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Le géant américain de la vente en ligne a fait appel à Dominique Piotet, fondateur de l’agence Rebellion Lab, pour concevoir à Las Vegas son premier magasin physique. Une boutique dont on repartira… les mains vides. Explications.

Dominique Piotet est le PDG de Rebellion Lab, une agence conseil dédiée aux stratégies numériques et à l’innovation, fondée à San Francisco en 2010. Il a ouvert l’an dernier un bureau à Las Vegas afin de plancher sur un nouveau projet : le magasin du futur de Zappos, le géant américain de la vente en ligne de chaussures et de vêtements, un pionnier de l’innovation en matière de commerce et de service à la clientèle. Le magasin doit accueillir ses premiers clients en janvier 2015 à Las Vegas où Zappos a son siège.


Pourquoi Zappos, leader de l'e-commerce, veut-il ouvrir un magasin physique ?

Dominique Piotet. Cela correspond d’abord à une stratégie d’image. Zappos est un pionnier innovant en matière de service clientèle. Son PDG, Tony Hsieh, est un auteur et un conférencier réputé sur le sujet. Son livre L’Entreprise du bonheur, publié en 2010, reste un best-seller. Il est logique que Zappos soit parmi les premiers à explorer la piste futuriste de l’intégration parfaite entre e-commerce et magasins. Zappos veut confirmer ainsi sa position d’innovateur en explorant de nouveaux territoires du digital, plus physiques, et montrer qu’il est toujours en avance en matière de relation client.


À quoi va ressembler ce magasin du futur ?

D.P. On le trouvera sur le Strip, le célèbre long boulevard de Las Vegas bordé de casinos qui accueille 40 millions de visiteurs par an. L’endroit idéal n’a pas encore été choisi. Ce que l’on sait déjà, c’est que le magasin ne fera pas plus de 300 mètres carrés. Il ne stockera quasiment aucune marchandise. C’est un magasin dont vous repartirez les mains vides, à l’exception de menus articles et d’objets personnalisés fabriqués par impression 3D. Vos achats seront livrés à votre hôtel ou à votre adresse personnelle, d’où que vous veniez.

 

Qu’est-ce que les gens trouveront dans cette boutique ?

D.P. Ils vivront une expérience orchestrée autour de la curation de contenu pour des articles ciblés. Vous pourrez revenir souvent et ce sera un nouveau magasin à chaque visite. L’expérience changera en fonction des saisons, des humeurs, de l’actualité sportive ou culturelle. On peut imaginer une période Super Bowl, avec des produits sport, ou Coachella – festival annuel de musique de Palm Springs en Californie –, avec des articles branchés fête. La boutique est aisément modifiable, on pourra donc tout tester.


Quels sont les principes clés de ce magasin du futur ?

D.P. Tout est articulé autour du client et de ses appareils de communication. Les points de contact physiques et virtuels entre le client et la marque sont les clés de voûte du design. Autrement dit, la question essentielle que nous nous posons et qui nous guide est : à quel moment est-il plus efficace d’avoir un contact physique ou virtuel ? Il est essentiel que le parcours du client, entre l’instant où il pénètre dans la boutique et celui où il en ressort, se fasse de manière parfaitement continue entre les deux dimensions, comme un vêtement d’une seule pièce et sans couture. La conversation entre le client et la marque ne doit jamais être interrompue. C’est un problème compliqué. Nous cherchons les réponses et nous nous efforçons surtout pour l’instant de poser les bonnes questions.


Existe-t-il déjà des initiatives dont vous pouvez vous inspirer ?

D.P. On s’inspire d’acteurs du commerce électronique qui ouvrent des boutiques pour que les clients puissent voir, toucher et essayer les produits. Chez la marque pour hommes Bonobos comme chez l’opticien Warby Parker, par exemple, on regarde et on essaie, mais on n’achète pas ! Il est impossible de ne pas évoquer aussi Apple, qui a développé les meilleurs magasins qui soient – Apple réalise le meilleur chiffre d’affaires au mètre carré parmi les grandes chaînes américaines de magasins, tous secteurs d’activité confondus. Peu de produits sont disponibles mais ils sont mis largement à disposition du client pour être essayés. Les vendeurs sont des conseillers compétents qui se chargent aussi du paiement sans que le client ait besoin de changer de lieu ou d’interlocuteur.


