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Du 21 au 23 novembre, les rencontres internationales du Forum d'Avignon, think tank qui rapproche culture, économie et médias, vont tenter de faire émerger la notion de données culturelles personnelles.

Le Forum d'Avignon, qui s'ouvre ce 21 novembre, est riche de promesses… un peu à la manière d'une donnée prédictive. Cette édition 2013 se propose de promouvoir une notion à forte valeur ajoutée: la donnée personnelle culturelle. Avec une idée simple: autant les gens ne sont pas prêts à renoncer à la protection de la confidentialité sur les réseaux, autant ils peuvent tirer parti d'une meilleure connaissance numérique de leurs attentes en matière de culture. Eclairage à travers deux études qui sont présentées à Avignon.

La première, d'Ernst & Young, sur les «comportements culturels à l'heure du big data», observe que «les données personnelles culturelles représentent pour le secteur de l'industrie médiatique et culturelle une formidable opportunité de révolutionner leur modèle économique pour stimuler la création… à l'infini».

Pour Bruno Perrin, associé chez Ernst & Young et auteur de l'étude, elles ont même une valeur spécifique en raison de leur degré d'intimité et de leur fort caractère prédictif. Il convient d'ailleurs de distinguer la donnée non anonymisée où l'on donne quelque chose de soi de manière pas toujours consciente («une donnée ou une volée?», interroge-t-il), de l'«open data» générée, à l'autre bout du spectre, par des établissements publics qui ne savent pas toujours qu'en faire.

Une logique de silos empêche encore souvent de connecter les différentes informations entre elles, à l'instar de la Réunion des musées nationaux qui ne peut savoir si une personne qui a acheté un livre dans une de ses quarante boutiques pourrait être intéressée par une exposition au Grand Palais.

Pourtant, pour optimiser le temps de visite, anticiper les comportements ou mieux connaître les attentes, il n'est pas inutile de savoir qu'un admirateur de Rembrandt s'intéresse aussi au Titien. Ou qu'une application peut être développée dans une langue au vu de la fréquentation d'un lieu.

Bruno Perrin y voit «un levier d'optimisation de la valeur du client». Et la réglementation européenne sur la protection des données personnelles, qui se prépare pour 2014, est selon lui une chance. «Des pays comme la Nouvelle-Zélande ou l'Argentine ont dit qu'ils allaient s'adapter pour suivre un marché où cela vaut le coup d'investir plutôt que d'adopter une réglementation américaine morcelée par Etats», note-t-il.

De nouveaux canaux très influents

En raison de leur position ultra-dominante, les géants d'Internet seront, selon lui, amenés à partager la data, sauf à subir les foudres des autorités de la concurrence pour détention exclusive d'«une infrastructure essentielle de la mondialisation». L'accord de Facebook avec TF1 et Canal+, en octobre, va dans ce sens. Dans «l'appel des 32», publié en février dans Le Journal du dimanche, trente-deux personnalités ont pris position pour rendre l'internaute maître de ses données. Le magazine Forbes a estimé à 0,03 dollar la valeur d'un goût individuel exprimé sur un lien culturel.

L'autre étude, de Bain & Cie, montre l'importance prises par les médias sociaux et les plates-formes digitales en matière de prescriptions culturelles. Les jeux vidéo et la musique sont aujourd'hui deux secteurs où la recommandation provenant des réseaux sociaux (pour respectivement 47% et 38% des personnes) est désormais supérieure à celle venant des critiques et des professionnels (43% et 33%). S'agissant des suggestions liées aux algorithmes des acteurs de l'Internet, l'influence reconnue a bondi de dix points en trois ans pour le livre (41%) et la vidéo (33%).

«Les modèles de recommandation traditionnels sont en stagnation ou en récession, estime Laurent Colombani, associé chez Bain & Cie. Je ne suis pas sûr qu'on ait atteint un point d'équilibre quand on regarde les progressions par rapport à 2010 des réseaux sociaux et des suggestions personnalisées des plates-formes digitales. Cela ne veut pas dire que ces modèles traditionnels vont disparaître, mais qu'il faut traiter à part égale les nouveaux canaux.»

