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Entre Bordeaux et Toulouse, la rivalité sur le terrain du conseil en communication se solde par un net avantage pour la capitale girondine. Même si les deux métropoles pâtissent du fait que les grands annonceurs locaux aient tendance à se tourner vers Paris voire l'international.

Bordeaux et ses bouteilles, Toulouse et ses avions. La réussite économique de la viticulture bordelaise et celle de l'aéronautique toulousain ne sont plus à démontrer. Le vin et les Airbus ont beau s'exporter bien et loin, leurs secteurs d'activités ne grossissent que très rarement les résultats comptables des agences de communication locales. Communicants bordelais et toulousains ont pris l'habitude de voir ces locomotives économiques investir dans des campagnes décidées à Paris, quand ce n'est pas à Londres ou New York.

Ainsi, après un récent appel d'offres pour gérer son budget publicitaire jusqu'en 2017, le CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) vient de choisir les Anglais d'Isobel pour gérer son budget publicitaire (environ 20 millions d'euros). Exit Bordeaux et même Paris puisque c'est l'agence parisienne Marcel (Publicis Groupe) qui, jusqu'ici, gérait la communication à l'international de l'institution bordelaise.

Ces pertes de budgets nourissent nombre de regrets et plaintes du landerneau publicitaire. «C'est lié à une mauvaise connaissance de ce que nous pouvons apporter, nous, agences locales», pardonne sans excuser Maryse Bernard, directrice générale de Citron pressé, une des agences-conseils les plus dynamiques de la place bordelaise (1,9 million d'euros de chiffre d'affaires pour 11 salariés). Le Toulousain Jean-Christophe Giesbert, président-fondateur de Giesbert & Associés (800 000 euros de chiffre d'affaires pour 4 salariés en 2012), estime que «les agences locales n'ont pas d'offres suffisamment construites pour répondre à l'approche internationale du secteur aéronautique par exemple».

A l'affût de tous les contrats

Face à cette incapacité à séduire les deux grands acteurs économiques locaux, l'agacement pointe davantage en Gironde qu'en Haute-Garonne, à rebours des vieux clichés opposant Toulouse la rebelle (447 000 habitants) à Bordeaux la bourgeoise (239 000 habitants). Ces réactions contrastées témoignent d'une santé disparate. La vitalité de la communication bordelaise (plus de cent agences de publicité à Bordeaux) tranche avec la morosité de sa voisine toulousaine (une trentaine d'agences seulement) où la société de publicité Rivières & Co a fermé ses portes le 23 décembre dernier, entraînant dans sa chute une quinzaine de salariés.

Une fin d'année 2013 marquée également par la concentration du marché toulousain puisque l'agence de conseil en stratégie 31ème Arrondissement (1,8 million d'euros de chiffre d'affaires pour 10 salariés) s'est rapprochée du groupe RSP (12,7 millions d'euros de CA et 47 salariés). Enfin, Magnetic Consultant a été rachetée par Hima 360 alors qu'on prédit aux agences Icom et Hôtel République un avenir compliqué pour 2014. De son côté, Anouk Déqué en a vu d'autres, même si elle ne nie pas avoir traversé des années très difficiles. En vingt-cinq ans, Anouk Déqué Communication a prospéré et sauvegardé son indépendance, même s'il lui arrive de s'adosser ponctuellement à des agences locales comme Verywell (ex-Well Communication) ou à des partenaires barcelonnais, dont Anouk Déqué tait jalousement l'identité. Mais, en 2011, cette pionnière de la communication dans la ville rose a du se délester d'un quart de son effectif, désormais composé de douze personnes. «Depuis l'automne 2013, je sens un frémissement plus positif. On a décroché quelques contrats pluri-annuels, notamment avec l'agence de l'eau Adour-Garonne», indique Anouk Déqué, par ailleurs présidente de la CGPME de la Haute-Garonne.