Pourquoi considérez-vous le paiement comme un défi majeur ?

D.P. Les marques qui marchent le mieux sont celles qui savent raconter une histoire, à l’image des enseignes du luxe. Or le paiement intervient typiquement comme une rupture dans le processus narratif. C’est un événement aussi complexe que critique. Pour la marque, c’est le moment le plus important en termes de revenu et aussi parce que c’est là qu’elle collecte les données du client. Mais pour ce dernier, le paiement est la partie la moins intéressante. Il est essentiel que l’histoire soit la seule chose qui demeure aux yeux du client, y compris et surtout au moment du paiement. Pour cela, la technologie doit impérativement devenir invisible.


Pourquoi les marques de luxe sont-elles bien positionnées, selon vous, pour adopter le modèle du magasin du futur ?

D.P. Elles se sont d’ores et déjà construites sur leur capacité à raconter une histoire. En outre, l’expérience du luxe est difficile à déployer exclusivement en ligne; elle doit se vivre en magasin, où on peut voir et toucher. En même temps, le luxe se prête particulièrement bien au type d’enrichissement et de personnalisation de l’expérience que les technologies numériques peuvent apporter en magasin: reconnaissance, suivi du client et de ses goûts, au fil de ses interactions avec la marque via technologies et applications mobiles. La perte de confidentialité est le prix que le client est généralement prêt à payer quand il s’agit du luxe. La marque la plus avancée actuellement est Burberry, même si son site se révèle finalement plus intéressant que ses boutiques.


Trouve-t-on des exemples intéressants dans d’autres industries, comme l’automobile, par exemple ?

D.P. L’automobile est un cas passionnant, puisque 85 % des acheteurs de voiture entament leur processus d’achat sur Internet pour consulter les options, les prix, etc. L’idéal serait de poursuivre cette expérience chez le concessionnaire sans interruption. Or chacun sait que la visite chez le concessionnaire est souvent désagréable. Bref, il existe là une opportunité énorme. À ma connaissance, Audi est actuellement le seul constructeur à faire un travail véritablement intéressant. Son magasin Audi City London offre une expérience exclusivement virtuelle et réalise les meilleures ventes au mètre carré de tout son réseau de distribution.


Est-il déjà possible de quantifier l’impact du magasin du futur sur les ventes ?

D.P. On sait que les marques qui intègrent correctement le commerce en ligne et en magasin font 10 % de mieux que les acteurs de la vente en ligne ou de la vente en magasin. La façon dont le site Apple Store et les magasins Apple se soutiennent mutuellement est un cas d’école. En règle générale, on connaît mieux son client quand on pratique le commerce électronique. La collecte de données sur les clients alimente une source de recommandations qui optimisent les opportunités de ventes croisées et de montée en gamme, améliorant la performance… c’est mathématique.


Quid du coût d’une telle stratégie ?

D.P. Les technologies sont de moins en moins onéreuses et de plus en plus accessibles. Ce qui coûte cher, c’est le travail en amont pour trouver les concepts qui marchent, les bonnes histoires, produire le contenu, développer un fil narratif pour le monde physique.


Le mouvement d’intégration entre monde réel et virtuel va-t-il toucher la grande distribution ?

D.P. J’y crois beaucoup. Il existe une énorme opportunité pour les marques de biens de consommation courante d’intégrer les points de contact virtuels et physiques avec le consommateur. Elles n’ont actuellement établi aucune relation avec lui au moment crucial de la décision d’achat. Or le consommateur a trop de choix. Face à des centaines de marques de yaourt, il va prendre une décision basée par exemple sur le dernier spot publicitaire vu à la télé… Il y a moyen de faire beaucoup mieux.

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