Pourtant, il peut être difficile de convaincre les aficionados de biens culturels de partager leurs informations. L'étude de Bain atteste des réticences de l'individu, dans les pays occidentaux, à livrer ses données en échange de recommandations personnalisées. En France et en Allemagne, plus deux personnes sur trois s'y refusent alors qu'en Inde et en Chine, on trouve la même proportion (68%) qui l'accepte. Peut-être faut-il y voir la marque de l'affaire Prism/Snowden et de la captation de notre intimité à des fins d'espionnage.

«On peut imaginer plusieurs niveaux de services plus ou moins intéressants laissant au consommateur le choix du partage de ses données», note Laurent Colombani. Les «pure players» tendent d'ailleurs à donner des gages avec une transparence accrue.

Mais le big data, en étant dans les lignes de code des mastodontes de l'Internet, favorise-t-il la diversité et la création originale locale? Pour Laurent Colombani, la longue traîne qui donne accès à des œuvres de niche ne doit pas nous faire oublier que c'est surtout la création de qualité, fraîche, qui est recherchée dans cet «âge de l'accès» dont parle Jérémy Rifkin dans son livre éponyme (La Découverte, 2000).

Selon l'expert de Bain & Cie, la donnée est donc d'abord une chance pour «la terre du milieu entre long tail et blockbuster». Des films primés au Festival de Sundance ou des œuvres de d'artistes inconnus peuvent être financés par des plates-formes participatives (Kick Starter, My Major Company) et trouver ensuite une exposition dans les médias traditionnels. L'algorithme est aussi utilisé dans la création originale par des plates-formes, comme Netflix (House of cards), à travers le profilage des attentes des abonnés lors de l'écriture du scénario.

La logique de l'offre face à l'algorithme

Les plates-formes assurent que leur choix sont dictés par ce que veulent les consommateurs. Magie du marketing de la demande… Pourtant, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), estime qu'en matière de choix culturels, la logique de l'offre d'un distributeur physique est préférable aux algorithmes d'un Amazon. «Le marketing des données personnelles peut aider à la diffusion culturelle en fonction de nos goûts, dit-il. Plus on choisit un certain type d'œuvres, plus le ciblage s'affine. Mais on peut avoir un même type de consommation et, de temps en temps, avoir envie d'une histoire d'amour.»

La question du diffuseur n'est pas anodine. Si l'on assiste au triomphe de la série aux Etats-Unis alors que le film de cinéma multiplie les suites pour limiter son risque, c'est parce que ce genre est calibré pour une télévision qui cherche à fidéliser en misant, au départ, sur l'effet de découverte. Avec l'algorithme, ne peut-on imaginer des œuvres qui, par souci de coller à nos goûts, nous y enferment en nous empêchant de découvrir d'autres horizons?

 

Trois questions à Laure Kaltenbach, directrice générale du Forum d'Avignon

Que représentent les rencontres internationales du Forum?

Laure Kaltenbach. Elles réunissent 500 personnes, dont une centaine d'étudiants français et étrangers, 60 métiers et 40 nationalités. En six ans, et trente études internationales, le message sur le poids de la culture comme secteur économique est passé. Nous souhaitons porter haut et fort les valeurs de la diversité culturelle. La culture est un facteur à la fois de cohésion sociale, de paix et de croissance.

 

Que signifie le big data au service de la culture?

L.K. Il ne faut pas opposer la création à l'innovation. Qu'est-ce qui nous définit le mieux sinon nos données culturelles, quand on sélectionne une musique, une exposition ou un lien sur un réalisateur? Alors que les données sensibles sont très bien réglementées – banque, santé, religion, etc. –, il n'y a pas de débat sur les données personnelles culturelles. Il faut organiser cet or noir pour que le maximum d'entreprises en bénéficie et que cela soit pourvoyeur d'emplois, notamment dans le cadre d'un big data anonymisé.

 

S'agit-il de faire accepter le traçage de nos données?

L.K. Bien sûr que des questions éthiques doivent être posées. Mais il faut comprendre le potentiel que cela représente. A titre d'exemple, 30% du chiffre d'affaires d'Amazon est auto-généré par la donnée. Il est néanmoins nécessaire de se poser la question de ce que l'on veut. Par qui et pourquoi nos traces sont-elles utilisées? Il ne suffit pas de dire «j'accepte» un contrat léonin. La connaissance et la compréhension de nos choix sont centrales. Si le traçage vise à nous rendre des services et qu'on l'accepte, le consentement a priori est assez naturel. Le Forum 2013 fera des propositions sur ces données personnelles culturelles.

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