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Alors que la vidéo explose sur le marché publicitaire, va-t-elle permettre à la publicité sur mobile de décoller ? Avis d'experts.

Petit syllogisme. 1) La vidéo est le segment du marché publicitaire qui connaît la plus forte croissance. 2) Le mobile, au cœur de tous les usages, devient incontournable dans le rapport des consommateurs aux marques. 3) Le tout devrait donc faire décoller la publicité sur mobile. Seulement voilà, les lois de la publicité obéissent à d'autres mécaniques que celles du raisonnement logique. Et les faits sont têtus : la publicité vidéo sur mobile n'a pas encore su trouver les bons leviers pour s'imposer au marché.

 

Les études rivalisent pourtant d'estimations optimistes. BIA/Kesley prévoit ainsi que le marché de la publicité vidéo sur mobile aux États-Unis va passer de 38 millions de dollars en 2012 à 515 millions en 2017. Plus prudent, Gartner estime pour sa part dans une note publiée en janvier 2014 que la vidéo devrait progressivement se faire une place au côté des bannières sur un marché de la publicité mobile estimé à 41,9 milliards de dollars en 2017.

 

Mais si les projections sont si positives, c'est surtout parce que le poids réel du marché publicitaire sur mobile est aujourd'hui quasi nul. Dès lors, toutes les courbes de croissance, qu'elles soient effectives ou projectives, ne peuvent qu'impressionner. La réalité économique est beaucoup plus plate.

 

En France, avec une progression de 30% (sans commune mesure avec les chiffres des pays anglo-saxons), le marché atteint péniblement 48 millions d'euros, soit à peine 1,8% des investissements dans la communication publicitaire on-line, selon le syndicat des régies Internet (SRI). Alors que l'Hexagone représente le deuxième marché européen en matière d'équipement, le marché de la publicité mobile plafonne au seizième rang.

 

Face à cette inertie, même la vidéo s'avère impuissante, et ce malgré les promesses de la 4G. Pourtant, la pub vidéo mobile ne manque pas d'atouts. On peut aisément entrevoir les trésors d'interactivité qu'offre la publicité vidéo sur mobile : puissance inégalée de captation, articulations avec la géolocalisation, surviralisation sur les réseaux sociaux...

 

Selon une étude d'Unruly, publiée à l'automne 2013, les internautes destinataires de publicités vidéo sont trois fois plus incités à visiter le site de l'annonceur depuis un terminal mobile que depuis un ordinateur. En outre, l'engagement des consommateurs vis-à-vis de la vidéo sur le mobile a augmenté sensiblement, avec un taux de clics de plus de 13%, contre 4% un an auparavant. Et les régies ne cessent de le clamer : les marques seraient de plus en plus nombreuses à concentrer leur plan vidéo sur le mobile.

 

Les réseaux sociaux l'auraient bien compris, à commencer par le premier d'entre eux en termes d'audience, Facebook. La plate-forme teste aux États-Unis un carrousel de trois vidéos en autoplay, intégrées dans le fil d'actualités de ses utilisateurs. Principe : dès que l'abonné consulte son compte depuis son mobile, il lance le spot automatiquement. Il lui suffit de cliquer sur la vidéo pour déclencher le son.

 

Selon le bureau parisien de Facebbok, ce système augmenterait de 10% le partage de contenus et pourrait être lancé en Europe dans le courant 2014. Le réseau social espère ainsi capter une part du marché publicitaire sur la télévision.

 

Car l'enjeu de la vidéo est bien là, dans sa capacité à absorber une part significative des investissements publicitaires en télévision. Or, tant que la bascule des écrans télé vers ceux des ordinateurs fixes ne sera pas réalisée, l'émergence significative de la vidéo dans les dépenses publicitaires sur mobile risque d'être hypothéquée.

 

Par ailleurs, la vidéo va se heurter aux mêmes freins que ceux qui brident l'éclosion de tous les formats publicitaires sur le mobile, c'est-à-dire la faible tolérance des mobinautes aux démarches intrusives. Avec un handicap supplémentaire que constitue l'affichage en plein écran, imposé par le mobile, qui démultiplie le risque intrusif.

 

Pour faire oublier l'intrusivité, les annonceurs et régies vont devoir redoubler de créativité dans les formats proposés. Certaines startup, comme Adtile, travaillent d'ores et déjà sur des publicités capables d'exploiter les fonctionnalités spécifiques du mobile (GPS, gyroscope, coprocesseur, accéléromètre, boussole) pour permettre au mobinaute d'interagir avec la publicité en secouant ou en tournant son appareil.

