Festival
Absents des jurys du 1er Lions Health organisé en juin à Cannes, les publicitaires spécialisés dans la santé, très contraints par la législations, privilégient les campagnes de sensibilisation ou les événements RP pour exprimer leur créativité.

Après Deauville, dont le festival consacré à la communication santé fêtera son quart de siècle fin novembre, le secteur aura à partir de cette année un autre grand rendez-vous, international celui-là, dès le mois de juin prochain avec les Cannes Lions Health (cf. encadré). Pour les acteurs de la création publicitiaire, «c'est une bonne chose, car plus de prix signifie plus d'exigence dans la création et donc de qualité», se réjouit Eric Phélippeau, dirigeant de By Agency Com' et président de la Fédération nationale de l'information médicale (FNIM), partenaire de l'événement normand depuis deux ans. Et préoccupé par «la progression du niveau qualitatif, sur le fond et sur la forme.»

Un sujet central également pour la délégation santé de l'AACC (Association des agences conseils en communication), qui «travaille sur une valorisation de la création, souligne son président Eric Romolli, par ailleurs président de l'agence CDM Paris. Par exemple en essayant depuis plusieurs années de faire évoluer les prix Empreintes», autre événement qui récompense les travaux de la profession, coroganisé par l'association avec le SPEPS (Syndicat de la presse et de l'édition des professions de santé) et l'UDA (Union des annonceurs).

La créativité reste un enjeu réel dans la communication santé française. Mais jusqu'ici elle s'est manifestée à l'échelle nationale. Or, pour la première manifestation d'ampleur internationale avec Cannes, aucun Français ne figure dans les jurys. Un symptôme du manque de considération pour la création hexagonale? «Les jurys sont souvent dominés par les Anglo-Saxons dans d'autres catégories», plaide Odile Finck, présidente de l'agence Action d'Eclat. «La reconnaissance est faible, car le secteur pharmaceutique est occupé par une vingtaine de groupes internationaux, dont la plupart sont basés aux Etats-Unis à l'exception de quelques Suisses, Anglais et Français, explique Alain Sivan, coprésident de TBWA Adelphi. Les marques sont globales et gérées par des réseaux internationaux, qui sont les plus représentés dans les jurys.»

La communication santé, grande oubliée

Pour ce dirigeant d'une agence membre justement d'un réseau planétaire, «cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de créativité chez les acteurs indépendants plus petits», et notamment français. Le Lions Health Festival permettra de dresser un état des lieux. «Une bonne création n'a pas de nationalité, une bonne idée doit pouvoir se décliner partout», avance Eric Phélippeau. Qui attend d'abord de Cannes «qu'il démontre l'importance de la communication santé, un peu oubliée en France».

Une situation s'expliquant en partie par la législation en vigueur, qui interdit à un pan de l'activité d'être exposé au grand public. La publicité relevant des médicaments qui sont délivrés sur prescription médicale - les produits éthiques - est réservée aux seuls médecins. «On peut parler de choses sérieuses sur un ton humoristique ou tendre, mais il est difficile de faire du storytelling en étant interdit de TV, décrit Odile Finck. Notre travail s'adresse à une cible très limitée, à laquelle il faut donner en outre pas mal de précisions.»

Les textes en vigueur obligent en effet à faire figurer de nombreuses mentions sur les produits présentés. «Impossible de sortir des études réalisées pour l'Agence du médicament permettant d'écrire les mentions légales», se plaint Eric Romilli, qui aimerait «pouvoir utiliser un bienfait secondaire d'un produit pour en faire la publicité, comme les Américains».

La publicité éthique aboutit à une vision assez caricaturale: un visuel du produit noyé dans une cascade de précisions techniques. Ou «une photo avec papy et mamie qui montrent combien ils sont heureux, ce qu'ont longtemps fait des agences», déplore Frédéric Maillard, président de F Mad, agence indépendante qui revendique une culture de la disruption.

