Guillaume Rio décrypte pour les entreprises le futur du commerce. Expert des tendances technologiques à L’Échangeur by LaSer, le centre d’innovation technologique et marketing appliquée à la relation client, il revient sur les tendances et les enjeux du retail connecté.

Vous avez visité cette année deux salons importants, le Retail’s Big Show à New York et l’Euroshop à Dusserdolf. Quelles grandes tendances voyez-vous émerger en 2014 ?

Guillaume Rio. Nous percevons d’abord l’émergence du commerce omnicanal ou « retail ambiant », comme nous l’avons défini à l’Échangeur. Ce terme renvoie à l’affaissement des frontières entre les différents canaux de vente et de communication, qu’il s’agisse de la télévision, du site marchand ou du point de vente. À l’ère du multicanal, ces canaux opéraient en silo sans communiquer entre eux. Avec l’omnicanal, le client peut entrer en contact avec la marque n’importe où, à n’importe quel moment, par n’importe lequel de ces canaux qui pourront interagir avec lui et tracer son parcours. Imaginez que vous soyez en train de regarder un programme à la télévision et que le vêtement, la montre ou tout autre accessoire du personnage à l’écran vous plaise. Vous pourrez bientôt en quelques clics obtenir toutes les informations sur ce produit, basculer sur un site Internet pour le commander ou savoir dans quelle boutique vous pouvez le trouver.


L’Internet des objets transforme-t-il également la relation client ?

G.R. Le constructeur Nissan a lancé la montre « Nismo Smart Watch ». Reliée par Bluetooth au véhicule, elle calcule la consommation prévisible de carburant au regard de la vitesse, prévient de la prochaine révision, mesure le rythme cardiaque et cérébral du conducteur. L’assureur Aviva au Royaume-Uni et MAAF en France, avec son application « Écorouler », développent des applications permettant de vendre aux automobilistes des contrats basés sur l’usage. C’est d’autant plus nécessaire que les surprimes liées à l’âge ou au sexe vont être interdites par la réglementation européenne au nom de la lutte contre les discriminations. Les assureurs misent donc sur la voiture connectée pour évaluer le risque.


Comment les vendeurs en magasin travaillent-ils à l’ère de l’omnicanal ?

G.R. Pour bénéficier de promotions ou services spécifiques, les marques vont vous inciter à télécharger sur votre smartphone des applications dédiées qui identifient, géolocalisent et enregistrent votre parcours. Dans le point de vente, votre arrivée sera détectée et signalée au vendeur qui recevra aussitôt sur sa tablette numérique une notification précisant votre profil, votre historique d’achat et les produits que vous avez présélectionné sur écran. Il ne restera plus à ce vendeur qu’à vous aider à prendre une décision. L’enseigne américaine de prêt-à-porter de luxe Neiman Marcus teste déjà ce dispositif.


Comment cela fonctionne-t-il concrètement ?

G.R. Le système repose sur la technologie iBeacon qui passe à l’intérieur des bâtiments. Non seulement, elle détecte la présence à proximité des porteurs de téléphones Apple ou Android mais elle active également l’application préalablement téléchargée pour envoyer un message au mobinaute. Parce qu’elle permet de communiquer de manière ciblée sur le point de vente, au moment où le client prend sa décision, iBeacon intéresse aussi l’univers du libre-service, tant les distributeurs eux-mêmes que les marques qui en garnissent les rayons. Dans les applications les plus abouties, iBeacon combine les avantages de la géolocalisation – le système prend en compte le fait que vous êtes au rayon détergents, électroménager ou alimentaire – et de la contextualisation – il intègre votre historique d’achat, votre profil socio-économique, vos goûts, pour vous envoyer le message adéquat.


L’heure du marketing one-to-one a-t-elle sonnée ?

G.R. Avec ces avancées technologiques, il devient même une réalité. On peut aussi parler de marketing furtif, puisque vous recevrez sur votre portable une offre dont la concurrence ou les autres clients n’auront pas connaissance. Par exemple, si vous êtes passé récemment dans le magasin d’électroménager pour acheter un téléviseur grand écran, que vous y revenez quelques mois plus tard pour une raison quelconque et que vous passez par le rayon son, le distributeur ou le fabricant pourra envoyer un message vous proposant une ristourne sur des enceintes dernier cri, pour compléter votre équipement home cinéma.


