études
À l'heure du digital, les parcours d'achat des clients se diversifient et se complexifient. Pour tenter de les analyser, les études fleurissent. Elles cherchent à décrypter le comportement du client en magasin et sur le Web.

Atawad ! L’acronyme anglophone pour « anytime, anywhere, any device » résume à lui seul le défi que doivent relever les marques et les enseignes pour séduire un shopper zappeur et hyperconnecté. Les technologies lui ont donné du pouvoir. Il considère tout naturel d’accéder à la même offre sur tous les canaux. Et quand il n’est pas content, il le dit haut et fort sur les réseaux sociaux. Dans un contexte de crise et de concurrence exacerbée, pas étonnant que les études «shopper» se développent tous azimuts pour cerner au mieux ses habitudes. «Depuis un an ou deux, on nous interroge beaucoup sur le parcours client, devenu plus complexe avec le digital, témoigne Raphaël Clavé, directeur du développement chez Harris Interactive. Nous avons deux types de solutions, quali et quanti, et l’une des questions du moment est de savoir quelle place doit être laissée au déclaratif par rapport à l’observation. Le plus souvent nous mixons les outils.»

Des marketeurs qui en perdent leur latin

Garance Ferbeck, directrice du département grande conso & luxe du même cabinet d’études, évoque un récent sondage hygiène et beauté, pour lequel 1 500 personnes ont été interrogées. Conclusion: même pour un déodorant, le client, en particulier s’il est jeune, déclare s’informer de plus en plus sur Internet et ne pas exclure un achat en ligne à l’avenir alors même qu’il privilégie aujourd’hui les grandes surfaces (81 % contre 4 %).
Déconcertant shopper… Les marketeurs en perdent leur latin. «Comme tout le monde, on s’attendait à la montée en puissance de l’e-commerce au détriment des points de vente physiques. En réalité, le parcours client se digitalise mais les magasins font beaucoup mieux que résister», souligne Claire Koralewski, directrice générale de l’agence de marketing digital Fullsix.

En 2012, elle a créé l’Observatoire du Research Online Purchase Offline (Ropo), un baromètre semestriel sur cette nouvelle «manie» du consommateur qui s’informe sur Internet avant d’acheter en magasin. Au total, 7 000 personnes sont interrogées en ligne sur les visites et les achats effectués dans 45 enseignes et sur 15 sites d’e-commerce français non alimentaires au cours des trois derniers mois.

Les résultats de la troisième vague, dévoilés en mai 2014, confirment une accélération de la digitalisation des consommateurs, mais 78 % des achats se font toujours en magasin, contre 10 % en ligne et 12 % sur Internet et en magasin.

Le digital fait bouger les lignes

La part de marché des différents canaux varient d’un secteur à un autre. Ainsi, 50% des achats de téléphonie s’effectuent désormais en ligne en raison de l’apparition des forfaits low cost, tandis que 93 % des ventes de bricolage et de jardinage sont réalisées dans les points de vente physiques.

Mais le digital fait bouger les lignes à toute allure. «Aux enseignes de soigner la qualité de leurs sites et de leurs outils de relations clients et prospects pour ne pas le perdre en route ; elles doivent aussi admettre que le consommateur n’est plus vierge quand il débarque dans un point de vente et s’adapter en formant les vendeurs pour qu’ils offrent un service complémentaire», analyse Claire Koralewski.

Pour cerner le shopper, les professionnels privilégient également les données factuelles. «Les études, c’est bien, mais la vraie vie ce sont les sorties de caisses!», lance Florence Guittet, consultante chez IMPP. Alexandra Chabanne et Olivier Mazeron, coprésidents de l’agence médias Group M, partagent ce point de vue: «Nombre d’études reposant sur du déclaratif, nous avons souhaité partir des données d’achat de notre panel», expliquent-ils.