Cette attitude peut avoir l'inconvénient de se voir retoquer ses créations par l'agence nationale sanitaire du médicament (ANSM), l'instance de contrôle a priori de la communication des laboratoires. FMad s'est déjà fait refuser des créations. Et n'hésite plus «à déposer deux campagnes pour chaque produit, affirme son fondateur. Il faut aller jusqu'au bon niveau entre acceptabilité et créativité, mais ne pas dépasser la ligne jaune.»

Vu les enjeux dans une phase de lancement, le refus par l'ANSM peut poser de sérieux problèmes aux laboratoires. Mais «plus on est contraint, plus on est créatif, estime Eric Phélippeau. Il s'agit de développer une créativité responsable, appliquée à des cadres scientifiques, réglementaires, marketing. La création peut être émotionnelle mais doit être rationnelle, car il est hors de question de faire prendre des risques aux clients!» Des annonceurs qui se montrent parfois «très timorés, préférant jouer un 12/20 plutôt que tenter le 18/20 au risque d'avoir 6/20», constate Odile Finck.

Bobo? Plus de bobo

Les médicaments en vente libre, dits produits OTC, n'inversent pas la tendance. «Ils sont confrontés à un problème de statut puisque le produit est censé ne pas rendre un service médical significatif; et économique puisque, à de rares exceptions près, ces produits réalisent un faible chiffre d'affaires et disposent de peu de moyens pour communiquer», décrypte Alain Sivan. Pour ne rien arranger, à entendre les communicants, les laboratoires n'auraient pas une culture du produit grand public. Eric Romolli résume la communication du médicament à «un schéma classique “bobo-plus de bobo” avec éventuellement une caution scientifique au milieu.» Une approche problème-solution qui «parle au consommateur et peut faire le job avec un peu d'audace», estime Eric Phélippeau.

Cette situation profite à la communication dite «environnement», qui «représente déjà les deux tiers de l'activité et bientôt les trois quarts», pronostique Odile Finck. Ce territoire où sont évoquées les pathologies, les mesures de prévention... sans citer de produit, autoriserait une plus grande créativité. «Les mécaniques utilisés sont les mêmes, nuance Eric Phélippeau. Sauf que les clients peuvent se montrer plus audacieux dans la prévention. Mais un groupe fait d'abord de la publicité environnement s'il dispose d'un produit proche du thème.» Et pour toucher un patient qui cherche de la réassurance sur le Web. «Le Dr Google challenge le médecin traitant, explique Frédéric Maillard. C'est pour cela que les laboratoires mettent davantage le patient au centre de leurs préoccupations. Et les associations de patients prennent un vrai poids, pouvant faire parfois pression pour la sortie d'un produit.» Avec la communication environnement, il est plus facile de toucher le grand public.

Dans ce secteur hyperréglementé, la créativité ne résiderait plus finalement dans l'expression publicitaire. «On sait ce qu'on ne peut pas et ne doit pas dire, analyse Odile Finck. En conséquence, des actions comme les séminaires ou via les délégués médicaux offrent davantage de possibilité.» En ce qui concerne la cible les médecins, «la créativité est plus souvent mise dans les moyens de communication, confirme Alain Silvan. Ainsi, pour réunir des généralistes autour du paracétamol avec UPSA, 80 soirées avec 10 à 20 médecins invités par leurs visiteurs médicaux sont organisés pour débattre d'e-consultation.» Nul ne sait si ce genre d'action parlera aux jurés de Cannes, mais elle semble déjà convaincre ceux qu'elle vise.

 

Cannes: l'an 1 de la création santé

L'édition 2014 du Cannes Lions Festival sera à marquer d'une pierre blanche pour la communication santé. L'événement international consacrera pour la première fois deux journées à ce secteur, les 13 et 14 juin prochain. Outre la venue d'experts de la communication et du marketing, ces 48 heures du Lions Health Festival permettront à des jurys de professionnels de décerner des prix dans trois grandes catégories: la communication santé (soumise aux réglementations sanitaires), la communication bien-être (produits non-réglementés) et le développement durable. Cela signifie que les créations santé, jugées jusqu'à l'an dernier face à des produits de secteurs moins réglementés, seront dorénavant évaluées à armes égales. Et devraient gagner en visibilité.

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