Les moyens de paiement sont aussi appelés à évoluer. Quel est impact pour les commerçants ?

G.R. Le porte-monnaie électronique embarqué sur le mobile tel que le conçoivent les géants du Net, comme Paypal, Google et bientôt Apple, Amazon et Facebook, ne va pas, en effet, servir seulement à régler des achats. Cette application intégrera aussi une multitude d’autres services : programme de fidélisation, lecture des codes-barres, pour obtenir plus d’information sur les produits en rayon, liste de courses préétablie en fonction de l’historique d’achat, couponing, localisation des magasins, m-commerce, comparateur de prix, voire une dimension « personal finance management » pour gérer votre budget. En combinant tous ces services, on aboutit potentiellement à une « killer application » qui connaîtra tout de vos achats. L’enjeu de cette bataille porte sur la connaissance du client. Les bases de données consommateurs que peuvent construire les géants du Net avec ces porte-monnaies électroniques seront alors bien plus qualifiées et plus larges que celles détenues par les industriels et les distributeurs. Aux États-Unis, Walmart a commencé à réagir en lançant son propre porte-monnaie électronique qu’il espère partager avec d’autres distributeurs. En France, Auchan développe une approche similaire, baptisée « Flash’N pay ». Enfin, iBeacon peut devenir à terme un moyen de paiement susceptible de concurrencer les cartes bancaires sans contact équipées d’une puce NFC (Near Field Communication) que veulent mettre en place les banques.


Un nouvel enjeu de taille pour les banques…

G.R. Focalisées sur leur cœur de métier et sur la sécurité, elles n’ont pas vu venir cette concurrence et ne se sont pas accordées sur une alternative commune. Elles y ont pourtant intérêt, car les géants du Net pourraient aller encore plus loin en créant leur propre banque.


Quelles autres tendances relevez-vous à l’ère du magasin connecté ?

G.R. De lieu de vente, le magasin physique se transforme en lieu de vie propice à la détente. Aux États-Unis, la marque de vêtements de loisirs Club Monaco installe un bar et une bibliothèque dans son magasin de New York, American Two Shots a opté pour une galerie d’art. C. Wonder propose à ses clientes de choisir en cabine d’essayage la musique et la lumière de leur choix.
Les détaillants prennent conscience de la nécessité d’offrir plus de confort ou de fun pour faire venir les visiteurs en magasin. Ils misent sur le fait que les clients détendus y passeront un peu plus de temps et achèteront davantage. Cette démarche est d’autant plus nécessaire qu’eBay, avec eBay Now, et Amazon, avec son service Premium, surenchérissent sur les promesses de livraison express à domicile. En outre, des applications téléchargeables sur mobile permettent de comparer le prix du produit en magasin avec ceux des concurrents sur Internet. C’est donc en réenchantant le shopping et en offrant plus de services que les commerces physiques résisteront aux pure-players.


Quelles peuvent être les conséquences de la domination des géants du Net ?

G.R. S’ils l’emportent, les « tech titans » auront accès à toutes les dimensions de votre vie économique et sociale, pourront croiser des données issues des porte-monnaies électroniques avec les traces numériques que vous laissez en téléphonant, en surfant sur les réseaux sociaux ou en vous déplaçant, mobile en veille dans la poche. Certains consommateurs accepteront de laisser ces entreprises exploiter toutes leurs données personnelles pour bénéficier de services qui leur facilitent la vie, d’autres seront plus prudents par crainte que le big data se mue en big brother. Ce sera une affaire de choix personnel. Mais au-delà des « tech titans », les plates-formes Internet qui parient sur l’économie collaborative menacent aussi les acteurs traditionnels. Le particulier qui loue à son voisin sa perceuse sur Zilok, une chambre de sa maison sur Airbnb ou sa voiture sur Drivy devient le concurrent d’Avis, d’Accor ou de Castorama.

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