Dossier numérique
La déferlante des objets connectés donne naissance à une myriade de start-up, de produits high-tech, d'usages et services. Et si les marques avaient (déjà) un train de retard?

Article initialement publié en mars 2014 dans le cadre du dossier sur les objets connectés.

 

Nouvelle révolution industrielle, mutation des usages, nouvelle ère de l'Internet mobile après celle des smartphones… Les superlatifs ne manquent pas pour cerner ce phénomène, industriel, économique et bientôt de société: les objets connectés. L'année 2014 a commencé de manière tonitruante avec le montant record déboursé par Google, 2,3 milliards de dollars, pour s'offrir Nest Labs, start-up à l'origine d'un thermostat connecté.

 

Début mars, Intel s'est payé un autre spécialiste des objets connectés, Basis, pour 100 millions de dollars. Lors du Consumer Electronic Show (CES), qui s'est déroulé début janvier à Las Vegas, une poignée de start-up françaises spécialisées dans cet univers si convoité ont bénéficié d'un coup de projecteur médiatique. Plusieurs sont reparties avec des récompenses, telles Netatmo, Medissimo, Beewi ou encore Sen.se, nouvelle start-up de Rafi Haladjian, le père du lapin Nabaztag, précurseur en la matière.

 

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Les objets connectés sont des petits «devices» (appareils, périphériques), pour certains portés à même le corps, munis de capteurs qui communiquent à distance avec un smartphone jouant le rôle de «hub» (unité centrale). Ces usages naissants explosent avec la généralisation des smartphones et de la géolocalisation mobile. Le prix des composants miniaturisés (capteurs, processeurs, etc.) a largement diminué, ouvrant la voie à l'industrialisation d'objets connectés. Conjugué à l'essor du financement participatif sur Internet («crowdfunding»), sur des plates-formes telles que Kickstarter et Ulule, des start-up ont pu lancer des projets d'envergure sans capital initial.

 

Quelques agences avancent leurs pions

 

Déjà, plusieurs études et projections révèlent cet engouement autour des objets connectés. L'institut GFK prévoit un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros en 2015. En 2020, il y aura 50 à 80 milliards de ces objets en circulation dans le monde, selon les estimations de Gartner et de l'Idate, soit 6,5 par personne.

 

D'après un sondage réalisé par Médiamétrie en février 2014, 76,8% des internautes ont déjà entendu parler des objets connectés, 40,4% citant les «wearables», ces objets portés à même le corps, 12,6% la domotique et 9% les lunettes. Mieux, d'après un sondage mené par l'institut CSA pour Havas Media France en janvier dernier, 57% des internautes pensent que ces objets se généraliseront d'ici à cinq ans, car ils sont synonymes de progrès (75%) et facilitent la vie (71%). En tête du palmarès arrive la voiture, plébiscitée par 61% des internautes interrogés, suivie de la montre (49%) et du réfrigérateur (48%), puis des lunettes et du pèse-personne (38%).

 

Une myriade de start-up se sont installées sur ce nouveau marché. Avec pour point d'entrée le sport et la santé, un des premiers segments marketing des objets connectés. A l'instar des américaines Fitbit et Jawbone, connues pour leurs bracelets connectés de coaching, ou de la française Withings, qui a levé 45 millions d'euros en juillet 2013. Quant aux grandes marques, beaucoup sont absentes de cet univers en pleine ébullition. A quelques exceptions notables, comme Nike, qui a parié dès 2012 sur le «wearable tech» pour le sport, avec des baskets dotées de la technologie Nike+, l'appli Training, puis son bracelet connecté. Des géants de l'électronique grand public (Samsung, Sony, Huawei, LG...) s'y sont essayés, notamment avec les «smartwatchs» (montres intelligentes). Mais dans les secteurs prometteurs (hors automobile toutefois), comme l'agroalimentaire, le textile ou la domotique, elles sont encore peu nombreuses.

 

Parallèlement, une poignée d'agences avancent leurs pions, quitte à jouer les intermédiaires avec des marques. Les agences digitales d'abord, comme Nurun avec son Lab à San Francisco, qui lui sert de cellule de veille et qui planche, via des prototypes, sur l'utilisation des objets connectés, ainsi les Google Glass. «Nous imaginons des usages concrets, par exemple dans la relation vendeur-acheteur», explique Jean-Pascal Mathieu, directeur de l'innovation. «Ce sera souvent géré par les départements mobiles, qui créaient déjà les applis, car ces objets sont pilotés ou reliés avec le mobile», poursuit-il. BETC Digital, pour sa part, a élaboré avec la start-up Joshfire la Smartdrop d'Evian, un boîtier-magnet connecté en forme de goutte d'eau qui permettra aux consommateurs de commander automatiquement des bouteilles, annoncée pour courant 2014.

 

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Valtech, agence de marketing technologique, planche pour sa part sur «les bons angles de services qu'une marque peut proposer via un objet connecté. Ainsi que sur des plates-formes pour exploiter les datas récoltées», explique Stéphane Zibi, directeur développement et innovation, arrivé en septembre dernier pour développer cette activité. Les secteurs prospectés? «Des sociétés d'assurance, des marques de luxe et de spiritueux, un opticien…», énumère-t-il. D'autres agences se sont spécialisées dans le segment des applications pour Google Glass. Ainsi Faber Novel, agence-conseil en numérique et digital, qui a lancé son Google Glass Lab en juillet 2013, ou Niji, spécialisée dans la convergence numérique, forte de ses 150 experts en systèmes d'exploitation mobiles et de ses 70 designers.

