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La protection de la vie privée devient un sujet phare pour les internautes de plus en plus réticents à communiquer leurs informations personnelles. Téléphones cryptés, coach de données, applications top secrètes... un nouveau marché voit le jour.

Seuls 35% des internautes acceptent de communiquer en ligne des informations sur leur vie personnelle contre 49% en 2009. Ces résultats issus du baromètre sur la confiance des Français dans le numérique réalisé en 2013 par la Caisse des dépôts et consignations et l'ACSEL, l'association de l'économie numérique, témoignent d'une nouvelle prise de conscience du consommateur sur le sujet des données personnelles. Un des effets de l'affaire Edward Snowden ?

L'informaticien, en révélant l'accès direct des services secrets américain aux données d'Apple, Google ou Yahoo!, a contribué à éclairer l'opinion publique sur les enjeux liés à la protection de la vie privée. Depuis, le sujet fait régulièrement l'objet de sondage ou d'articles. En février 2014, c'est une étude de CSA pour Orange qui montrait que 85% des Français sont préoccupés par la question des données personnelles sur Internet. La surveillance de l'État, le piratage d'informations, mais aussi l'exploitation commerciale des données inquiètent aujourd'hui le consommateur-citoyen.

« La vie privée, c'est fini»

Quel peut être l'impact de l'érosion de la confiance des internautes sur l'empire des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) et plus largement sur les marques ? « La confiance est le socle des modèles économiques du numérique », observe Daniel Kaplan, le délégué général de la Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing). Sans confiance, plus de confidences, donc plus de données à monnayer. Ébranler la confiance est d'ailleurs l'un des objectifs de la Cnil. Certes, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a infligé une amende de 150 000 euros à Google pour manquement à la loi informatique et liberté, mais elle a surtout enjoint le moteur de recherche à afficher, début janvier, la punition au tableau blanc de sa page d'accueil. De quoi toucher un bien plus précieux : son image et sa réputation.

En 2010, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, semble être ainsi allé un peu vite en besogne en déclarant : « La vie privée, c'est fini ». Le succès des réseaux sociaux fondés sur l'anonymat en est la preuve. De Snapchat, dont les vidéos s'autodétruisent en quelques secondes, qu'il a souhaité acquérir en 2013, à Whisper, qui permet de confier ses secrets sans se dévoiler en passant par ask.fm, qui propose de poser des questions anonymes à ses contacts, c'est une nouvelle concurrence qui voit le jour sur fond d'évolution juridique. Un projet de réglement européen devant être adopté cette année prévoit en effet de mieux protéger le consommateur-citoyen en instaurant notamment un «droit à l'oubli numérique». En attendant, le marché s'organise.

Des appels sécurisés

Pour échapper aux grandes oreilles des gouvernements et aux cyber-attaques, les citoyens peuvent d'ores et déjà acquérir des portables que James Bond n'aurait pas reniés, comme le Blackphone, conçu par la firme américaine Silent Circle et l'espagnol Geeksphone. Dévoilé en février à Barcelone au Mobile World Congress, il promet à son propriétaire des communications sécurisées. « Vous pourrez toujours aller sur Google et surfer sur Internet mais Google ne sait pas qui vous êtes », a commenté Mike Janke, le patron de Silent Circle.

Autre smatphone conçu pour assurer la confidentialité des communications : le Hoox m2 de Bull, doté d'un capteur biométrique d'empreinte digitale, d'un coffre-fort électronique, et d'une système anti-intrusion.... À noter également dans cette foison d'innovations liées au top-secret, le lancement, en janvier 2014, de l'application de messagerie Confide, le Snapchat du monde de l'entreprise. Elle mise sur des textes qui s'autodétruisent avec une sécurité renforcée : les messages se lisent mot à mot en faisant glisser son doigt sur l'écran : pas de capture d'écran possible.

