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Chaînes sur Internet, réseaux sociaux, arrivée de Netflix... Le digital n'en finit pas de bouleverser l'activité des groupes audiovisuels. En réaction, ces derniers montent au créneau et affinent leurs stratégies en déployant de nouvelles offres.

La question n'est plus de savoir s'il viendra ou pas, mais plutôt quand et comment. Une chose est sûre, l'arrivée, prévue pour à l'automne 2014, du service de vidéo à la demande par abonnement à Netflix suscite de vives inquiétudes en France. En témoignent les discussions entre l'Élysée, le gouvernement et les représentants du groupe américain, puis le courrier des patrons de TF1, Canal+ et M6 adressé en commun le 11 février dernier à la ministre de la Communication, Aurélie Filippetti, dans lequel ils s'inquiètent des « bouleversements provoqués par l'arrivée, dans la télévision, de nouveaux acteurs [...] tels que Google, Apple, Netflix, Amazon et Facebook ». Des concurrents qui s'appuient, expliquent-ils, «sur des cadres législatifs et réglementaires plus souples» que ceux en vigueur en France en pratiquant «une optimisation fiscale exorbitante». Leur souhait : rédiger des «propositions d'urgence» destinées à réformer l'audiovisuel français.

Pour les concurrents directs de Netflix - Canalplay Infinity, FilmoTV, VidéoFutur, etc. -, la menace réside d'abord dans la force de frappe financière constituée par ses 44 millions d'abonnés. Son prix attractif leur permet d'accéder à un large catalogue de fictions, avec quelques séries originales déjà connues, dont la multi-récompensée House of Cards. Mais, plus que les services de vidéo à la demande par abonnement dits SVOD, dont l'activité en France ne touche que 3% des internautes, Netflix pourrait, en vampirisant des abonnés, affaiblir le modèle de la télévision payante.

Un hulu à la Française?

Quid de la télévision gratuite ? Valéry Gerfaud, directeur général de M6 Web, estime qu'elle « sera peu impactée à court terme ». Sauf que l'américain prévoit de dépenser 6,3 milliards de dollars dans les achats de droits sur les trois prochaines années. Que faire ? Pour contrer Netflix et Youtube, le directeur délégué de e-TF1, Jean-François Mulliez, a, le 4 février dernier, appelé  ses confrères à s'allier au sein d'un « Hulu à la française », imitant le service de vidéos sur l'internet ouvert dit Over the top ou OTT lancé par les studios et chaînes américaines NBC, Fox, ABC et CBS. « Les chaînes françaises y ont déjà travaillé sans parvenir à un accord, rappelle Philippe Bailly, président de NPA Conseil. Elles devraient d'abord verrouiller les droits de leurs programmes les plus attractifs et mieux valoriser leur offre payante. »

Quoiqu'il en soit, TF1 ne semble pas disposé à proposer ses vidéos sur Youtube. Le groupe préfère encore s'appuyer sur sa plate-forme maison, Wat. « Si on va sur You Tube, il faudra y laisser 50% de chiffre d'affaires. On travaille à perte », a justifié Jean-François Mulliez. Canal+, lui, n'a pas hésité. En décembre 2013, le groupe a lancé une vingtaine de canaux sur You Tube à partir de ses programmes phares. « C'est un outil d'exposition et de notoriété, qui a permis d'atteindre 40 millions de vidéos vues et d'améliorer de +15% l'audience de nos sites en décembre », annonce Fabienne Fourquet, directrice des nouveaux contenus.

Début 2014, Canal + a confié à Manuel Alduy, patron du cinéma depuis 2005, la direction d'une nouvelle division, Canal OTT. Sa mission : déployer des offres payantes via l'Internet ouvert et développer du réseau multichaîne sur le Web. « Depuis trois ans, nos offres sont tous supports, souligne Manuel Alduy. Car nous considérons déjà le Web comme un mode de distribution naturel. » Canal+ réaffirme ainsi sa présence dans un univers en ébullition. À côté de Netflix, Amazon a également lancé son SVOD Prime. Et il travaille, comme Google, à la diffusion de chaînes concurrentes au câble et au satellite.

