internet
Sur un marché digital en pleine expansion, le moteur russe de recherche local, Yandex, se place loin devant Google. Et se développe aujourd'hui à l'international.

«Qui dit Russie»... Soumettez cette requête sur le Web et vous verrez apparaître «Dit vodka»... Une banalité. En voici une autre : qui dit moteur de recherche dit Google. Qui pourrait cependant imaginer que c'est précisément au pays de la vodka et du pétrole que «l'hyper-puissance Google» est contestée ? Les Russes ont en effet leur moteur de recherche maison : Yandex. Près de 62% d'entre eux l'utilisent pour accéder aux sites locaux, contre seulement 27% pour Google. En 2013, Yandex est même devenu le quatrième moteur de recherche le plus fréquenté au monde, derrière Google, Baidu et Yahoo, mais devant Bing, avec plus de 94 millions d'utilisateurs.

 

Cette exception russe a plusieurs explications. Yandex est tout d'abord plus vieux que Google. Son histoire commence à Moscou en 1989. Un jeune mathématicien fraîchement diplômé de l'Institut du pétrole et du gaz, Arkady Volozh, aujourd'hui PDG de Yandex, travaille alors sur les algorithmes pour traiter de grands volumes de données. Il est bientôt rejoint par son vieux copain d'école, le programmateur Ilya Segalovitch. Ensemble, ils planchent sur une application de recherche informatique tenant compte de la morphologie particulière de la langue slave, dont les mots se déclinent. Comme vodka, par exemple, qui peut s'écrire vodku, o vodke, vodki, etc. Elle sert d'abord aux textes anciens, comme la Bible numérisée, avant de s'appliquer au Net. C'est précisément cette technologie de recherche qui reçoit le nom de Yandex pour «Yet another indexer» (« Encore un moteur de recherche »).

«Tout sera trouvé»

Au début Yandex se bat contre plusieurs concurrents locaux. Mais il s'impose rapidement, devenant, trois ans après son lancement, le principal acteur du pays. De son côté, Google, fondé en 1998, ne lance sa version russe qu'en 2001. Treize ans plus tard, l'offensive américaine est toujours d'actualité sur un marché devenu incontournable : avec soixante-huit millions d'internautes, la Russie dispose de la plus grosse audience Web sur le continent. À l'heure qu'il est, Google s'offre d'ailleurs une active campagne de publicité pour gagner des parts de marché. Avec un peu de succès, même si les Russes restent majoritairement fidèles à Yandex (voir interview).

 

Si Yandex résiste à Google, c'est avant tout affaire de qualité, selon Bernard Lukey, son patron Europe : «Le moteur de recherche Yandex en langue russe ou ukrainienne est encore supérieur aux autres.» Et effectivement les recherches en russe pour le mot « vodka » donnent quatre millions de résultats chez Yandex contre trois millions six cent mille chez Google. Jetez, par ailleurs, un coup d'œil sur la page d'accueil yandex.ru. Yandex ne produit pas de contenu, il l'agrège, tout en proposant plus d'une cinquantaine de services en tout genre. De quoi illustrer le slogan maison : «Tout sera trouvé.»

 

À partir de yandex.ru, on peut ainsi chercher un boulot, commander un taxi, faire son marché, écouter de la musique, etc. Ou encore observer l'état de la circulation, en temps réel, grâce aux informations envoyées par les automobilistes coincés dans les bouchons. Les cartes géographiques de Yandex, élaborées elles aussi de manière collaborative, sont extrêmement détaillées. Yandex a, par ailleurs, sa propre monnaie virtuelle, Yandex Money, et son propre navigateur Internet. Prochainement Yandex lancera un cinéma payant online. Que ne propose-t-il pas ?

En revanche, le nom de domaine yandex.fr est à vendre... Et si vous basculez vers yandex.com, vous serez déçus : quatre services seulement et des résultats de recherche décevants ; Google donne cinq fois plus de résultats pour « vodka » en anglais ! Yandex reste ancré là où il a commencé et là où se parle le russe : l'Ukraine, la Biélorussie, sans oublier le Kazakhstan, la mère-patrie d'Arkady Volozh.

 

A-t-il des envies d'expansion ? Depuis 2011, Yandex chasse sur les terres historiques de Google, avec une incursion au-delà du monde cyrillique, en Turquie, autre grand marché en pleine expansion. «C'est la première fois qu'on travaille avec une langue qui n'est pas slave, avec un autre alphabet !», s'exclame Bernard Lukey. Et c'est un très bon test pour savoir dans quelle mesure il est possible de rendre attractive notre technologie auprès d'une nouvelle population. » Fin 2013, Tripadvisor a annoncé qu'il utilisera désormais le service cartographique collaboratif de Yandex en Turquie. Mais sa part du marché dans ce pays est encore modeste - entre 3 et 4 %.