Croisées avec les données comportementales de Solocal Group (ex-Pages jaunes), elles ont permis d’établir un Observatoire des parcours d’achat. Présenté le 16 juin dernier, il analyse en profondeur quelque 4 300 parcours sur 14 secteurs (alimentaire inclus), il fait ressortir quatre catégories de shoppers: full store (71%), full Web (11%), Ropo (80%) et showroomer (3%), soit celui qui s’informe en magasin pour acheter sur le Web.
Sur les parcours Ropo, cœur de l’étude, cinq profils ont été identifiés. Les trois premiers – coup de cœur, idée fixe et SOS – se révèlent versatiles, qu’il s’agisse de l’achat lui-même, du choix du canal ou de celui du fournisseur, tandis que les deux derniers – réassurance et expérience – sont considérés comme plus solides, acquis au monde du magasin.

Consulter l’historique du shopper

Qualitatives ou quantitatives, les études démontrent donc la bonne tenue des ventes en magasin. Mais cette réalité dissimule une révolution, car marques et enseignes doivent aussi satisfaire la curiosité du shopper qui, elle, est clairement cross-canal. «Les canaux sont complémentaires, pas concurrents. Il faut offrir une expérience sur chacun d’entre eux, si possible différenciante», avance Fabien Girard, directeur de clientèle chez Moonda Retail, une agence conseil qui propose des matrices issues du design de services.

«Chaque marque a un parcours client unique. Nous le modélisons en tenant compte du type de consommateur, du temps dont il dispose, de son objectif final (achat ou après  vente) et des points de contact à chaque étape», argumente-t-il. Puisque le Web est utilisé par le consommateur pour préparer ses achats, l’entreprise doit, selon lui, doter ses forces de vente d’outils tout aussi performants, comme un configurateur de produit ou une tablette pour consulter l’historique du shopper.

Spécialisé dans la grande distribution, Consumer Zoom, département de la société d’études Marketing Scan, étudie depuis huit ans les comportements d’achat à travers le décryptage des cartes de fidélité Auchan, Cora et Système U, ce qui représente 16 millions de foyers. Et, là aussi, le «click & collect», appelé «drive» en grande distribution, bouscule les parcours shopper et les contenus des Caddie.

«Nous sommes au carrefour de beaucoup d’informations, car nous sommes aussi partenaires de 50 hypers dans quatre villes tests, où nous analysons les ventes en sortie de caisse, certains foyers étant également panélisés», détaille Valérie Dejean, directrice générale adjointe de Marketing Scan. Appétence pour un nouveau produit, impact des promotions à court et moyen terme, circulation dans les rayons, Marketing Zoom partage ses données avec les industriels à la demande.

Analyser les cartes de fidélité

En septembre, un nouvel outil développé avec Auchan leur sera proposé sur abonnement. Baptisé Click & Zoom, il délivrera treize fois par an l’analyse des données des cartes de fidélité du distributeur, permettant notamment d’alimenter leur réflexion catégorielle et markeing, tant en interne que dans leur relation avec Auchan. Un second niveau, Click & Zoom Advanced, inclura la possibilité de travailler sur des groupes de clients ou de magasins, d’approfondir les profils et les mixités d’achat.

Plus généraliste, Experian Marketing Services est un expert des problématiques de la qualité des données et de la connaissance client avec un panel de 26 millions de ménages segmenté selon des caractéristiques sociodémographiques et géographiques. «Nous compilons des données déclaratives, comportementales et transactionnelles pour obtenir un profil à 360° du shopper, explique Magalie Lafargues, consultante en marketing digital et relationnel. Celles-ci proviennent du Web, du magasin, du call center, des mobiles… Il faut savoir les relier pour faire émerger du sens.»

Or il n’est pas toujours facile de recouper les comportements en ligne et dans la «vraie vie» des consommateurs, les directions digitales et retail des entreprises n’étant pas toujours connectées. «La prise de conscience est là, mais nous touchons à l’organisation de l’entreprise et les changements ne se font pas du jour au lendemain. Il faut faire tomber les silos», note-t-elle.

Complexe, la démarche n’en est pas moins indispensable: les entreprises doivent désormais communiquer quasiment en temps réel avec leurs clients. «Si un consommateur va en magasin, il faut le remercier le plus vite possible par SMS, le relancer par mail, l’inviter sur les réseaux sociaux. Le client s’estime unique, il faut lui apporter une communication très personnalisée», conclut-elle. Dans ce cadre, le data et l’outil CRM s’imposent comme les composantes majeures d’une stratégie cross-canal réussie.