D'autres initiatives proposent aux internautes de reprendre le pouvoir sur leurs données. C'est le cas de Privowny. Ce logiciel fondé par l'entrepreneur français Hervé Le Jouan se présente comme un «coach de données personnelles» : il collecte toutes les traces laissées par un internaute sur les sites, notamment celles détenues par les cookies. De leur côté, la plateforme Yes Profile et l'américain DataCoup proposent aux utilisateurs de redevenir propriétaires de leur profil, afin de vendre directement leurs données personnelles à des annonceurs.

La startup française CozyCloud se positionne, quant à elle, sur le segment du « cloud personnel privé », dans le but est, là-aussi, de conserver la propriété de ses données. « Bientôt, avoir son "cloud personnel" sera aussi courant qu'avoir une tablette. Ce seront les centres de gravité de nos vies numériques, fédérant tous nos objets connectés autour de nos données », explique Benjamin André, son fondateur.

Les entreprises tentent de rassurer

Ces nouvelles offres ne peuvent laisser les entreprises indifférentes. Conscientes de la défiance croissante du consommateur, elles multiplient d'ailleurs les prises de parole sur le sujet. En novembre 2013, Stéphane Richard, PDG d'Orange, en a fait l'un des points forts du show de présentation des innovations du groupe. Bien avant le piratage des données personnelles de 800 000 clients Orange, il prenait l'engagement de garantir... leur sécurité.

Preuve que le sujet est, plus que jamais, d'actualité. Pour être reconnu «opérateur de confiance», Orange a pris d'autres engagements, comme celui d'aider les consommateurs à contrôler leurs données via un tableau de bord personnel. D'autres sociétés tirant profit du business de la donnée ont pris les devants. « Nous n'avons pas attendu les scandales pour être les plus transparents possible vis-à-vis des internautes et des annonceurs », explique-t-on chez Criteo.

Reste que le pionnier français du retargeting a cru bon de créer en 2013 le poste de responsable de la protection de la vie privée, confié à Estelle Werth. Objectif : poursuivre et améliorer la communication auprès des consommateurs sur l'utilisation de leurs données. Cela va-t-il suffire ? Une étude de l'agence Adyoulike et Ifop, parue fin 2013, indique que 85% des Français ne sont pas favorables à ce que les sites Internet utilisent leurs données personnelles, même anonymes, pour proposer des publicités correspondant à leurs goûts et besoins.

« Les annonces ciblées abusant des données personnelles donnent une mauvaise image des marques », considère Julien Verdier, le dirigeant de Adyoulike, spécialisée dans le « native advertising ». Selon lui , la publicité en ligne peut prendre des formes « plus créatives, plus informatives et moins invasives, sans nécessairement recourir aux techniques de reciblage ». L'avenir est-t-il au contenu rédactionnel déguisé en publicité, le fameux brand content ? Partagé entre intérêts business, aspects juridiques et ressentis consommateurs, le dossier est loin d'être clos.

« Aujourd'hui, il faut mettre fin à l'asymétrie entre des entreprises très équipées qui collectent les données personnelles à des fins de CRM, et des consommateurs démunis qui n'en retirent rien », tranche Daniel Kaplan. De nouvelles notions apparaissent, comme le Vendor Relationship Management ou VRM. Avec lui, c'est le client qui gère sa relation avec les marques, choisit ou non d'être abordé par telle ou telle enseigne. À l'abri de l'intrusion publicitaire, il peut lancer un appel d'offre pour trouver l'offre télécom qui répond le mieux à ses attentes. De nouvelles approaches sont à inventer.
 

Quid des objets connectés ?

« Un nombre croissant d'internautes veulent se réapproprier leurs données dans un but qui n'est pas uniquement monétaire », observe Louise Merzeau, maître de conférence à l'université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense. Avec les objets connectés, ils seront servis. Aveux eux, ils vont pourvoir mesurer leur santé, ou leur alimentation pour les améliorer. Ces derniers soulèvent plus d'enthousiasme que de crainte, selon une étude signée Havas Media et CSA parue début 2014. Certes, les utilisateurs craignent qu'ils portent atteinte au respect de leur vie privée, mais ces réticences ne sont pas un obstacle : ces objets vont avant tout leur faciliter la vie.

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