 
Oui mais pour Jérôme de Labriffe

Président de l'Interactive Advertising Bureau (IAB) France

 

Il n'y aura pas de big bang de la vidéo publicitaire sur mobile. La vidéo est pourtant un format particulièrement adapté au mobile et aux usages en situation de mobilité. Certes, la pub est perçue comme intrusive par les mobinautes. Si le format vidéo n'échappe pas a priori à la règle, il présente des atouts qui peuvent permettre de lever ce frein : créativité, capacité inégalée de captation de l'attention (ce dernier facteur étant absolument déterminant en situation de mobilité). Mais ces avantages ne seront valorisés de manière pérenne qu'à certaines conditions. Pour devenir légitime, la publicité vidéo doit impérativement être limitée en nombre de sollicitations par destinataire. Avec des formats de trois minutes matraqués des dizaines de fois aux mêmes mobinautes, elle n'a aucune chance d'émerger. Il s'agit donc d'appliquer à l'environnement mobile les mêmes règles de formatage et les mêmes techniques de ciblage qui ont fini par s'imposer sur l'Internet fixe. En outre, la pub vidéo mobile n'explosera que couplée à autre chose : responsive design, réseaux sociaux, géolocalisation. Si la géolocalisation se met en place dans le respect scrupuleux des règles de l'opt-in, la vidéo peut être un vecteur intéressant de son développement.

 

Oui pour Jérôme Stioui

PDG d'AD4Screen, spécialiste de la publicité sur l'Internet mobile

 

La publicité vidéo sur mobile va inévitablement se développer, ne serait-ce que pour suivre le boom de consommation de vidéos sur le digital. Là où se trouve l'audience, la publicité suit. Et il n'y a pas de raison que les formats de type pré-roll ou interstitiel ne calquent pas leur progression sur celle de la consommation de vidéos sur mobile, comme ils ont suivi l'explosion de la vidéo sur ordinateur fixe. D'autant que contrairement aux bannières, qui nécessitent une adaptation de format pour être déclinées sur terminaux mobiles, la vidéo est le format qui oppose le moins de barrières technologiques à la migration des écrans fixes (télévision ou ordinateur) vers les écrans mobiles. Pour les annonceurs, le report de publicités sur les tablettes et smartphones peut donc se faire de manière totalement transparente, "naturelle", au gré des parts de trafic, sans qu'il soit nécessaire de définir une stratégie média ou une création spécifiques. À la limite, si la régie lui vend un pack vidéo, l'annonceur peut très bien ne pas savoir que ses publicités sont basculées sur les écrans mobiles. Ce mouvement d'aspiration de la vidéo publicitaire par l'explosion de la vidéo sur les écrans mobiles se fera notamment vers la tablette, dont les ventes ont connu, fin 2013, des taux de croissance de l'ordre de 130% et qui s'avère plus propice que le smartphone à la consommation de vidéos.


Oui pour Julien Leroy

Président d'AdVideum, régie vidéo multi-écrans

 

La France est le seul pays où la publicité sur mobile - a fortiori la publicité vidéo sur mobile - s'est développée aussi lentement. Mais les chiffres en circulation ne reflètent pas la réalité de nos marchés. Une part significative de la vidéo sur mobile est masquée car les acteurs du marché raisonnent davantage en termes de format qu'en termes de device. À commencer par nous : 15% de notre activité est portée par le mobile, mais ce ratio n'apparaît pas dans les chiffres que nous publions. Et je ne doute pas que pour d'autres régies, notamment celles des chaînes télés, la part de la vidéo sur mobile soit plus importante encore. On peut supposer qu'à l'horizon fin 2015, le mobile accaparera une part significative du marché de la publicité vidéo en France. La vidéo sur mobile présente au moins autant d'attractivité que le pré-roll sur les écrans d'ordinateur. Le format vidéo s'inscrit dans une logique de plein écran qui répond aux attentes des mobinautes, avec des possibilités d'interactivité largement plus convaincantes que celles de la télé connectée. Les indicateurs en termes d'exposition et d'engagement sont en outre très satisfaisants. Les annonceurs sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à investir dans la vidéo mobile. Les secteurs les plus en pointe sont sans doute la téléphonie (avec une prime à l'innovation pour SFR), l'automobile (notamment les marques allemandes comme Volkswagen ou Mercedes Benz) et le luxe.


Non pour Thomas Jeanjean

Directeur général France de Criteo, spécialiste de la publicité sur Internet

 

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Selon le SRI, le mobile représente 8% des dépenses publicitaires sur le digital. En Grande-Bretagne, cette part est de 17%. Le marché de la publicité sur mobile reste donc, en France, assez poussif. Pour autant, les usages sont là, ainsi que les formats publicitaires. Et il ne fait aucun doute que le marché va se développer de manière significative dans les mois qui viennent. Quel sera le rôle de la vidéo dans cet essor ? Les courbes de croissance de la consommation de vidéos sur smartphones et tablettes pourraient plaider pour une forte puissance motrice de la vidéo dans la publicité mobile. D'ailleurs, en 2013 aux États-Unis, 70% des agences et 45% des marques ont déjà acheté de la publicité vidéo sur mobile. Mais si l'on regarde le poids effectif de la vidéo dans l'achat d'espaces sur terminaux mobiles, force est de constater que celle-ci n'a pas de réalité économique. Et je ne pense pas qu'elle soit amenée à en avoir à moyen terme. Aux États-Unis, les dépenses en publicité vidéo sur mobile représenteront bientôt quelque cinq cents millions d'euros, quand le marché du display mobile pèse aujourd'hui quatre milliards d'euros. S'il est certain que la publicité sur mobile va croître très significativement à court terme, cette impulsion ne viendra pas de la vidéo, mais du développement rapide du m-commerce.

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