La catch-up et le replay cartonnent sur les sites et les chaînes You Tube des groupes de télévision, mais les prix des publicités, bien qu’élevés, stagnent sur ces vidéos premium.

Après quelques années de méfiance, les chaînes de télévision se sont toutes converties à la vidéo et à la mise à disposition gratuite de leur programme pendant sept jours au minimum. «Il n'y a pas si longtemps, la télévision voyait l'arrivée de la catch-up comme une concurrence. L'histoire nous a prouvé l'inverse», admet Yann Chapellon, PDG de France Télévisions Distribution. Les Français consomment désormais sept minutes par jour en moyenne de contenus en replay ou sur un autre écran que le téléviseur, soit deux minutes de plus qu'il y a un an, selon Médiamétrie Global TV d'avril 2014.
Le groupe public est l'un des derniers grands groupes de télévision à avoir adopté la catch-up TV, en 2010, sous l'appellation Pluzz. La stratégie a immédiatement consisté à mettre à disposition des internautes l'intégralité de la grille durant sept jours, en dehors du sport et des films, soumis à des droits de diffusion plus complexes. Avant France Télévisions, le mouvement avait déjà été bien engagé par M6, TF1, Canal+ et Arte  qui ont en quelques mois décliné leur offre de rattrapage sur tous les écrans. Aujourd'hui, le groupe public réalise près de 80 millions de vues par mois sur son site, M6 60 millions sur sa plate-forme 6-Play et TF1 108 millions de vues par mois en moyenne en 2013.
Une stratégie que ne regrette aucun de ces groupes, non seulement parce que la catch-up est apparue comme un outil de renforcement d'un programme et de fidélisation, mais également parce que le prix de la publicité sur ces contenus premium s'est envolé. Un spot sur une vidéo en catch-up se monnaie en brut entre 20 et 25 euros pour mille clics sur les sites de M6 et France Télévisions. Sur Canalplus.fr, le prix serait plus élevé encore. Le nombre de spots supportables par l'internaute étant limité, France TV n'en met jamais plus de deux tandis que TF1 en dissémine jusqu'à six sur les longs programmes.

Frontière brouillée

«L'offre d'inventaire vidéo premium est toujours inférieure à la demande des annonceurs», explique Fabien Josière, responsable du programmatique vidéo chez Havas Media. Toutes les chaînes profitent ainsi de taux de remplissage qui avoisinent les 100%, même sur des vidéos qui ne font que quelques centaines de vues. Après la catch-up, le deuxième mouvement engagé consiste alors à «combler le vide entre les vidéos amateurs que l'on trouve sur You Tube et la consommation premium de l'antenne, grâce à des programmes qui ne sont pas ceux de l'antenne», selon les mots de Yann Chapellon. Des bonus, des extraits, des programmes courts spécialement créés pour le Web sont «postés» chaque jour sur les sites des chaînes. De l'inventaire en plus pour combler l'appétit des annonceurs, ainsi que la demande de l'audience. Les programmes en catch-up de Canal+, l'un des premiers à proposer des formats courts sur son site, sont par exemple autant consommés en découpage que dans leur intégralité.

Ces contenus courts et viraux ont rapidement donné lieu à la création de chaînes You Tube, troisième pan de la stratégie des télévisions. Toutes s'y sont converties, à l'exception de TF1, en créant des Multi Channel Network (MCN), ces réseaux de chaînes You Tube qui permettent aux télévisions de monétiser elles-mêmes une partie de l'inventaire. Là aussi, les spots sont prisés, même si bien moins rentables. «C'est difficile de passer à côté d'une telle vitrine», justifie Manuel Alduy, directeur de la division Canal OTT. Même chose chez France Télévisions, qui crée en moyenne deux chaînes You Tube par semaine, assurant qu'elles apportent de l'audience au site et à l'antenne. Le groupe TF1, propriétaire de WAT et longtemps en procès contre You Tube, ne juge pas la plate-forme vidéo comme «un composant nécessaire», selon les mots d'Olivier Abecassis, directeur général d'E-TF1, qui préfère s'inscrire «dans une démarche de valeur patrimoniale de contenus».
Car la multiplication de contenus vidéo, notamment sur You Tube, commence à peser sur le prix du CPM (coût pour mille clics) de la catch-up. Malgré la rareté de cet inventaire premium, les prix stagnent, voire connaissent une pression à la baisse. Pour Valéry Gerfaud, directeur général de M6 Web, «s'il y a érosion des prix, c'est lié au fait qu'il y a trop de contenus vidéos en général et les annonceurs ont l'impression que tout se vaut, qu'une vue est une vue. C'est à nous de leur expliquer que ce n'est pas la même chose de produire L'Amour est dans le pré ou un sketch des Surricates, un groupe d'humoriste membre de Golden Moustache, et que s'y associer n'aura pas le même impact en terme d'images.» La frontière entre vidéos Web et catch-up est d'autant plus brouillée que nombre de programmes télévisés se retrouvent désormais sur You Tube.

GRP vidéo ou RTB ?

Canal+ refuse cette dichotomie dans le marché vidéo. «You Tube veut professionnaliser les contenus et nous sommes dans une vente publicitaire multi-plate-forme, l'option que l'on a retenue est donc de rester sur des contenus les plus professionnels possibles, y compris sur You Tube», détaille Manuel Alduy. Chez France Télévisions, «tant qu'on a 100% de remplissage, on ne s'angoisse pas sur le fait que les annonceurs fassent la différence ou pas», résume Laurent Frisch, directeur de France Télévisions Editions numériques.
Pour Philippe Bigot, directeur TV chez Havas Media, la solution réside dans la création d'un GRP vidéo. Il permettra aux annonceurs de mesurer réellement l'impact de leur campagne selon le type de vidéos auxquelles ils s'associent. Et empêchera l'érosion des prix. «On arrive à un niveau de maturité. Sur Internet, les annonceurs ne recherchent plus seulement de la performance, mais aussi et surtout de l'image, il faut donc que la mesure d'audience se précise», plaide-t-il. Un souhait bientôt réalisé par Médiamétrie, qui a annoncé la création d'un GRP vidéo avant la fin de l'année.
Une autre solution pourrait être l'achat par enchères, ou RTB («Real Time Bidding»). Généralisé sur les formats display, le RTB n'est pas encore la règle en matière de spots vidéo et aucune chaîne de télévision ne monétise son inventaire vidéo de cette façon. Pourtant, pour Fabien Josière, d'Havas Media, «les places de marché en “ad exchange” peuvent jouer en faveur des télévisions: l'inventaire vidéo premium n'est jamais suffisant, un système d'enchères pourrait entraîner une hausse du prix». Les chaînes l'envisagent également, mais craignent que le RTB ait le même effet sur la vidéo que sur le display: une dévalorisation générale du CPM. «Le RTB vient souvent dans un problématique d'inventaires invendus, or on n'en a pas vraiment sur la vidéo. C'est encore un peu tôt pour répondre mais, pour nous, le sujet n'est pas tabou», répond Yann Chapellon, de France Télévisions Distribution.

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