À quand une l'offensive contre Google à l'échelle mondiale ? « Il n'y a pas de décision à ce niveau-là. Cela va vraiment dépendre de ce qui se passe en Turquie », affirme Lukey. Quoi qu'il arrive, Yandex est aujourd'hui la plus grande compagnie de médias en Russie, un portail dont l'audience dépasse celle de la première chaîne de télévision russe. Son modèle économique n'est pas très différent de celui de Google : la publicité contextuelle, source principale de revenus, puis la publicité par bannières.

 

Mais la troisième source est spécifiquement russe - le trafic payant sur les sites de e-commerce qui sont intégrés au comparateur de produits Yandex Market. « C'est typiquement un service que nous avons lancé avant tout le monde. Il est repris ailleurs aujourd'hui, mais jamais d'une manière aussi importante», affirme le patron de Yandex Europe. Ainsi, 56% de ceux qui effectuent leurs achats sur le Net en Russie passent par Yandex. Ajoutons dans le panier ses applications pour smartphones. Leur part dans les revenus annuels de la compagnie a grimpé en un an et demi de 0 à 10% !

 

Cette croissance semble indiquer que Yandex ne connaît pas la crise. Son introduction à la Bourse de New York en 2011 était la plus importante d'un site Web depuis Google. Avec plus de 6000 employés dans le monde, ses bénéfices ont crû au troisième trimestre 2013 de 37% par rapport à la même période en 2012. Déjà partenaire de Twitter, Yandex a signé en janvier un partenariat avec Facebook. Il peut desormais chercher dans le contenu public du réseau social dans cinq pays. Mais le plus grand succès commercial de 2013 est le partenariat pour la publicité contextuelle passé avec l'immense portail russe mail.ru, à la fois boîte mail gratuite, réseau social et moteur de recherche. Au détriment de Google AdWords.

 

Les analystes optimistes tablent sur le doublement du marché de la publicité sur Internet en Russie d'ici à trois ans. Reste que l'économie russe, dans sa globalité, ne croît désormais presque plus. Le modèle économique du pays, basé principalement sur la rente gazière et pétrolière, est à bout de souffle. L'autre Russie, la Russie 2.0, suit ces développements en temps réel. Sur la page d'accueil de Yandex, juste en bas, s'affiche toujours le cours du baril de pétrole brut.

Interview de Vadim Knyshev


«Pas de crédit chez Google !»

Vadim Knyshev est directeur de l'agence digitale Magistro.ru installée à Saint-Petersbourg. Il revient sur la différence entre Google et Yandex.

 

Que vaut-il mieux pour vos clients, Yandex ou Google ?

Vadim Knyshev. Pour un annonceur, le prix est a peu près le même chez Yandex et Google, mais Yandex a un avantage : le client n'a pas l'impression de trop payer. Qu'il s'adresse à nous pour organiser une campagne publicitaire ou directement à Yandex, il payera exactement la même somme. S'il s'adresse à nous, c'est Yandex qui nous règlera, en nous reversant une commission.


Google ne vous paye pas ?

V.K. Nous devons vendre la publicité chez Google en rajoutant un pourcentage. Chez Yandex, c'est plus rapide pour une agence de réaliser un paiement et il est possible d'obtenir un crédit. Pas chez Google ! Autre avantage de Yandex : en rentrant un mot-clé et une région, on obtient tout de suite une prévision du budget publicitaire. Enfin, un annonceur peut placer sa publicité directement sur la page d'accueil de Yandex - l'espace publicitaire le plus cher de l'Internet russe, soit au minimum quatre millions roubles (soit plus de soixante-dix neuf mille euros) pour deux jours ouvrables.


Google est moins commode, mais vous ne le négligez pas pour autant...

V.K. Pas du tout ! Nous travaillons pour 40% de notre activité avec Google et 60% avec Yandex. Google est même plus intéressant quand il s'agit de vendre des produits ou des services à ceux qui sont branchés nouvelles technologies et qui ont fait l'effort de découvrir Google, venu tardivement sur le marché russe. Mais cela va peut-être changer. Aujourd'hui, Google en langue russe mène une campagne publicitaire très active. Il suffit de regarder la télévision russe.

 

Qu'avez-vous comme page d'accueil sur votre ordinateur ?

V.K. Une page vierge ! Ensuite, je jongle, comme beaucoup de Russes, entre Yandex et Google.

Entretien : A. I.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.