Les imprimantes 3D permettent de fabriquer presque tous les objets. Entre personnalisation et production à petite échelle, les promesses marketing sont énormes. Future révolution industrielle ou gadget?

Article initialement publié en avril 2014

 

Des curieux s'y pressent pour observer coques pour Iphone, tasses et figurines posées à côté d'une étrange imprimante. Le postier-conseiller explique le concept aux visiteurs. Depuis décembre dernier, trois agences de La Poste à Paris (Bonne-Nouvelle et La Boétie) et Boulogne-Billancourt expérimentent un service d'impression en 3D.

 

Un des nouveaux services publics de demain? En guise d'imprimante, il s'agit plutôt d'une machine à fabriquer des objets, grâce à un procédé à injection à plus de 90°C couche par couche, à la manière d'une imprimante classique. Des couches qui peuvent être réalisées en plastique, résine, céramique et même en métal ou en argent.

 

Ces machines «à coudre» de l'ère technologique suscitent un certain engouement. Un magasin Auchan à Aéroville (Val-d'Oise) propose aussi ce type de service d'impression. Orange et Nokia ont lancé leur propre service pour imprimer des coques pour smartphones et tablettes. La pionnière française Sculpteo produit mugs, bagues et figurines pour Ebay et Cdiscount. Des opération avant tout d'image, mais qui familiarisent le grand public à cette technologie.

 

 

Une imprimante accessible à tous

 

Et déjà, les prix des imprimantes 3D grand public commencent à baisser: 1 500 euros pour le modèle Cube, commercialisé par l'américain 3D Systems, 2 150 euros pour le Replicator 2 de Makerbot. Le constructeur HP annoncera en juin son entrée sur ce marché. «On est parvenus à une étape de démocratisation, où l'imprimante 3D personnelle devient accessible aux petites entreprises et aux particuliers», salue Jean-Louis Frechin, directeur de l'agence No Design et directeur de l'innovation et de la prospective à l'ENSCI-Les Ateliers.

 

Sur ce marché embryonnaire, les livraisons d'imprimantes 3D pour entreprises avoisineraient quelque 56 500 unités (dont 24 700 pour l'Europe de l'Ouest) cette année, d'après l'institut Gartner. Les revenus de cette industrie auraient généré 2,2 milliards de dollars en 2012 et  atteindraient 6 milliards en 2016, selon Wohlers Associates.

 

A cela s'ajoutent les «fab labs» («fabrication laboratory»), ateliers ouverts au public avec des machines à disposition: imprimantes 3D, découpeuses laser, fraiseuses, etc. Qui permettent d'y concevoir un prototype, voire d'entamer une fabrication en série. La France en compte d'ores et déjà une cinquantaine. En décembre 2013, Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'Economie numérique, a retenu quatorze dossiers, sélectionnés suite à un appel à projets.

 

Avant de commencer à toucher le grand public, l'impression 3D a été largement préemptée par le secteur industriel pour la mise au point de prototypes, puis de produits finis. «La possibilité de fabriquer des pièces en plastique ou en métal, en petites séries, sans usine et sans moule, a changé les choses pour certaines industries, comme celle du “hardware” ou de l'aéronautique, à commencer par Airbus et Boeing», souligne Clément Moreau, fondateur de Sculpteo. Architectes, dentistes, chirurgiens, designers, fabricants d'objets publicitaires et de packagings personnalisés y recourent également.

 

Une transformation qui touche tous les secteurs

 

Aujourd'hui, les secteurs recourant à l'impression 3D se diversifient. Ses avantages? Concevoir des objets personnalisés, en petite série, «sans coûts de stockage puisque l'on produit au fur et à mesure des commandes», souligne Alexis Choron, cofondateur de la société 3Biggg.com et du site kidart 3D. La vogue du DIY («Do it yourself»), propulsée par des communautés de «makers» qui échangent sur Internet, comme l'expliquait Chris Anderson dans Makers (éditions Pearson), n'y est pas étrangère. La première Maker Fair (Foire des makers) française aura lieu à Paris les 21 et 22 juin.

 

Désormais, les applications touchant directement le grand public commencent à fleurir, par exemple chez les opticiens, tel Lissac, ou dans la mode, comme la styliste Iris Van Herpen qui a présenté lors de la dernière Fashion Week de Paris, en mars, des créations entièrement réalisées grâce à une imprimante 3D. Le secteur alimentaire n'y échappe pas. Au vu des innovations présentées aux grands-messes high-tech, l'alimentation serait un terrain de jeu de choix pour l'impression 3D. Pizzas, cakes et autres confiseries prennent ainsi forme sous les buses de ces imprimantes nouvelle génération.

 

Les travaux du Creative Machines Lab, entité consacrée à l'innovation de l'université de Cornell, dans la ville d'Ithaca (Etats-Unis), ont mené à l'impression de divers aliments aux formes fantaisistes. Dans la description de leur laboratoire, les chercheurs associés décrivent l'impression 3D comme la solution pour «offrir de nouvelles capacités artistiques aux acteurs de la gastronomie, mais aussi étendre les capacités de personnalisation de masse des industriels». Barilla et Hersheys (une marque américaine de chocolats) ont ainsi noué des partenariats avec des spécialistes de l'impression 3D pour développer de nouvelles opportunités business. Machine et «cartouches» de pâtes fraîches à destination des restaurateurs et nouvel outil industriel sont ainsi au menu.

 

Pour Edouard Malbois, fondateur de la société Enivrance, spécialisée dans le design alimentaire, cette technologie est intéressante «pour injecter plus de transparence dans les process industriels». Mais, selon lui, peu de chances en revanche que le grand public s'empare massivement de cette technologie puisque «le naturel est tout puissant dans l'alimentaire, et tout ce qui vise à apporter de la technologie – comme la cuisine moléculaire – finit par être rejeté». Sans compter que les marques devront éviter de trop favoriser le «do it yourself» afin de ne pas pénaliser leurs propres produits. A moins de jouer la «carte Nespresso» en créant leur propre écosystème, avec des machines et des matières premières maison.

 

Quid de la propriété intellectuelle?

 

Pour l'heure, cette industrie naissante suscite plutôt la méfiance, suite à des cas de contrefaçon et d'atteinte à la propriété intellectuelle. Un syndrome qu'ont bien connu la musique et le cinéma avec les débuts du «peer to peer». Car l'ADN de l'impression 3D, côté «geeks», repose bien sur l'échange libre de fichiers en ligne. A la base, pour concevoir un objet en 3D, soit on produit un schéma sur son ordinateur avec un logiciel de dessin en 3D, soit on télécharge sur Internet des modèles à reproduire. Sur nombre de sites Web, tels Thingiverse, Sculpteo, Shapeways, Sketchfab, ou encore Cults3D, les «makers» s'échangent des plans prêts à être imprimés. Première concernée, l'industrie du jouet. Sur ses quelque 15 000 fichiers, Thingiverse met ainsi à disposition des petites briques Lego ou des figurines Star Wars.

 

«Comme pour toute contrefaçon, nous sommes attentifs. Il ne faut pas qu'il y ait confusion pour le consommateur dès que la marque Lego est présente sur un produit à des fins commerciales», souligne Stéphane Knapp, directeur général de Lego France. Mais que pourront les industriels contre les «makers» qui, demain, imprimeront les Lego chez eux? Ou des pièces de rechange de voiture et de lave-vaisselle, vendues à prix d'or?

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