Dans ce contexte, il n'existe plus de petits contrats, ni même de prés carrés. Ainsi, Toulouse bruisse de luttes acharnées pour ravir la communication de l'emblématique Stade Toulousain au groupe A la une, représentant pour le Sud-Ouest du groupe Territoires Conseil (implanté dans sept villes en France), dont le contrat expire en juin prochain. Cette agence toulousaine a été créée en 1994 par l'ancien joueur du Stade Didier Lacroix, un homme dur à contrer, mais le challenge semble pourtant intéresser du monde. Il faut dire que la crise économique œuvrant, à Toulouse comme à Bordeaux, les budgets se sont resserrés et les contrats se sont écourtés. Une perte de visibilité et de confort qui semble avoir été vécue plus cruellement en Haute-Garonne qu'en Gironde.

Cette différence s'expliquerait par «un marché plus sûr à Bordeaux alors que Toulouse est davantage une terre de cow-boys de la communication», analyse Olivier Ossard, actuel coprésident de Publicis Activ Bordeaux. Et le communicant bordelais de poursuivre en dressant un portrait schématique de «Toulousains commerçants» à la parole facile, mais moins fiable que celle de «Bordelais rompus au négoce».

Innovation et réorganisation

Face à cette fragilité du marché dans le Sud-Ouest, Olivier Ossard vante «l'image de sérieux de Publicis», lui conférant un statut de valeur-refuge. «Notre positionnement alliant puissance de la marque et proximité territoriale nous permet de tirer notre épingle du jeu, mais l'on ne peut se réjouir de l'état actuel du marché. Pour aller bien, il faut que le secteur aille bien. Or, même à Bordeaux, ce n'est pas le cas», reconnaît-il.

Dans le Sud-Ouest, une seule structure de communication a une double implantation à Bordeaux et à Toulouse, il s'agit de TBWA Compact (25 salariés, 12 dans chaque ville et un communicant détaché à Paris, où la société a ouvert un bureau). Pour Thierry Passemard, président de l'agence, les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées souffrent d'un triple handicap: «Un PIB par habitant qui n'est pas exceptionnel [en 2011, l'Aquitaine occupait le 6e rang national et Midi-Pyrénées le 8e], des économies peu diversifiées et des secteurs dominants qui communiquent peu.»

Comme ses concurrents régionaux, TBWA Compact s'efforce donc de démarcher des annonceurs plus modestes (PME et TPE). Nombre d'agences du Sud-Ouest vont chercher des contrats loin de leurs bases. Ainsi, la moitié de l'activité de TBWA Compact se fait hors Aquitaine et Midi-Pyrénées. La bordelaise Citron pressé en réalise 20% avec des entreprises parisiennes, le reste étant réparti à 60% pour l'Aquitaine et 20% pour Midi-Pyrénées. Même part hors-locale (20%) pour l'agence toulousaine Anouk Déqué Communication, le reste se partageant entre Midi-Pyrénées (40%) et Aquitaine/Languedoc-Roussillon (40%).

À Bordeaux comme à Toulouse, le contexte défavorable pousse chaque agence à se réinventer et réorganiser. «On est là pour vendre de l'intelligence, qu'elle soit créatrice, stratégique ou de moyens, alors battons-nous là-dessus», glisse Maryse Bernard, de Citron pressé. Anouk Déqué, elle, a innové en ce sens avec son Social Media Lab, «un outil qui permet au client de suivre au jour le jour son positionnement sur les réseaux sociaux et dans les médias, sur le territoire et face à ses concurrents».

L'innovation s'appuyant sur des talents, Bordeaux comme Toulouse peuvent espérer profiter de l'attractivité de leur région. À Bordeaux, notamment, il existe dans le marché de la communication un décalage très important entre demande et offre. Les agences ont donc la possibilité d'effectuer des recrutements très qualitatifs, d'autant plus que, selon Thierry Passemard, de TBWA Compact, «l'avènement du numérique a atténué le parisianisme de la communication». Un sentiment qui annonce peut-être des jours meilleurs pour le secteur dans le Sud-Ouest.

 

(encadré)

 

Chiffres clés

Midi-Pyrénées

Club de la com': 340 adhérents (31% en entreprises, 22% dans des organisations, 20% en agences, 17% indépendants et 10% demandeurs d'emploi)

Aquitaine
Apacom (Association des professionnels aquitains de la communication): 600 adhérents (50% en entreprises, institutions ou associations; 19% indépendants, 17% en agence, 14% «communicants associés», à savoir annonceurs, journalistes, etc.)

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