 

Cependant, des agences plus traditionnelles s'intéressent aussi aux objets connectés. Celles du design, notamment, bien que timidement encore. «On essaie d'intégrer les objets connectés dans la stratégie de communication “social” des marques», explique Gilles Deléris, fondateur et directeur de création de W & Cie. Interbrand Paris, elle, qui vient de décrocher EDF parmi ses clients, planche sur «comment intégrer leur compteur électrique connecté Linky dans l'ensemble de la chaîne d'offre: le client aura toujours besoin de ce point d'accès. On doit réfléchir au rôle de la marque», précise Bertrand Chovet, son directeur général. Saguez & Partners, de son côté, a un moment travaillé sur des projets communs avec Rafi Haladjian, interrompus faute de moyens. «On en est à la préhistoire des objets connectés pour l'instant», souligne Bruno Auret, directeur de Raymond Interactive, filiale spécialisée dans la digitalisation des points de vente. Pour autant, l'agence a déjà embauché des «creative technologists», ces veilleurs qui doivent détecter l'apparition de nouveaux objets connectés. Enfin, Fullsix, agence marketing, héberge au sein de son incubateur Fullbooster une start-up spécialisée dans les objets connectés, Kairos.

 

Certaines agences médias lorgnent aussi du côté des objets connectés. C'est le cas d'Havas Media. «Historiquement, la raison d'être des nos agences est de capturer l'ensemble des points de contact entre une marque et un consommateur. Les objets connectés sont une nouvelle source de données, qui vont nous renseigner sur le profil et le besoin d'une cible à l'instant T. Ensuite, il faut savoir faire parler ces données», souligne Raphaël de Andréis, PDG d'Havas Media France. L'agence s'est d'ailleurs dotée, depuis début 2014, de sa propre direction de l'innovation et du planning stratégique.

 

Révision du «business model» et recherche de la «killer application»

 

Autre enjeu, la communication autour de ce nouveau secteur passera par ses distributeurs. Ainsi, les réseaux Fnac et Décathlon proposent déjà des objets connectés, de même qu'Amazon. Mais des boutiques spécialisées vont apparaître. A partir de fin mars, dix-sept boutiques Lick (conçues par l'agence de design retail Workshop), nouvelle enseigne spécialisée en objets connectés vont ouvrir. Pour cela, Stéphane Bohbot, le patron et fondateur d'Innov 8, maison mère de Lick, a racheté les dix-sept plus grands points de vente de Phone House, le distributeur de mobiles qui a cessé son activité. La première ouverture, campagne publicitaire à l'appui (agence Betwin), aura lieu dans le centre commercial Les Quatre Temps de La Défense.

 

Mais le processus est long. «Les premiers objets connectés devraient être commercialisés d'ici trois ans. Il y a beaucoup de projets, mais les marques sont frileuses», estime Stéphane Zibi, de Valtech. «Nous travaillons à l'horizon 2018», confirme Adrien Delepelaire, «project manager» chez Faber Novel. Une des difficultés étant de coordonner des équipes très diverses. Chez BETC Digital, des ingénieurs, créatifs, planneurs et creative technologists ont planché ensemble sur la Smart Drop. «C'est nouveau pour nous, faire travailler plusieurs métiers ensemble: bureaux d'études, constructeurs, créatifs…  Et c'est un véritable projet industriel. Ensuite, seuls les objets connectés vraiment utiles vont subsister», souligne Ivan Beczkowski, président de l'agence.

 

L'enjeu pour les marques? «Revoir leurs vieux produits et leur “business model”. Les objets connectés vont avoir un impact sur leur processus de management, de production… Alors qu'il y avait jusqu'à présent un cloisonnement chez les acteurs traditionnels entre recherche et développement, marketing…», estime Vincent Vella, cofondateur et directeur de la création de l'agence-conseil en digital Nedd. Et de citer l'exemple de Bosh, qui a créé Bosh Software Innovation, un département consacré à la création de systèmes d'exploitation et de services embarqués. Autre enjeu pour les marques, imaginer la «killer application» liée à leur univers et offrant un véritable nouveau service. Mais les objets connectés ont bien une finalité marketing: «Ils permettront à une marque d'être en permanence connectée à son client et d'intervenir à certaines étapes du parcours de celui-ci», souligne Stéphane Zibi.

 

Un nouvel outil marketing donc, avec pour filon la récolte de datas toujours plus fines. «L'objet connecté permettra de récolter des données que l'on pourra analyser afin de mieux connaître l'utilisateur, ses comportements», résume Hugues Meili, cofondateur et PDG de Niji. Le sujet est crucial: le G29, groupe de travail européen sur la protection des données, s'apprête à rendre un avis à propos de l'Internet des objets et a demandé des précisions à Google concernant la récolte de datas issues de ses lunettes. «Nous restons vigilants sur ce thème: les utilisateurs doivent connaître au préalable le traitement qui sera fait de leurs données», souligne Gwendal Le Grand, responsable de l'expertise informatique à la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés).

 
Glossaire

Internet des objets. L'IOT («Internet of things») est l'écosystème des objets connectés, appareils munis de capteurs communiquant à distance avec un smartphone. Des applications mobiles permettent au mobinaute de recevoir les données et informations depuis son objet connecté.

Wereables. Objets connectés portés à même le corps, tels les bracelets, montres et autres lunettes.
Capteurs. Composants électromagnétiques sensibles (à la vitesse, la température…) qui permettent de collecter ou de consulter des informations. Leur taille toujours plus réduite permet de les intégrer dans de multiples supports: bracelets, bijoux, tissus, etc.
Quantified self. L'«automesure de soi» permet à chacun de mesurer ses données personnelles, de les analyser et de les partager sur les réseaux sociaux grâce à une nouvelle génération d'appareils connectés, de capteurs et d'applis mobiles.

 

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