ressources de leurs seuls lecteurs. Du côté du documentaire et du web-documentaire, «il y a une vraie place pour le crowdfunding pour financer non pas tant une œuvre que quelque chose de militant», estime Hervé Rony, directeur général de la Société civile des auteurs multimédias, qui cite en exemple les enquêtes de Marie-Monique Robin et ne croit pas au mécénat par les marques.

La plateforme participative Tous coprod fait ainsi appel aux deniers des internautes pour les documentaires.

Aux Etats-Unis mais aussi aux Pays-Bas ou en Norvège, ce sont de plus en plus des fondations qui prennent le relais des acteurs traditionnels du journalisme. Pro Publica, organisation à but non lucratif, a reçu en 2010 et 2011 le prix Pulitzer notamment pour un article sur l'ouragan Katrina. Les enquêtes peuvent être publiées dans le New York Times ou le Washington Post, dans une sorte de relation triangulaire mécénat-investigation-publication.

Apparaît enfin un nouveau modèle qui passe par la transformation des médias en marques d'«infotainement». «Le crowdfunding ne marche pas bien pour l'instant, le sponsor content se développe un peu, mais ce que je trouve intéressant, c'est le modèle à la buzzfeed [lire aussi page 29], c'est-à-dire financer des articles sérieux par des choses qui correspondent à la demande du Web, résume Eric Scherer, directeur de la prospective de France Télévisions. Je produis des articles pas sérieux qui génèrent du trafic et donc de l'argent pour financer un travail journalistique de qualité.» L'hommage du vice à la vertu.

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