 

Qu'en est-il chez M6 ? La chaîne a adopté pour un positionnement entre-deux : « Ceux qui se développent sur ou Tube obéissent à des logiques de contenu, de cibles différentes de celles de la télévision », explique Valéry Gerfaud. Une stratégie complémentaire donc qui porte ses fruits. Des vidéos produites spécifiquement par M6 et commercialisées par sa régie, Golden Moustache, font un carton avec ses quelque 900 000 abonnés. Résultat : M6 Web doit aujourd'hui gérer la forte demande des annonceurs séduits par les possibilités que ce support offre en brand content.

«Etre là où les gens sont»

« D'une manière générale, les services OTT représentent une opportunité pour les groupes français, se réjouit Gilles Fontaine, DGA de l'Idate. Ils permettent des développements à l'international sans avoir à demander de fréquence aux États ou un canal de distribution aux intermédiaires que sont les télécoms et opérateurs cab-sat.» Pour cet expert médias, l'avenir des groupes audiovisuels passe par une activité sur le payant comme sur le gratuit, «indispensable pour aller chercher des revenus et maîtriser l'exploitation des productions ».

Les chaînes privées qui ont opté pour cette stratégie cherchent aujourd'hui la meilleure valorisation de leurs espaces publicitaires sur le Web. Pour d'autres, tel le service public, il s'agit tout simplement « d'être là où les gens sont », comme le souligne Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions en évoquant les 30 millions de visiteurs de You Tube par mois. Mais « avec le souci de maîtriser la chaîne des droits », précise Gilles Freissinier. Des éditeurs en pleine expansion comme BFMTV partagent cette position. « Nous sommes dans une logique multi-plates-formes et pas seulement sur nos sites, argue Guillaume Dubois, DG de la chaîne. Mais à une condition : avoir la main sur la commercialisation ou une rémunération satisfaisante. »

L'heure de la télévision sociale

Avec déjà 39 millions de vidéos vues en janvier - dont 25% sur You Tube -, son objectif est de devenir à terme leader de l'information sur le Web. Et peut-être sur la télévision connectée, autre chantier numérique que doivent appréhender les groupes audiovisuels. Annoncée depuis quelques années, elle tarde à décoller avec « la complexité de ses offres et sa remise en cause par l'explosion du multiécran », analyse Philippe Bailly. Cependant, si chacun observe que ce sont les usages du public qui dictent leur stratégie, tous s'accordent à dire que la situation peut très vite changer.

 En attendant, les acteurs de l'audiovisuel n'ont d'autre choix que de multiplier les initiatives sur les réseaux sociaux, autres leaders du digital bousculant leur secteur. Au point que l'année 2013 a été celle de la « télévision sociale », avec une explosion de +164% sur un an du nombre de tweets liés aux émissions, selon Mesagraph. À commencer par les NRJ Music Awards (89,8 millions de messages), l'élection de Miss France et le match France-Ukraine. Des divertissements, en prime time et sur TF1 donc, la Une devançant NRJ12 et Canal+. Selon une étude Omnicom, « 42% des 15-60 ans discutent des programmes télévisés sur les réseaux sociaux ».

Pour attirer ces audiences, TF1 et M6 ont créé, fin 2012, des dispositifs à base d'applications proposant des bonus ou des jeux sur les deuxièmes écrans. « Il nous faut réfléchir systématiquement à un dispositif digital intégrant les vidéos vues sur les sites et l'empreinte sur les réseaux sociaux », explique Olivier Abecassis, DG d'e-TF1. Les annonceurs peuvent ainsi investir dans des opérations sur les différents canaux. Les chaînes publiques profitent également des possibilités du multiécran dans les foyers. « La question se pose à chaque création de nouveau format, mais il faut que le sujet s'y prête et que l'attention du public reste sur l'antenne », modère Gilles Freissinier, directeur du pôle Web d'Arte.

 

Certains opérateurs vont déjà plus loin. Ils se lancent « dans une nouvelle génération de programmes plaçant le digital au cœur de l'offre éditoriale », signale Valéry Gerfaud. M6 prépare ainsi l'adaptation de Rising Star et de Qu'est-ce que je sais vraiment, deux formats où les internautes interagissent directement sur l'émission. D8 a, elle, diffusé en décembre une série courte conçue la veille pour le lendemain à partir des tweets des téléspectateurs. « L'enjeu de la social TV est de comprendre l'audience, de l'engager et d'en faire partie intégrante du programme », résumait Laurent Frisch de France Télévisions Editions numériques lors d'une table ronde sur le sujet début février. Transformer les internautes en télespectateurs actifs, c'est à cette condition que les opérateurs de la télévision pourront résister au Web.

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