Face à ces changements de fond, qui touchent à la nature même de l’activité des commerçants, puisqu’il ne s’agit plus seulement pour eux de proposer un produit mais une expérience, un service, nombre d’agences conseils préconisent une approche agile. Ainsi, Les Argonautes, qui s’appuie sur la business intelligence chère aux géants du Web pour éclairer le parcours client. «Aujourd’hui, c’est l’e-commerce qui tire les usages, le parcours client doit être le plus court et le plus fluide possible. Amazon l’a bien compris avec des achats en un clic qu’on peut ensuite annuler, pointe Alain Assouline, cofondateur de l’agence. Même si on est petit, il faut s’interroger sans relâche sur sa valeur ajoutée pour le client.»

10 % de technologie, 90 % de management

«Google et Amazon fonctionnent en mode disruptif permanent, confirme Henri Danzin cofondateur de l’agence digitale Oyez, qui estime que le vieux métier de retailer doit s’en inspirer. C’est en essayant sur des périmètres réduits, en allant chercher des idées auprès des vendeurs, en menant des études tests sur les clients que l’on trouve.» Et d’ajouter que le parcours client à l’heure du digital, «c’est 10% de technologie et 90% de management, de storytelling, d’humain». Après avoir équipé les magasins But de bornes interactives et leurs vendeurs de tablettes, son agence travaille sur la digitalisation du réseau Darty, à travers une vingtaine de points de vente tests.

Pour sa part, Olivier Serfaty est parti d’une application mobile en vogue aux États-Unis pour concevoir Step In, lancée en mai, qui propose au shopper de gagner des points cadeaux juste en franchissant la porte d’une enseigne, et d’autres encore en circulant dans certains rayons. L’enseigne dispose d’un back office pour piloter ses promotions, il fournit conseils et datas. «Amazon sait beaucoup de choses sur ses clients. Aujourd’hui, les magasins physiques n’ont pas cette force, sauf si les achats se font avec une carte de fidélité», souligne-t-il.

En écho à ces entrepreneurs qui suivent de près le modèle de l’américain, l’étude Ropo de Fullsix signale qu’Amazon, premier site d’e-commerce en nombre de visites en France, est le seul acteur à avoir vu son audience progresser en 2013 (+ 10 points). Au final, si les méthodes d’analyse diffèrent, toutes pointent un même phénomène: la montée en puissance du digital bouleverse en profondeur le marketing et, au-delà, l’organisation même des entreprises.

 

ZOOM

« Plus qu’une technique, un état d’esprit »

À l’origine, les produits de grande consommation étaient regroupés dans les supermarchés en fonction de logiques d’approvisionnement. Ainsi, les couches-culottes cohabitaient avec les
mouchoirs parce qu’ils étaient livrés par le même fournisseur.

Au fil du temps, les distributeurs ont créé des familles de produits: c’est le cross-merchandising, qui permet de trouver les filtres à côté des paquets de café, même si les stocks sont gérés par des équipes différentes.

Le category management va plus loin en proposant une organisation transversale pour chaque famille (catégorie). L’univers du petit déjeuner, par exemple, devient un «domaine d’activité stratégique» (DAS), managé par une personne unique.

«Cette modélisation de bonnes pratiques a été formalisée par un universitaire pour Walmart au début des années 1980», rappelle Florence Guittet, consultante au sein du cabinet de conseil IMPP.

La méthode s’appuie sur la connaissance client (analyse des données des cartes de fidélité, études quali en magasins) pour créer un matriciel qui part de ses besoins ou désirs. Aujourd’hui, les pratiques sont bousculées par le digital. Et, alors que le shopper est naturellement cross canal, les bases de données retail et e-commerce des entreprises ne sont pas toujours connectées entre elles.

«Dans le cadre d’une stratégie de category  management, nous réunissons les opérationnels qui peuvent apporter de la valeur au parcours client. Plus qu’une technique, c’est un état d’esprit, une conduite du changement en entreprise», conclut Florence Guittet. 

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